C) Le cas des regroupements de musées : quelles
implications en termes de positionnement de marque?
Parler de marque pour se référer à un
musée ne crée certes pas le consensus au sein du secteur culturel
et au-delà, mais il s'agit pourtant d'une pratique effective qui tend
à se développer comme nous venons de le voir. Dès lors,
nous pourrions poursuivre la comparaison entre les stratégies des
marques des entreprises du privé et celles des établissements
publics en nous attachant au cas particulier des regroupements de
musées. Le macro-environnement culturel prête en effet à la
mutualisation des ressources pour maximiser l'avantage concurrentiel des
musées grâce à des transferts de ressources
matérielles et immatérielles. Quelles sont les implications de
ces regroupements en termes de marque ? Peut-on comparer cela à une
stratégie de co-branding ou bien de marque-ombrelle ?
A titre d'exemple, le Muséum national d'Histoire
naturelle (MNHN) chapeaute douze sites patrimoniaux : Musée de l'Homme,
Grande Galerie de l'évolution, Jardin des Plantes, etc. Cependant cet
écosystème de musées s'aligne sur un positionnement
cohérent, une même identité visuelle, bref l'ensemble est
régi par une même stratégie de marque comme s'il s'agissait
d'un portefeuille de marques. C'est d'ailleurs en ces termes que
Stéphanie Targui, Responsable du pôle multimédia au MNHN,
présente la stratégie du musée : « l'objectif de
notre stratégie digitale est de positionner chacune de nos marques
[c'est-à-dire chaque musée] comme appartenant au Muséum
National d'Histoire Naturelle. Nous développons la présence du
Musée de l'Homme sur internet en l'inscrivant dans l'univers
numérique du Muséum national d'Histoire naturelle »
(Museum Connections, 2016). L'image de l'« univers » est
également employée sur le site du Muséum qui comprend un
onglet « L'univers muséum » où sont
référencés les lieux culturels relevant du Muséum
national d'Histoire
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naturelle. Cette terminologie n'est pas sans rappeler le champ
lexical marketing avec ses « produits satellites » qui
dépendent d'une marque-ombrelle et évoluant dans un même
« univers de marque ». Bien loin du monde des musées, dans le
secteur alimentaire, la marque-ombrelle type souvent donnée en exemple
est Danone. Elle « abrite » de sa notoriété des
marques-filles (Blédina, Evian, Gervais, etc.) et leur permet ainsi de
gagner en visibilité et de véhiculer les mêmes valeurs de
santé et de bien-être. En effet, les marques-filles capitalisent
sur l'image déjà installée de Danone pour survivre et
grandir, ce qui permet par là-même de baisser les coûts
publicitaires du groupe. Ce sont les fameux effets de synergie qui sont
également transposables au secteur des musées. Si nous voulons
gagner en précision dans le rapprochement entre les stratégies
des marques étrangères au champ culturel et des marques
muséales, le phénomène de mise en réseau des
musées, tel que celui orchestré par le MNHN, relèverait
davantage du concept de marque-caution que de celui de marque-ombrelle. La
marque-caution partage avec la marque-ombrelle le fait de donner son aval
à un ensemble de marques auxquelles elle transmet son image et sa
promesse de marque, faisant office de garantie aux yeux de consommateurs.
Cependant, contrairement à la marque-ombrelle, la marque-caution sert un
ensemble de produits ou services homogènes, qui évoluent dans le
même univers, tandis que la marque-ombrelle peut embrasser une offre
très diversifiée relevant de champs de consommation variés
(Kotleretdemeter, s. d.). Or les musées, même s'ils se regroupent
sous une marque-mère conservent une forte cohérence dans leur
offre, qui reste toujours culturelle avant tout. Ce qui n'empêche pas
l'offre de chaque musée de cibler des publics différents. Si nous
poursuivons avec le même exemple, le Muséum national d'Histoire
naturelle a fait le choix d'un site internet multi-entrées pour
présenter ses différents musées mais aussi pour s'adresser
à différents segments. D'où un onglet « accès
par public », où le contenu est adapté selon le profil de
l'internaute (« comités d'entreprise et professionnels du tourisme
», « english speaking visitors », « enseignants »,
« presse », etc.).
On note donc différents niveaux de positionnement.
Premièrement, il existe un positionnement global, celui impulsé
par la marque-caution, explicité sur le canal Dailymotion du
Muséum national d'Histoire naturelle : « À la fois
établissement scientifique et service public, tourné vers la
recherche et la diffusion des connaissances, le Muséum national
d'Histoire naturelle se déploie sur 12 sites à Paris, en
Ile-de-France et en régions, dont 10 sont ouverts au public ».
