Le recours des individus auprès du panel d'inspection de la banque mondiale.( Télécharger le fichier original )par Jean-Eric FONKOU CHANOU Université Yaoundé II-Soa - Master II en Relations Internationales, Filière Diplomatie, Spécialité Contentieux International 2012 |
§II- Les traits de singularité par rapport aux mécanismes internes de protection des droits des individusLa présentation des mécanismes juridiques internes de protection des droits humains (A) et la valeur ajoutée du recours auprès du Panel par rapport aux mécanismes internes constitueront les deux axes de ce paragraphe (B). A) Les mécanismes juridiques internes de protection des droits humainsIl existe un vaste panorama des outils de protection des droits humains en droit interne (1) qui n'échappe pas à certaines critiques (2). 1) Panorama des outils de protection des droits humains La protection des droits humains au niveau interne s'effectue par des voies juridictionnelles et par des voies non juridictionnelles. Les voies juridictionnelles se déroulent auprès des juridictions ordinaires,171(*) des juridictions d'exception172(*) et de la juridiction constitutionnelle173(*). La juridiction judiciaire par exemple qui relève de la première catégorie est considérée comme le défenseur attitré des droits de l'homme et des libertés publiques174(*). Ainsi, selon l'article 9 de l'Ordonnance N° 72-6 du 26 août 1972 fixant l'organisation de la Cour Suprême modifiée par la Loi N°2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour suprême, elle est compétente en matière d'emprise175(*) et des voies de fait176(*). Si nous insistons sur l'emprise, la voie de fait et l'expropriation pour cause d'utilité publique177(*), c'est parce que dans le cadre de la mise en oeuvre des projets de la BM, les dommages que subissent les individus peuvent donner lieu en droit interne soit à l'exercice des deux premières actions, soit au déclenchement d'autres voies de recours quand les préjudices concernent l'expropriation pour cause d'utilité publique178(*). Les voies non juridictionnelles se réalisent par les autorités administratives et les autorités non administratives (les associations, les églises, les Organisations Non Gouvernementales, les médias et même les partis politiques). L'administration publique intervient dans la protection des droits de l'homme par l'exercice du pouvoir de police et par la mise en oeuvre de son pouvoir de contrôle sur certaines activités. Le pouvoir de police concerne le respect de l'ordre public179(*) et la protection de certaines catégories de la population ou des activités spécifiques180(*). Quant à l'exercice du pouvoir de contrôle de l'administration, elle concerne la surveillance que cette dernière mène sur certaines activités181(*). Les sanctions prises par les autorités administratives sont de nature pécuniaire182(*), ou liées à la saisie, la confiscation, la suspension et le retrait d'agrément183(*). A côté des autorités administratives, les commissions nationales des droits de l'homme et des libertés veillent à la promotion et à la protection des droits de l'homme au niveau interne. Au Cameroun la Loi N°2004/016 du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés prévoit qu'elle rédige des rapports sur la situation des droits de l'homme, reçoit les dénonciations relatives aux violations des droits de l'homme, et vulgarise les instruments relatifs aux droits de l'homme. Mais, c'est une instance dont les décisions ne sont pas contraignantes, ce qui affaiblit son efficacité. La promotion et la protection des droits de l'homme sont également réalisées par les associations et les Organisations Non Gouvernementales. Leur proximité à la population et leur capacité de communication permettent de faire cesser les violations aux droits de l'homme dans de nombreux cas. Mais ces organes n'ont pas toujours les capacités nécessaires pour faire face aux auteurs des violations. On ne peut non plus négliger le rôle des médias et des églises, car grâce à l'essor du câble, de l'Internet et de l'aura de certains hommes d'église184(*), les atteintes aux droits de l'homme sont plus décriées. Ayant subrepticement présenté les organes de protection des droits humains au niveau interne en prenant pour illustration le Cameroun, il est question dès lors d'envisager une analyse critique des techniques internes de protection des droits humains. 2) Un regard critique sur les techniques internes de protection des droits humains Les techniques internes et plus précisément juridictionnelles et administratives sont caractérisées par la lenteur et la lourdeur administrative. Les délais de procédure sont relativement longs et la durée pour rendre une décision de justice ou pour la mettre en oeuvre s'étend généralement à des années. En plus, étant des autorités étatiques, l'impartialité et l'indépendance des membres de ces organes ne sont pas toujours assurés. En outre, le phénomène de corruptions des fonctionnaires de l'Etat touche la majorité des corps de la fonction publique dans certains pays en développement. Aussi, la question de l'immunité de juridiction de la BM doit être soulevée ici. Il convient d'entrée de jeu de préciser que ce n'est point au niveau de l'immunité que la valeur ajoutée de ce recours se manifeste. Ceci étant, force est de relever que l'immunité ne s'impose pas seulement aux autorités internes, mais également aux organes internationaux à l'instar du Panel. