Le recours des individus auprès du panel d'inspection de la banque mondiale.( Télécharger le fichier original )par Jean-Eric FONKOU CHANOU Université Yaoundé II-Soa - Master II en Relations Internationales, Filière Diplomatie, Spécialité Contentieux International 2012 |
B) Les recours auprès des instances créées par les Banques Multilatérales de DéveloppementAvant l'examen du Protocole d'accord entre le PIBM et l'unité de vérification de la conformité et de médiation de la BAD (2), nous déterminerons les avantages du recours par rapport aux mécanismes des autres BMD (1). 1) Les avantages du recours par rapport aux mécanismes des autres BMD Une étude importante relative aux mécanismes d'accountability des BMD a été menée en 2005 à l'Université de Georgetown à Washington DC par le Professeur Daniel D. BRADLOW166(*). La première génération de ces mécanismes est représentée par les mécanismes mis en place par la BM et la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et aurait pour dessein l'examen de conformité de l'organisation à ses procédures et politiques. Selon le Professeur, ils n'ont aucune autorité de résolution de problèmes même s'ils peuvent parfois être amenés à mettre en oeuvre ce type d'activité. Le Panel a donc ceci de particulier qu'il est en même temps une instance de conformité et résolution des litiges. Il se distingue du Médiateur de la BAD en ce que ce dernier n'est qu'un organe de résolution des litiges. L'action auprès du Panel se rapproche du modèle 5 développé par le Professeur D. D. Bradlow mais s'en distingue de par sa cohésion. En effet, de l'enregistrement jusqu'à l'enquête, ce sont les mêmes membres qui connaissent déjà le dossier qui vont trancher. Alors que dans l'hypothèse du modèle 5, ce sont des membres différents de ceux qui ont examiné la conformité qui seront désignés. A coté du PI de la BM, cet auteur étudie le Mécanisme d'Investigation Indépendant de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) établi dès 1994 et qui, revu en 2001, repose aujourd'hui sur un coordonateur permanent disposant d'une liste d'experts pour l'examen de conformité des activités de l'organisation. Le Mécanisme d'Accountability de la Banque Asiatique de Développement (BAD), remplaçant en 2003 un système daté de 1995, et qui avec ses deux structures séparées, propose une phase de consultation et une phase d'examen de conformité; le Médiateur ou le Conseiller à l'observation des règles (CAO) commun à la SFI et à l'AMGI qui répond aux plaintes du public affecté, conseille la Direction et supervise les audits concernant les performances sociales et environnementales des deux organisations167(*); le Mécanisme de Recours Indépendant (MRI) de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) qui depuis 2003 permet un examen de conformité des activités du secteur public et privé et initie dans une certaine mesure le règlement des problèmes soulevés ; et le Mécanisme de la Banque Africaine de Développement reposant sur une Unité d'Inspection de Conformité et de Médiation et une liste d'experts. Bien que son étude se concentre sur les mécanismes des BMD, l'analyse comparative agrémente sa réflexion des mécanismes plus sommaires proposés par le Fond Monétaire International (FMI) et les Nations Unies et même de l'organisation nationale qu'est l'Agence de Crédit Canadienne. En menant une comparaison systématique des structures, des procédures opérationnelles et de l'expérience de chacun des mécanismes, l'analyste remarque quelques éléments clés sur lesquels se différencient ces diverses institutions. Les organes assurant l'accountability des BMD se distinguent institutionnellement sur quelques points suivants : la composition de l'institution varie selon la permanence du personnel, du temps plein au système virtuel, ainsi qu'avec les termes du contrat et le mode de nomination. L'étendue de la compétence juridictionnelle varie selon qu'elle permet un contrôle de l'ensemble des politiques de l'institution ou seulement certaines d'entre elles (par exemple, seulement environnementales), permet les plaintes sur des activités publiques et/ou privées, ou encore selon la durée pendant laquelle la plainte reste recevable. L'éligibilité du public à faire une Demande est toujours basée sur la notion de « personne affectée » et ouverte à des représentants, mais ces personnes peuvent devoir constituer un groupe ou se présenter seules, ce qui influe fortement sur le nombre de plaintes reçues. La condition d'une tentative préalable de plainte à la Direction est réclamée par la plupart des procédures à des niveaux de formalité variés hormis les cas où l'institution est axée sur la résolution de problème. Les conditions d'éligibilité de la demande exigent généralement que soit indiqué un lien entre le préjudice allégué et un manquement de l'institution à ses politiques et procédures bien que la charge de cette preuve repose parfois sur le mécanisme d'inspection lui-même lorsque, encore une fois, il se concentre sur la résolution de problème. Les procédures