Le recours des individus auprès du panel d'inspection de la banque mondiale.( Télécharger le fichier original )par Jean-Eric FONKOU CHANOU Université Yaoundé II-Soa - Master II en Relations Internationales, Filière Diplomatie, Spécialité Contentieux International 2012 |
PREMIERE PARTIE : UN MECANISME FAVORABLE AU RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES DROITS HUMAINSSuite aux conséquences sociales et environnementales des projets financés par la BM, la nécessité d'un organisme indépendant de protection des droits humains a été proposée par des ONG et des scientifiques. Le Panel ainsi institué « n'a pas pour mandat de s'assurer que la Banque a agi conformément à l'une quelconque de ses politiques et procédures mais, aux termes de la Résolution, d'examiner les cas où la Banque n'aurait pas respecté ses politiques ou ses procédures opérationnelles concernant la conception, l'évaluation et/ou l'exécution d'un projet (y compris les situations où la Banque aurait omis de veiller à ce que l'Emprunteur honore les obligations que lui confèrent les accords de prêt vis-à-vis de ces politiques ou procédures) »88(*). Ce faisant, la Résolution relative au Panel d'inspection de la BM a permis aux individus de bénéficier d'un droit d'action pour sa saisine. Dans cette partie nous allons répondre à la question principale de savoir en quoi le recours a-t-il contribué au renforcement de la protection des droits humains dans le cadre des projets financés par la BM ? Avant de déterminer l'apport du recours à la protection des droits humains (Chapitre II), il conviendra de présenter le cadre juridique qui régit cette voie d'action et son opérationnalité (Chapitre I). Chapitre I : UNE OUVERTURE DE LA BANQUE MONDIALE A LA PROTECTION DES ROITS HUMAINSLa saisine du Panel par les victimes est effective depuis 1994 date à laquelle les membres de cette institution ont été désignés (Section II). Mais, les règles qui encadrent cette voie d'action méritent au préalable d'être présentées (Section I). Section 1 : Les assises juridiques du recoursEn tant que droit subjectif, le recours est une prérogative reconnue aux particuliers et qui s'exerce à l'égard de certaines personnes (§I). Cette prérogative reconnue a un objet défini qu'il conviendra également d'analyser (§II). §I- La reconnaissance et l'exercice de l'action.La consécration du recours (A) et l'examen des règles qui régissent son exercice constitueront la trame de ce paragraphe (B). A) La reconnaissance de l'action.Un droit subjectif (3) ne naît que par une règle juridique objective qui en constitue le fondement (1). Bien plus la valeur juridique de ce droit d'action est certaine (2). 1) Le fondement de l'action. Le fondement de l'action, ne renvoie pas à une conception positiviste89(*) qui pourrait se limiter au droit effectif, au droit positif90(*), au droit en vigueur ou applicable régissant le recours. Auquel cas, il suffit de se référer à l'article 12 de la Résolution N° BIRD 93-10 et N° AID 93-6 du 22 septembre 1993 portant création du Panel d'inspection de la Banque Mondiale pour avoir l'esprit clair. Cet article dispose en effet que : « Le Panel reçoit des demandes d'inspection qui lui sont présentées par une partie affectée, autre qu'un particulier (communauté de personnes, organisation, association, société ou autre groupe d'individus), sur le territoire de l'emprunteur ». Mais, on va considérer que l'étude du fondement juridique de ce recours va au-delà d'une approche positiviste, pour intégrer une dimension jusnaturaliste91(*). Les philosophes grecs de l'Antiquité ont estimé à cet effet qu'il existe des lois supérieures aux lois du droit positif92(*) et qui ont leur fondement dans la raison93(*). Ainsi, au coeur de cette conception, la dignité humaine est le fondement des droits dont bénéficie la personne humaine. Considérée comme l' « irréductible humain », « ce qui fait l'humanité de l'homme » et le distingue par là des choses et des animaux, la dignité humaine n'est plus seulement une valeur, elle est désormais un principe consacré par des textes internationaux comme la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), la Charte des Nations Unies (Préambule), la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 