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, la BM ne bénéficie pas en tant qu'institution, en tant que personne morale, d'une immunité. La section 3 de l'article VII des Statuts de la BIRD prévoit explicitement que la BM peut être traduite en justice sous certaines conditions. La BM peut être jugée notamment devant une instance de justice nationale dans les pays où elle dispose d'une représentation et/ou dans un pays où elle a émis des titres. Cette possibilité de poursuivre la BM en justice a été prévue dès la fondation de la BM en 1944 et cela n'a pas été modifié jusqu'à présent pour la bonne et simple raison que la BM finance les prêts qu'elle accorde à ses pays-membres en recourant à des emprunts (via l'émission de titres) sur les marchés financiers. A l'origine, ces titres étaient acquis par des grandes banques privées principalement nord-américaines. Maintenant, d'autres institutions, y compris des fonds de pension et des syndicats, en font aussi l'acquisition. Les pays qui ont fondé la BM ont considéré qu'ils n'arriveraient pas à vendre des titres de la Banque s'ils ne garantissaient pas aux acheteurs qu'ils puissent se retourner contre elle en cas de défaut de paiement. C'est pour cela qu'il y a une différence fondamentale entre le statut de la BM et celui du FMI du point de vue de l'immunité. La BM n'en bénéficie pas car elle recourt aux services des banquiers et des marchés financiers en général. Aucun banquier ne ferait crédit à la BM si elle bénéficiait de l'immunité. Par contre, le FMI dispose de l'immunité car il finance lui-même ses prêts à partir des quotes-parts versées par ses membres. Si l'immunité n'est pas accordée à la BM, ce n'est pas pour des raisons humanitaires, c'est pour offrir des garanties aux bailleurs de fonds. Il est donc parfaitement possible de porter plainte contre la BM auprès des juridictions nationales des Etats membres où elle possède une représentation, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou a émis ou garanti des titres. Que peut-on dire de la valeur ajoutée du recours auprès du Panel par rapport aux mécanismes internes ? * 171 Les juridictions ordinaires en droit camerounais sont les juridictions de l'ordre administratif, de l'ordre judiciaire et de l'ordre des comptes étant entendu que selon l'article 38 de la Loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant certaines dispositions de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, « la Cour suprême est la plus haute juridiction de l'Etat en matière judiciaire, administrative et de jugement des comptes ». Les juridictions judiciaires par exemple sont compétentes chaque fois que les droits fondamentaux, les droits et libertés publiques (droit à la vie, droit à l'inviolabilité de la personne humaine, le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, le droit de propriétés entre autres) sont en jeu. * 172 Une juridiction d'exception est celle dont la compétence d'attribution n'est reconnue que de manière exceptionnelle dans des cas précis. V. Lexique des termes juridiques, op. cit. p. 328. Au Cameroun, il s'agit du Tribunal Militaire (Ordonnance N°72/05 du 26 août 1972), de la Haute Cour de justice (art. 53 de la Constitution et Ordonnance N°72/7 du 26 août 1972) et de la Cour de sûreté de l'Etat (Loi N°90/60 du 19 décembre 1960). * 173 Au Cameroun, la Constitution ne reconnaît pas au Conseil constitutionnel la compétence pour la protection des droits et libertés consacrés par le Préambule de cette loi fondamentale. Mais, on peut subodorer en se référant à l'article 47 que cette protection peut être fait à travers le contrôle de la constitutionnalité des lois, des traités et accord internationaux ; ou encore par l'interprétation de la Constitution (art. 34 de la Loi N°2004/004 du 21 Avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. La situation est plus avantageuse au Bénin où la Constitution du 11 Décembre 1990 en son article 114 dispose que la Cour constitutionnelle « garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques ». * 174 J.- C. KAMDEM, Contentieux administratif, Cour polycopié, Yaoundé, 1985-1986, p. 94. * 175 J.- C. KAMDEM, op. cit., p.95 ; l'emprise est la prise de possession irrégulière d'une propriété immobilière par l'Administration. Le juge judiciaire fixe le montant de l'indemnité et ordonne qu'il soit mis fin à l'emprise. V. CS-CA n° 51 du 23 mars 1979, BABA Youssoufa contre Etat du Cameroun. Tandis que le juge administratif apprécie le caractère régulier ou irrégulier de l'emprise. V. CS-CA 30 novembre 1978 ATANGANA Sylvestre contre Etat du Cameroun. * 176 J. - C. KAMDEM, op. cit, p. 99 ; « la voie de fait est une action matérielle de l'Administration entachée d'une grave irrégularité et portant atteinte à certains droits fondamentaux des individus, propriété et libertés publiques définies par la loi ». Les atteintes à la propriété privée concernent par exemple selon la jurisprudence française la violation de domicile ou des sépultures (T.C. 25 novembre 1963, Epoux PELE, JCP 1964, II, 13493, note AUBY, p. 795 ; T.C. 25 novembre 1963, Commune de St Just-Chaleyssin, concl. CHARDEAU, p. 793. En droit camerounais, le juge administratif constate la voie de fait (art. 9 al. 4 de l'Ordonnance 72-6 précité), pendant que le juge judiciaire apprécie le préjudice, détermine le montant des dommages et intérêts (CS-CA n° 22 du 30 novembre 1978, ATANGANA NTONGA Sylvestre contre Etat du Cameroun) et ordonne la cessation de la voie de fait (art. 9 al. 4 de la même Ordonnance). * 177 Elle est régie au Cameroun par l'Ordonnance n° 74-3 du 6 juillet 1974 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation. * 178 Le Tribunal de Première Instance du lieu de la situation de l'immeuble est compétent en cas de contestation sur le montant fixé par le décret d'indemnisation. Art. 13 l'Ordonnance n° 74-3 du 6 juillet 1974 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation. * 179 Dans ce cas on parle de police générale. * 180 Ici on parle de la police spéciale. Par exemple, un Ministre peut prendre des mesures visant la cessation d'une activité, l'interdiction d'une exploitation ; Cf. Décision N°3049/MINEF/DNIEIBBIE/DIT.
* 182 S. V. NTONGA BOMBA, « aspects théoriques : les inspections environnementales », cité par M. E. BOUERDJILLA, op. cit, p. 109. A la suite d'un déversement d'hydrocarbure sur des eaux marines du port de Douala, le contrevenant a déboursé une somme de 50 millions de Francs CFA. * 183 M. E. BOUERDJILLA, ibid, p.60. * 184 Nous pensons ici au Cardinal Christian NTUMI qui dénonce la précarité des conditions de vie des camerounais, les détournements de deniers publics, l'Interruption volontaire de grossesse sans restriction. |
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