précédent l'autorisation d'enquête et gouvernant la conduite de l'investigation sont assez peu formalisées pour les institutions axées sur le règlement des problèmes tandis que les institutions ayant pour fonction première l'examen de conformité sont sujettes à des règles strictes impliquant la Direction avant toute autorisation d'enquête. La conduite de l'investigation est elle toujours laissée libre et à l'appréciation de l'organe qui enquête. Concernant la décision autorisant l'enquête, elle est généralement laissée, parfois avec des recommandations, à une autorité suprême en forme de Conseil bien que, dans certains cas lorsque le projet n'a pas encore été approuvé, la décision revient au Président de l'institution. Cependant, trois organisations donnent l'entière responsabilité de cette décision à l'organe de contrôle. Le contenu du rapport d'inspection peut aller de la simple restitution des faits, auquel cas la responsabilité d'une solution n'appartient qu'à la Direction, au droit de recommandation, ou encore pour l'Ombudsman, à la présentation des solutions et problèmes à l'origine du résultat constaté. Seulement la moitié des institutions étudiées permettent le suivi des remèdes proposés ou décidés. Un seul mécanisme n'impose pas la publication de l'intégralité des rapports mais un résumé, tous restant nécessairement publiés après la décision du Conseil suprême. Considérant que le rôle de mécanismes indépendants d'accountability permet l'accumulation d'une expérience et d'un savoir unique, il existe une fonction de restitution des « leçons apprises » qui peut être inexistante, autorisée dans les rapports d'investigation ou même attendue dans les rapports annuels. Le type d'analyse demandée est également variable. De cette étude comparative approfondie des divers mécanismes d'accountability mises en place par les BMD, le Professeur BRADLOW tire cinq modèles168(*). Les trois premiers modèles ont en commun d'être des Mécanismes d'Inspection se concentrant sur la conformité de l'organisation à ses politiques et procédures mais diffèrent dans leurs organisations et les possibilités qu'ils offrent. Le quatrième se concentre sur la résolution de problème et le cinquième aborde conformité et résolution de problèmes. La « version 1 du Comité d'Inspection » est proche des mécanismes mis en place par la BAD et la BID. Elle consiste en un Comité d'Inspection faisant le lien entre d'une part le Conseil suprême dont elle est une émanation, et d'autre part une Unité d'Inspection et une importante liste d'experts (nommés par le Conseil et soigneusement isolée de la Direction). L'Unité d'Inspection reçoit les demandes dont elle examine l'éligibilité de base et si on l'enregistre, elle est transmise au Comité dont elle n'assure par la suite que le Secrétariat. C'est le Comité qui examine le rapport d'éligibilité rendu par un des experts qu'il a nommé pour l'enquête, et recommande le Conseil sur une éventuelle inspection. Pour cette investigation, le Comité nomme un Panel d'experts qui rapportent alors des conclusions sur la conformité et des recommandations d'action. C'est à nouveau le Comité qui examine ce rapport et la réponse de la Direction et fait ses propres recommandations au Conseil qui finalement décide. Le Comité est responsable pour le suivi de ces décisions. La « version 2 du Panel d'Inspection à plein temps » provient du modèle qu'a constitué pour beaucoup d'organisations le PI de la BM. Le Conseil nomme un Panel indépendant de trois membres dont seul le Président s'implique nécessairement à plein temps, et le laisse disposer d'un Secrétariat restreint. Le processus global est proche de celui mis en place par la BM à la différence que le Panel peut lui même décider de l'investigation et que la formalisation de la procédure est minimisée. Le Conseil reste l'examinateur et le décideur des rapports et réponses qui lui sont soumis. La « version 3 du Panel virtuel » est un mélange des deux premiers modèles. Un Panel virtuel de trois panelistes, assistés d'un ou deux membres de personnel, ne se formerait et ne serait rémunéré qu'en cas de demande d'inspection pour laquelle le nommé Président peut conduire l'enquête préliminaire. Le processus serait proche de celui du PI de la BM dans une version moins formalisée permettant notamment les entreprises de règlement des problèmes par le Panel qui peut ainsi écourter le processus et ne rapporter au Conseil que la solution consentie. A défaut, le Panel revient à ses critères d'analyse de la conformité des activités de la Direction et soumet au Conseil, qui décide, ses conclusions et recommandations. Le Panel virtuel peut assurer le suivi des actions correctrices (proposées ou décidées) de la Direction ainsi que la rédaction d'un rapport annuel sur les leçons apprises. Le quatrième modèle de l'Ombudsman, proche de celui mis en place par la SFI/AMGI, comprend un expert indépendant hautement réputé s'appuyant sur un personnel de support et se concentrant uniquement sur la résolution de problème. Les critères