VI- Revue de littérature
Aborder la thématique de l'accès à la
justice administrative revient d'abord à recadrer la
problématique de la justice administrative dans le vaste champ du droit
administratif.
20 Daniel Lochak, La justice administrative,
op.cit., p. 159.
21 F.M Sawadogo, « L'accès à
la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives. Le cas du
Burkina Faso », RJPIC, n°2, 1995, p168.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
10
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Lato sensu, le droit administratif s'entend comme
l'ensemble des règles juridiques applicables à l'activité
de l'administration, que celles-ci soient des règles de droit
privé ou qu'elles soient différentes de ces dernières.
Stricto sensu, on réserve l'expression de
droit administratif pour désigner les seules règles originales,
c'est-à-dire distinctes de celles du droit privé. En effet, si de
nombreux ouvrages étudient les seules règles spéciales
à l'administration, il faut noter qu'ils ne décrivent pas dans sa
totalité, les règles applicables à cette
l'administration22.
La construction d'un édifice de droit administratif est
symptomatique du principe de la soumission de l'administration au droit de par
la responsabilité administrative23 qui peut être soit
contractuelle24 soit extracontractuelle25. En effet, si
le maintien de l'irresponsabilité de l'Etat a été pendant
plusieurs années condamné, l'ampleur des dommages dus à
l'administration relativement au développement de son action et de la
puissance de ses moyens faisait de leur réparation une
nécessité. La responsabilité de l'Etat devait ainsi avoir
un fondement et un régime bien établis26. Cette
responsabilité de l'administration puissance publique ainsi
établie et consacrée, met en érection la
problématique du contrôle de l'administration et donc de la
justice administrative qui somme toute est un service public,
c'est-à-dire « la clé de l'application du droit
administratif »27.
En effet, le service public dont parle Jacques Chevallier dans
son opuscule, se caractérise principalement et
généralement par le droit d'accès car aux yeux de tous les
citoyens, la justice est un recours, une sécurité, un rempart et
surtout un symbole, qui est celui de l'égalité de tous devant le
droit.
Ce postulat aussi exact et porteur de sens soit-il ne
satisfait pas pour autant André Rials qui pousse la réflexion en
alléguant du fait que, pour que la justice soit rendue, il faut encore
que le justiciable puisse la saisir et qu'il ne soit pas retenu par des
contraintes matérielles compte tenu du fait que «
l'accès à la justice est un corollaire de l'Etat de
22Lire sur la question et avec
intérêt, Réné Chapus, Le service public et la
puissance publique, RD. Publ. ,1968 et P. Amseleck, Le service public
et la puissance publique, AJDA, 1968, 492 pages.
23 Jean Moreau, « La responsabilité
administrative », Presses Universitaires de France, Que sais-je
?, 1995.
24A. De Laubadère, Les
éléments d'originalité de la responsabilité
contractuelle de l'administration, Mélanges Mestre, p383.
25 Jean Waline, « L'évolution de la
responsabilité extracontractuelle des personnes publiques »,
EDCE, 1995, n°46, p459.
26Lire dans cette direction, Benoit, « Le
régime et le fondement de la responsabilité de la puissance
publique », JCP, 1954, I, n°1178.
27Jacques Chevallier, Le service public,
Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p 18.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
11
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
droit »28. Pour l'auteur, cela
signifie et est coextensif à la possibilité pour chaque citoyen
de pouvoir recourir à la justice. Il s'interroge de ce fait, sur la
valeur de cette égalité de droit, pour le citoyen lambda, qui
n'aurait pas les moyens de supporter la charge d'une procédure.
Or, Bernard Raymond Guimdo, pense que l'accès à
la justice et par conséquent à la justice administrative est un
droit fondamental. Il le démontre en prenant pour cadre
référentiel l'Etat du Cameroun, notamment dans son article «
le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun :
Contribution à l'étude d'un droit fondamental
»29. L'auteur y démontre que, le droit d'accès au
service public de la justice administrative est consacré, parce qu'il
est d'une part reconnu par les textes internationaux applicables au Cameroun,
ainsi que par la constitution et la jurisprudence nationales, notamment les
affaires CS/CA, jugement n°7/79-80 du 29 novembre 1979, Essomba Marc
Antoine/Etat du Cameroun et CS/CA, jugement n°40/79-80 du 29 mai 1980,
Monkam Tientcheu David/Etat du Cameroun, et d'autre part, parce que le
constituant et le législateur camerounais ont organisé la
structure organique et matérielle du service public de la justice
administrative ainsi que la procédure qui permet d'y accéder.
Mais cette conception réductionniste et « pro-
juridiciste » de l'accès à la justice administrative ne
semble pas convaincre certains chercheurs et doctrinaires administrativistes.
Dans cette veine, Maurice Kamto30 et Luc Sindjoun31
pensent que, si la procédure que le justiciable doit respecter devant le
juge administratif demeure encore une bastille à prendre en raison du
fait qu'elle est le domaine le moins connu ou le plus méconnu par les
justiciables, « elle est devenue le cimetière où vont
s'enterrer les prétentions contentieuses des requérants ».