Sous l'égide de cette marque-caution, chacun des douze sites
décline son identité et son positionnement en respectant la
cohérence du positionnement global. Enfin, la dernière strate
correspond aux différents positionnements adoptés au sein d'un
même musée selon le public ciblé. Les variations de tarif
sur place ou des contenus à disposition en ligne impliquent la
construction d'une image différente en fonction du segment
ciblé.
Cette tendance à la mutualisation des ressources des
musées peut prendre des formes très diverses. Contrairement au
MNHN, la Réunion des musées nationaux (Rmn) adopte par exemple
une stratégie qui pourrait s'apparenter à celle de la «
marque blanche ». En effet, la Rmn se présente comme un prestataire
de services officiant auprès des musées nationaux. Son
intervention peut aller de l'organisation d'une exposition temporaire, à
la conception d'un site web ou à la gestion de la boutique
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du musée. Sur son site internet, la Rmn exprime ainsi
sa raison d'être : « faire partager au plus grand nombre une
expérience sensible de la beauté, par la rencontre avec l'art et
toutes les formes d'expression ». Pour ce faire, la Rmn dispose d'une
vitrine, d'une marque emblématique qui cautionne son travail et assied
sa crédibilité : le Grand Palais. Comme un magasin amiral en
grande consommation, le Grand Palais occupe une place à part au sein du
réseau de la Rmn qui accole d'ailleurs sa marque à celle du Grand
Palais dans une logique de co-branding. Craignant la faible lisibilité
de cette alliance stratégique, la Rmn adopte un ton très
didactique dans la présentation de ce rapprochement sur son site
internet : « On vous l'accorde, notre nom est un peu difficile
à retenir. Nous sommes la « Réunion des musées
nationaux - Grand Palais », ou, pour faire plus court la «
Rmn-GP ». Ça a l'air compliqué mais en fait, c'est
très simple : nous sommes un établissement culturel public
créé en 1895 et le premier opérateur culturel
européen. (...) C'est ce que nous faisons au Grand Palais, à
Paris, notre monument emblématique, mais aussi dans de nombreux
musées en France. » Contrairement aux autres positionnements
de regroupements muséaux, le positionnement de la Rmn-GP semble cibler
les musées en priorité puisque c'est auprès d'eux qu'elle
intervient, et, indirectement seulement, auprès de leurs clients finaux
: les visiteurs.
Conclusion 2) La communication comme facteur clé
du succès pour véhiculer un positionnement muséal qui se
complexifie
La complexité croissante des stratégies de
marque des musées impacte le positionnement de ces derniers. En effet,
face à des musées protéiformes, combinant plusieurs
activités, plusieurs lieux d'exposition, le risque pour l'institution
culturelle-mère est d'assister à la dilution de son
identité ou de celle de ses musées affiliés. C'est bien ce
risque qu'a souligné Joëlle Lagier lors de notre échange :
« [Le regroupement de musées] peut être
intéressant a priori pour les musées en termes de
rentabilité, engendrant une diminution éventuelle des
coûts, pour le public en termes de réseau, mais cela risque de
rendre l'image de chacun des musées plus floue, car en cherchant un
positionnement stratégique commun, on risque de camoufler les
spécificités de chaque entité. A moins que les
regroupements de musées soient faits de manière logique avec la
défense d'une mission commune ou d'une complémentarité des
missions, ce qui ne semble pas toujours être le cas. L'enjeu est donc ici
de trouver un positionnement global fédérateur, qui ne gomme pas
les caractéristiques de chacune des entités »
(Joëlle Lagier, 2016).
Pour asseoir le positionnement « global »
souhaité, la communication apparaît comme un outil
particulièrement pertinent en vue d'unifier les musées sous la
même marque-mère, grâce à une charte graphique et une
ligne éditoriale décidées conjointement par exemple.
Cependant la traditionnelle communication institutionnelle et descendante des
musées s'adapte aujourd'hui aux canaux de communication
numériques. Parmi ces derniers, les réseaux sociaux
présentent un avantage particulier pour notre champ d'étude. Ils
permettent au musée de véhiculer son positionnement, mais
également d'avoir des retours sur cette image construite grâce
à l'interactivité qui caractérise ces canaux de
communication. Autrement dit, les réseaux sociaux constituent la
rencontre entre l'image construite par le musée et l'image perçue
par les internautes. Les réseaux sociaux sont donc une
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ressource de premier ordre pour les musées afin
d'estimer le possible décalage entre le positionnement
décidé au niveau stratégique, sa mise en oeuvre
opérationnelle par le community manager, et l'appropriation de ce
positionnement par les communautés en ligne du musée.
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