d'éligibilité de la demande sont souples et fondés sur l'aptitude du problème soulevé à être résolu par des activités de conciliation. S'il s'estime dans l'incapacité d'une résolution, il s'en explique devant le plaignant. Dans le cas contraire, il entreprend la résolution du problème selon des procédures souples. Quelle que soit l'issue de ses activités, il remet un rapport analytique au plaignant, à la Direction et au Conseil ainsi qu'un rapport annuel contenant ses « leçons apprises ». Le Médiateur assure le suivi-conseil de la mise en oeuvre de la solution trouvée mais sans entreprendre d'examen de conformité qui pourrait endommager la relation de confiance avec le personnel de la Direction sur laquelle repose le succès de son activité. Enfin, le cinquième modèle est celui du Mécanisme d'Examen de Conformité et de Résolution des Problèmes (MECRP). Il comprend un Directeur du MECRP expérimenté de l'organisation et une liste d'experts nommés par le Conseil. Le Directeur reçoit des demandes précisant l'origine d'un préjudice dans les manquements de l'organisation à ses politiques et procédures et spécifiant si la requête concerne l'une ou les deux fonctions du mécanisme. Le Directeur contrôle l'éligibilité de la demande, évalue si la requête spécifiée convient à la situation et informe dans un rapport motivé le Président de l'organisation et le plaignant. Suite au succès ou à l'échec de l'entreprise de la résolution de conflit, le Directeur remet un rapport au Président, Conseil et plaignant et indique s'il conseille la poursuite par un examen de conformité, auquel cas l'autorisation du Conseil devient nécessaire. L'examen de conformité peut donc résulter de trois situations : la requête spécifiée dans la Demande est acceptée, ou du fait de la recommandation du Directeur suite à son évaluation de la Demande, ou suite à l'entreprise de résolution de conflit. Conduit par deux experts assistés du Directeur (qui les recommande au Conseil), le rapport d'investigation présente au Conseil ses conclusions sur la conformité des activités de la Banque et recommande des actions correctrices. Le Conseil examine le rapport et la réponse de la Direction et décide des actions à entreprendre. Le Directeur prépare un rapport annuel sur le fonctionnement de ses deux activités d'accountability analysant les succès et échecs et les leçons apprises. Toutefois, contrairement à ce qu'affirme le Professeur D. Bradlow, on peut affirmer que le recours auprès du Panel appartient plutôt au modèle 5, car les conclusions du Deuxième bilan sur le Panel élaboré par le Conseil d'administration précisent clairement que le Panel n'est pas compétent pour connaître de la conformité des projets aux politiques et procédures opérationnelles de la Banque. Bien au contraire, il connaît des affaires dans lesquelles la violation d'une politique de la Banque a causé des effets néfastes sur les personnes. « Le Panel n'a pas pour mandat de s'assurer que la Banque a agi conformément à l'une quelconque de ses politiques et procédures mais, aux termes de la Résolution, d'examiner les cas où la Banque n'aurait pas respecté ses politiques ou ses procédures opérationnelles concernant la conception, l'évaluation et/ou l'exécution d'un projet (y compris les situations où la Banque aurait omis de veiller à ce que l'Emprunteur honore les obligations que lui confèrent les accords de prêt vis-à-vis de ces politiques ou procédures) »169(*). Le Panel de la BM permettrait selon ces dispositions de résoudre exclusivement les situations conflictuelles. Ce qui n'est pas absolument vrai à l'analyse. En réalité, le Panel procède à l'examen des cas où la BM n'aunait pas respecté ses politiques opérationnelles, mais en filigrane, il effectue un contrôle de conformité des activités de la BM à ses politiques opérationnelles. On est alors juste dans une inversion de priorité. Par cette attribution, on a voulu permettre au Panel de traiter les recours des individus et non les activités de la BM en priorité. Même si les deux sont liés, la priorité dans l'esprit du texte est de protéger les personnes victimes des projets de la BM. C'est en cela que l'action des individus auprès du Panel est avantageuse par rapport aux mécanismes d'autres BMD, du moins si on se limite aux conclusions du Deuxième Bilan sur le Panel. Comment s'articule la coopération entre le panel et les autres instances de contrôle des BMD à l'aune du cas de l'unité de vérification de la conformité et de médiation de la BAD ? 