14), la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (article 5) et le Statut de la Cour Pénale Internationale. Les droits dont le recours a pour fonction de protéger s'inscrivent dans cette logique en ce sens que, du fait de l'impératif d'améliorer les conditions de vie de l'homme, les projets et programmes financés par la BM ne doivent pas nuire au droit à un environnement sain, au droit de propriété, au droit à la santé des individus entre autres, au risque de heurter cette valeur essentielle que constitue la dignité humaine. En outre, l'action auprès du Panel ne se limite pas à protéger la dignité de la personne prise isolément, elle protège également les peuples, et plus précisément les peuples autochtones. Le droit international a intégré la valeur du groupe à travers les notions de peuples autochtones ou indigènes. En effet, la Charte des Nations Unies évoque déjà l'idée de peuple en son Préambule, « le principe de primauté des intérêts des habitants des territoires non autonomes » (art. 73), et la Charte africaine suscité parle du « respect des droits des peuples » (Préambule et articles 19 et s.). La Charte des Nations Unies, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que la Déclaration et le Programme d'action de Vienne, affirment l'importance fondamentale du droit de tous les peuples de disposer d'eux-mêmes. A côté des peuples, on a désormais les peuples autochtones dont les droits sont consacrés internationalement par la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones du 13 septembre 2007. La dignité humaine et la dignité des peuples autochtones constituent les fondements de l'action auprès du Panel. A présent, il faut analyser la nature et la valeur juridique du recours. 2) Un droit d'une autorité juridique confortable Le recours comme on l'a déjà souligné est un droit d'action qui s'apparente ici au droit d'agir en justice ou droit d'accès au juge. C'est un droit qui émane du droit au juge qui présente deux aspects : le premier est objectif et traduit « l'action en justice, liberté abstraite et générale »94(*). Et le second est subjectif, c'est-à-dire un droit d'agir en justice dans un litige. En outre, selon J.-M. Rainaud, le droit au juge est « non seulement la possibilité de saisir le juge, mais aussi celle d'obtenir un jugement et d'exiger l'exécution de la décision »95(*). Pour ce travail, on va retenir que « le droit d'accès au juge est un droit qui permet non seulement de saisir effectivement le juge sans entraves financières ou juridiques excessives mais encore d'être entendu par ce juge et d'obtenir un jugement »96(*). C'est dire qu'on est en présence d'un droit subjectif certes, mais surtout d'un droit fondamental aussi bien dans son acception substantielle97(*) que formelle98(*). En outre, c'est d'un droit consacré par certains instruments internationaux comme la DUDH, l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 7 (a) de la Charte africaine. Ce qui nous amène parlant de sa valeur juridique au Cameroun à soutenir qu'il est de valeur conventionnelle et constitutionnelle. En effet, au Cameroun, le Préambule de la loi N°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, elle-même modifiée et complétée par la Loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 affirme l'attachement du peuple camerounais aux libertés fondamentales inscrites dans la DUDH, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine, et toutes les conventions internationales y relatives. La Résolution qui crée le Panel n'est pas une convention internationale, mais c'est un acte unilatéral international contraignant pour les Etats membres de la BM. De plus, les droits de l'homme font partie des politiques et procédures opérationnelles que le Panel doit contrôler. En cela, le droit d'action reconnu aux individus est un droit fondamental, même s'il s'exerce auprès d'une instance quasi-juridictionnelle. D'ailleurs, force est de relever que c'est un droit fondamental qui revêt également la nature d'une prérogative juridique. 