3.2. Les sports de combat comme porteurs de
l'identité masculine :
Le sport implique nécessairement le corps ; dès
lors nous adoptons totalement la position de (Fraisse Geneviève, 1996)
rappelant qu'on ne saurait « penser le corps sans son sexe, sans la
sexuation ».
S'agissant d'activités physiques, c'est peu
de dire que « la différence des sexes ne peut y être
neutralisée » (Fraisse, 1996). Les pratiques sportives sont
sexuées, on y observe une distribution différentielle des deux
sexes dans les activités, les fonctions d'encadrement et de
responsabilités ; cette sexuation est un processus historique toujours
opérant. Il apparaît que certains sports ont été de
longue date investis par les femmes : les danses, les gymnastiques, la
majorité des modalités de l'équitation ; d'autres, tels
les sports de glace, la natation ou l'athlétisme (à quelques
disciplines près) se sont féminisés assez rapidement au
cours du XXe siècle. D'autres, en revanche, ne se sont guère
féminisés : la lutte, le cyclisme, le football,
l'haltérophilie, les sports de combats ...
La distribution des hommes et des femmes dans les sports, les
pratiques choisies, les niveaux d'engagement, les goûts sportifs sont en
parfaite homologie avec la division sexuée de toutes les formes de
travail -- des espaces et plus généralement des pratiques
sociales. Les sports sont sexués comme le sont les métiers, les
fonctions, les niveaux de responsabilités. Par exemple, quand il s'agit
de sport de combat, un sport qui est dur physiquement, mais aussi un sport qui
exige des compétences techniques, des compétences scientifiques,
des savoir-faire techniques, il s'agit aussi d'une activité se
déroulant dans un espace risqué, sa pratique devient très
peu investie par les femmes. La durabilité de cette sexuation des sports
et des pratiques sociales, est en partie liée aux représentations
dominantes de la féminité. Ce qui est en cause, ce sont les
normes de la féminité dont on sait qu'elles s'énoncent
principalement à partir des apparences. L'« être au
féminin », c'est-à-dire ce qui est
considéré comme faisant la femme, est souvent réduit
à l'« être perçu » (Bourdieu 1998). La
caractérisation de la féminité est inéluctablement
rapportée au corps des femmes pour lequel des canons fonctionnent.
Aujourd'hui, si peu de femmes choisissent ces sports « de tradition
masculine » (du rugby au cyclisme en passant par le vol libre, le sport de
combat, pour ne citer que quelques exemples), c'est certainement qu'ils ne
s'accordent pas avec les catégorisations spontanées à
partir desquelles hommes et femmes jugent ce qui convient ou non à une
femme, c'est qu'ils s'accommodent mal avec le modèle dominant de la
féminité dans notre culture. L'assignation au masculin de
certains sports, tenace à l'échelle de l'histoire, devient
intelligible en prêtant attention aux aptitudes physiques que ces sports
requièrent, aux rapports au corps et aux engins qui s'y mettent en jeu,
aux caractéristiques techniques et spatiales qui sont les leurs...
Ainsi, montrer ou exercer sa force, se livrer à un combat, porter ou
recevoir des coups, la prise de risques corporels... autant d'attributs
pratiques ou symboliques donnés comme inconvenants avec la
féminité, que les femmes semblent ne pas pouvoir faire leurs et
qui appartiendraient donc, en propre, à la masculinité. Deux
modèles de femmes sont donnés comme positifs : la
femme-mère et la femme bel objet. La fonction maternelle
et l'esthétique sont des références fondamentales, sinon
fondatrices de l'implication des femmes dans certaines pratiques physiques (des
formes d'activités et d'exercices préconisés... Ce sont
ces mêmes images qui sont convoquées quand il s'agit de proscrire
des activités jugées « dangereuses » pour les organes
féminins ou trop « violentes » (par exemple les courses
à pied ou les sports collectifs au début du XXe siècle).
La troisième représentation est celle de la femme
virile. Celle-ci, au contraire des deux autres figures, est donnée
comme modèle repoussoir. Si la référence à la
mère s'est peu à peu estompée au fil du temps (ou se
manifeste autrement, la préconisation du « travail du giron »
est devenue rare, penser l'organisation des pratiques avec des garderies pour
les enfants est très fréquent), la femme bel objet et la femme
virile sont en revanche des références fortement
récurrentes qui ont traversé le siècle. Les sportives,
a fortiori de haut niveau et dans les sports historiquement masculins,
subissent ce que nous tenons à appeler un procès de
virilisation. Encore une question récurrente dans l'histoire de
l'accès des femmes aux sports, mais qui dépasse
complètement l'univers des pratiques sportives. Cette qualification
accompagne l'histoire de l'accès des femmes à des fonctions
socialement dévolues aux hommes. Dans le sport, la
référence à la virilisation persiste largement
aujourd'hui. Ainsi, dès que les sportives dérogent au «
féminin » quant au sport choisi, elles font « un sport d'homme
». C'est le cas par exemple pour le sport de combat, le rugby. La
référence à la femme virile apparaît encore pour
celles qui ont un signe sexuel secondaire habituellement, culturellement
assigné aux hommes, « trop de muscles », les épaules
« trop carrées », « pas assez de poitrine » ou bien
des hanches gommées. Celles-là ont des apparences
considérées au mieux comme « androgynes », elles sont
immédiatement suspectées sur leur identité de femme :
« Ce ne sont pas de vraies femmes », « Le sport
menace leur beauté »,« Elles sont hommasses
», ou encore, désignation banalisée et qui se veut
parfois élogieuse, « des garçons manqués
». De nombreuses sportives posent, malgré elles, et de
façon cruciale, la question des contours de la masculinité et de
la féminité. Elles provoquent, involontairement le plus souvent,
du désordre dans l'ordre des catégories et des rapports de sexe.
Être pareil -- qui est bien autre chose que faire pareil -- est une
perspective insoutenable et impossible.
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