2) Le Protocole d'accord entre le PIBM et l'unité de vérification de la conformité et de médiation de la BAD Ce Protocole est adopté le 28 novembre 2007. Le PIBM et l'Unité de Vérification de la Conformité et de Médiation (U.V.C.M.) du Groupe de la BAD s'engagent à coopérer sur certains aspects de leurs investigations respectives à propos des Projets de production d'électricité par un promoteur privé (Bujagali)/d'hydroélectricité et d'interconnexion de Bujagali (Ouganda). Le Protocole d'accord expose les éléments de cette coopération centrée sur le recours à des consultants pour aider le Panel d'inspection et l'UVCM à réaliser leurs enquêtes sur le Projet170(*). Cette coopération a pour objectif de favoriser l'efficience, de sorte que chaque entité soit à même de mener son enquête de manière efficace, en cohérence avec le mandat et l'indépendance de chacune d'elles. Les deux entités mènent des enquêtes sur la base de l'autorisation du Conseil d'administration de la BM (18 mai 2007) et de celle du Conseil d'administration de la BAD (7 septembre 2007) afin de déterminer si la BM et la BAD ont respecté leurs politiques et procédures au cours de la conception, de l'évaluation et de la supervision du Projet de production d'électricité par un promoteur privé en Ouganda. Le Panel d'inspection et l'UVCM ont, en tant que de besoin, assigné aux consultants des termes de référence distincts pour leurs missions qui portent sur un certain nombre de sujets et de problèmes communs aux enquêtes. Il est prévu qu'à tout moment, chaque entité du Panel d'inspection ou de l'UVCM, pourra appliquer ses propres politiques et procédures à ses propres enquêtes et tirera, de façon indépendante, ses propres constats et conclusions quant aux questions de préjudice, en application des politiques et procédures respectives de la BM et du Groupe de la BAD. Le Panel et l'UVCM ont l'intention de procéder à une visite conjointe de terrain dans la zone du Projet, dans le cadre de leurs enquêtes. Le Panel d'inspection et l'UVCM sont convenus qu'il serait équitable de procéder à une répartition entre eux du temps et des coûts de déplacement des Consultants pour leur participation à la visite conjointe. Le Panel d'inspection et l' UVCM ont chacun l'intention de financer une part équitable du travail des Consultants pour couvrir les coûts de l'élaboration, par chacun, d'un projet de rapport sur les problèmes factuels et techniques abordés selon leurs termes de référence. Ce document sera reconnu comme étant le « Rapport commun ». Il traitera des questions d'intérêt et de préoccupation communes aux enquêtes respectives. Chaque institution procèdera séparément et indépendamment à des interviews du personnel et des consultants pertinents des entités respectives, impliqués dans le Projet, dans le droit fil de ses propres procédures. La coopération et le partage de l'information entre le Panel d'inspection et l'UVCM seront soumis aux impératifs de confidentialité et de diffusion de l'information de chacune de ces institutions. Si les deux entités ont le droit de partager les rapports et l'analyse des suites à donner fournis par les consultants, il n'en demeure pas moins que ces documents ainsi que toute autre information collectée et produite par les consultants restent soumis aux impératifs de confidentialité applicables, y compris ceux contenus dans les termes de référence et lettres de recrutement ou contrats respectifs. Les deux entités estiment que cet effort de coopération est sans doute le premier du genre, et que des circonstances ou autres facteurs imprévus peuvent surgir, créant des difficultés par rapport à l'un ou plusieurs des aspects mentionnés ci-dessus. En conséquence, chaque entité considère que les éléments ci-dessus devront être appliqués avec une certaine souplesse pour permettre des modifications et des ajustements, en tant que de besoin, à la lumière des circonstances se présentant. Le Panel d'inspection et l' UVCM concluent les accords ci-dessus de bonne foi et dans un esprit de coopération, à l'appui de leurs missions et mandats respectifs. Les avancées par rapport aux mécanismes internes de protection des droits des individus doivent être maintenant étudiés, étant entendu que nous venons d'achever l'examen des apports du recours auprès du Panel par rapport aux autres mécanismes internationaux. * 166 D. D. BRADLOW, Private Complaints and International Organizations : A comparative study of the independent inspection mechanism in international Financial Institutions, Georgetown Journal of International Law, Vol. 36, Winter Issue, 2005, 92 pp, cité par FOSSARD (R), L'institution du Panel d'inspection, fer de lance de la « Banque Mondiale accountable » ou archaïsme dans la gouvernance globale ?, Mémoire de Master en « Analystes Politiques et Sociaux », Spécialité Organisation internationale, OIG, ONG, Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, 2008, p. 41. * 167 Il faut noter que le CAO est responsable devant le Président de la BM, et est indépendant de la Direction et du Conseil d'Administration. V. C. CHAMBERLIN, « La Société Financière Internationale et l'Agence Multilatérale », BIC, 2005, www.bicusa.org, p.5. * 168 D. D. BRADLOW, Private Complaints and International Organizations : A comparative study of the independent inspection mechanism in international Financial Institutions, op. cit. pp. 38 et s., cité par FOSSARD (R),op. cit, pp. 43-45. * 169 Les conclusions du Deuxième bilan sur le Panel, 17 Octobre 1996. * 170 Art.1 du Protocole. |
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