3) L'action comme un droit subjectif Bien plus, le droit d'action est un droit subjectif dont les titulaires sont clairement identifiés. En effet, conformément à l'article 12 de la Résolution sur le Panel, cet organisme « reçoit les demandes qui lui sont présentées par une partie affectée autre qu'un particulier (communauté de personnes, organisation, association, société ou groupe d'individus) (...) ou par le représentant local d'une partie ou un autre représentant dans les cas exceptionnels où la partie soumettant la demande prétend qu'elle ne dispose pas d'une représentation appropriée à l'échelon local et où les Administrateurs en conviennent lorsqu'ils examinent la demande d'inspection ». Au vu de cette disposition, on constate que le titulaire du droit est « une partie affectée ». Que doit-on entendre par cette expression ? La Résolution souligne qu'une « partie affectée » est une « communauté de personnes, organisation, association, société ou autre groupe d'individus » ayant subi un préjudice résultant des projets financés par la BM. Autrement dit, il s'agit de « tout groupe d'au moins deux personnes partageant des préoccupations ou des intérêts communs »99(*). Il ressort de cette disposition deux catégories de bénéficiaire de l'action. La première est celle d'un groupe d'individus lésés ou affectés, doté ou non de la personnalité juridique, et la seconde est celle des représentants. S'agissant du groupe d'individus, on constate que des illustrations sont données : il s'agit d'une communauté de personnes c'est-à-dire un ensemble d'individus qui sont liés par un élément commun comme la langue, la tribu. Les communautés autochtones entrent dans cette catégorie. Une organisation est dans l'esprit de cette Résolution aussi bien les organisations internationales intergouvernementales (O.I.G.) que les organisations internationales et nationales non gouvernementales (O.I.N.G. et ONG). Quant aux associations, il s'agit des associations religieuses ou civiles qu'elles soient à but lucratif ou non lucratif. Pour les sociétés, elles renvoient aux entreprises commerciales et même aux sociétés à capital public. Les textes précisent qu'aucun particulier pris isolément ne peut exercer ce recours100(*). Par rapport à la seconde catégorie à savoir les représentants, ce sont des mandataires qui agissent au nom et pour le compte des parties lésées. « Un représentant local, tel qu'une ONG, dûment mandaté, peut porter plainte de la part des personnes directement touchées, sur autorisation spécifique de ces personnes »101(*). Les personnes habilités à représenter les OIG ou OING dans les représentations des pays où elles sont créées peuvent aussi saisir le Panel. La Résolution exige que les représentants non locaux c'est-à-dire, ceux qui ne sont pas situés dans l'Etat bénéficiaire du projet, ne doivent être désignés qu'exceptionnellement dans les circonstances où il n'existe pas de représentation locale ou que, bien qu'existant elle ne peut exercer véritablement sa mission. Mais, il faut que les Administrateurs de la BM autorisent cette représentation faite par des représentants non locaux102(*). De surcroît, le droit d'action auprès du Panel, est certes une prérogative qui bénéficie à des titulaires, mais la question est de savoir quels en sont les débiteurs. A l'analyse, puisque c'est de la responsabilité de la BM qu'il est directement question auprès du Panel, c'est elle qui en est la principale débitrice. Ainsi, les obligations de la BM dans la mise en oeuvre de ce droit sont de deux ordres. Il s'agit, d'une part, des obligations positives qui obligent la BM à assurer un accès aisé au juge et, d'autre part, des obligations négatives, qui la contraigne à ne pas entraver de façon excessive cet accès. L'Etat également, à titre secondaire en tant que membre de la BM est soumis au respect de ces obligations. Il était question de dégager quelques règles qui entourent la reconnaissance du droit d'action. A présent, penchons nous sur son exercice. * 88 Conclusions du Deuxième Bilan du Panel d'Inspection réalisées par le Conseil d'Administration (20 Avril 1999). * 89 Voir F. P. AMSELECK, « L'héritage jusnaturaliste du positivisme juridique », www.bilbliojuridica.org, pp 55-67. Le positivisme juridique s'entend de la théorie en vertu de laquelle le droit émane des normes juridiques auxquels les individus se conforment effectivement (p. 