Ces auteurs formulent des réserves à l'égard de
l'enthousiasme et du constat établi par Bernard Raymond Guimdo, sur la
consécration de l'accès à la justice administrative en
qualité de service public car en la réalité, bien que- il
importe de le noter- il n'ait pas entièrement tort, Bernard Raymond
Guimdo célèbre le primat de sa chapelle car, son constat, son
analyse et son raisonnement subissent la dictature de son positionnement,
c'est-à-dire un positionnement « pro-juridiciste »,
mettant ainsi en avant le sens et l'interprétation. Sommes-
28André Rials, L'accès à la
justice, Paris, Presses universitaires de France, 1ère
édition, 1993, p 9.
29Bernard. R. Guimdo, « le droit
d'accès à la justice administrative au Cameroun : contribution
à l'étude d'un droit fondamental », op.cit., p 159-216.
30Notamment dans son ouvrage, Droit
administratif processuel du Cameroun. Que faire en cas de litige avec
l'administration, guide pratique, Presses Universitaires du Cameroun,
1990.
31Luc Sindjoun, « A propos du droit
administratif processuel au Cameroun : l'invention du bon justiciable, la
production de la croyance dans le juge et la distinction contentieuse de l'Etat
», in Revue juridique Africaine, Maurice Kamto et Paul
Gérard Pougoué (dir), 1992, 1993, p 215.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
12
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
nous donc surpris par les réserves émises par
Maurice Kamto qui lui, a certainement fait usage des procédés
« pro-sociologiques » c'est-à-dire le terrain, par exemple la
consultation des minutes des greffes de la Chambre Administrative de la Cour
Suprême pour pouvoir rendre compte du déclin du contentieux
administratif camerounais « en volume mais surtout en
qualité au regard de son potentiel »32, et
conclure qu'il s'agit dans une certaine mesure d'une « matière
ésotérique »33.
Toutefois, un autre débat aussi important et houleux
à diviser la doctrine administrativiste. Le débat dont il s'agit
oppose les adversaires aux partisans de la juridiction administrative. En
effet, les adversaires de la juridiction administrative mettent en avant
l'argument de la pluralité de l'ordre de juridiction dans la
résolution des litiges auxquels fait partie l'administration comme
inanité de l'existence d'une juridiction spécialisée dans
le contentieux de l'administration. Ainsi, compte tenu du fait que les litiges
auxquels l'administration est partie peuvent être connus aussi bien par
un juge judiciaire que par un juge constitutionnel, il est peu
nécessaire de créer une juridiction spécialisée
dans le contentieux né de l'action de l'administration puissance
publique.
Au demeurant, il est possible de lire dans les pensées
de ceux que nous pouvons nommer sous le vocable des « adeptes de
l'inanité de la juridiction administrative », le fait que, la mise
sur pied ou la création d'une juridiction administrative ne serait qu'
une exaltation princière de la chose publique dont on voudrait en
restreindre la portée et le contrôle.
Cette lecture des choses et de la réalité ne
satisfait pas les partisans de la juridiction administrative qui eux, voient en
elle un réel moyen de contrôler l'administration de son arbitraire
et une réelle soumission de l'Etat au droit, qui se caractérisent
par la responsabilité de la puissance publique. A l'analyse des
arguments proposés par les partisans de la juridiction administrative,
qui la considère comme un véritable rempart contre l'arbitraire
administratif, l'on est tenté de s'interroger sur l'impact du contexte
d'émergence de la responsabilité administrative ou tout
simplement du droit administratif. En effet, la monarchie parlementaire dont la
fin a été consacrée par la révolution de 1789 en
France a certainement laissé des séquelles dans l'imagerie et la
nostalgie populaires. Les extrémistes y afférents avaient alors
induit une attitude contestataire auprès des populations, car
l'administration était
32Maurice Kamto, Droit administratif processuel du
Cameroun, op.cit., avant-propos. 33Idem.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
13
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
toute puissante. Compte tenu de cet état des choses, il
fallait restreindre l'expression de cette toute puissance de l'administration
à l'aune d'un droit qui devait consacrer également sa
responsabilité juridique, laquelle devrait être établie par
une juridiction administrative.
Au regard de toutes ces considérations et à la
consultation de cette littérature nous avons deux tendances qui se
dégagent : la première consiste à considérer la
justice administrative comme un service public dont les modalités
d'accès sont brillamment consacrées, et nécessaires pour
soumettre l'administration au droit, dans cette logique, la juridiction
administrative est d'une nécessité impérieuse et l'autre
en revanche consiste à dire que la justice administrative est un service
public dont l'accès est limité.
Le positionnement qui est nôtre consiste d'une part
à corroborer que la justice administrative est non seulement un service
public à part entière à l'instar de l'éducation ou
encore de la santé, et que la juridiction administrative- au grand dam
de ses adversaires- à toute sa place, et d'autre part à penser
que l'accès à la justice administrative est un service public
spécial.
|