56). Pour le juriste positiviste, une norme n'est obligatoire que s'il existe une norme qui prévoit l'obligation de se conformer au droit (p.64). « Pourquoi le droit est-il obligatoire ? Pourquoi doit-on obéir au droit ? C'est la problématique du fondement du droit auquel H. Kelsen dans le souci d'une neutralité idéologique estime que le droit émanant des pouvoir publics n'est obligatoire qu'à la condition de supposer qu'on doit obéir au droit. Or, H. Kelsen se pose cette question de manière positiviste, comme si c'est une question qui peut être résolue sans résonnance idéologique ou morale, comme si c'est une que question que l'objet posé poserait à l'observateur et que celui-ci pourrait résoudre à l'aide de méthode expérimentales, comme si s'était une question susceptible d'être posée et résolue avec objectivité. Les positivistes n'ont donc pas fait avancer la réflexion sur le fondement du droit, au contraire, il réaffirme par une « révolte antiidéologique » le jusnaturalisme ». (p. 65). * 90 Selon H. KELSEN, le droit positif est le droit posé dans le temps et dans l'espace par le législateur, la communauté. Selon ce dernier, ce droit posé se confond au droit effectif. Voir F. P. AMSELECK, « L'héritage jusnaturaliste du positivisme juridique », www.bibliojuridica.org, p. 57. Or le droit positif ne doit pas se confondre avec le droit effectif c'est-à-dire celui auquel les destinataires se conforment. Le droit positif est le droit posé, le droit édicté. Ibid, p. 67. * 91 V. M. VIRALLY, La pensée juridique, Paris, 1960, p. xiv. ; G. RIPERT, Droit naturel et positivisme juridique, Marseille, 1918, p. 32. Ces derniers déplorent « l'échec » et l'impuissance » du positivisme juridique à nous révéler pourquoi nous devons obéir au droit. Cités par F. P. AMSELECK, loc. cit., pp. 65-66. * 92 Voir l'Antigone de Sophocle ; B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, Introduction générale au droit, Paris, LGDJ, 2003, p. 27. * 93 Ph. JESTAZ, « L'avenir du droit naturel ou le droit de seconde nature », R.T.D.civ., 1983, 233 et s. cité par B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, idem. * 94 J. ANRIANTSIMBAZOVINA et autres (dir.), Dictionnaire des Droits de l'Homme, Paris, PUF, 1ère éd., 2008, p. 306. * 95 J. - M. RAINAUD, « Le droit au juge devant les juridictions administratives » in J. RIDEAU (dir.), Le droit au juge dans l'Union Européenne, 1998, p. 34, cité par B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun », Revue Africaine de Sciences Juridiques, Vol. 4, n°1, 2007, p. 171. * 96 V. M.- A. FRISON-ROCHE, « Le droit d'accès à la justice et au droit » in R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE, Th. REVET (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 12ème éd., 2006, p. 541, citée par B.- R. GUIMDO DONGMO, idem. V. également, M.- L. NIBOYET-HOEGY, « Action en justice », Répertoire internationale Dalloz, 1998, 15 pp. * 97 Dictionnaire des Droits de l'Homme, op. cit. p. 332. Un droit fondamental est un ensemble de « droits et libertés attachés à l'individu qui fondent le primat ontologique de l'être humain sur la société et le groupe ». * 98 Ibid, p. 332. Un droit fondamental est un ensemble de « droits et libertés qui s'imposent aux pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel parce qu'ils sont protégés par la Constitution de l'Etat et les traités auxquels celui-ci est partie ». * 99 Conclusions of the First Board Review of the Inspection Panel as adopted by the Board on April 20, 1999. * 100 Nous reviendrons sur cette exclusion infra pp 121-122. * 101 D. L. CLARK, « Guide du Citoyen sur le Panel d'Inspection de la Banque Mondiale », CIEL, 1999, p. 10. * 102 Quel crédit accorer à cette médiation des Administrateurs de la BM ? En réalité, cela participe de la pesanteur à l'indépendance fonctionnel du Panel, dont les enquêtes sont une fois de plus autorisées par les Administrateurs de la BM. A cela, il faut ajouter que les recommandations du Panel sont soumises à l'appréciation du Conseil d'Administration. Ceci démontre que la protection des droits humains n'est pas une priorité au sein de la BM. Voir nos développements ultérieurs, pp. 113-114. |
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