CONCLUSION
Les politiques publiques d'accès à la justice
administrative au Cameroun ne se sont pas intégrées dans une
logique relationnelle, mais plutôt dans un registre unilatéral.
Elles ont été implémentées par le biais des
instruments de l'action publique à l'instar des normes et des lois. Mais
cette politique ne trouve réellement pas ça pertinence dans la
région de l'Est car l'exercice de la justice administrative y reste
encore très prisée.
Ce manque de pertinence de la politique publique
d'accès à la justice administrative notamment dans la
région de l'Est, se démontre de par la connaissance de
l'existence d'un T.A dans cette région par les populations, qui est de
16%, ou encore par le biais de la connaissance même ce qu'est la justice
administrative par les populations dont le pourcentage est de 20%. En outre,
seul 15% de la population de la région de l'Est connait l'utilité
d'un juge administratif, et la procédure de saisine de ce juge
administratif n'est connue qu'à 6% par les populations de la
région de l'Est. Cette quasi-ignorance et ce
désintérêt profond pour les causes de justice
administrative dans la région de l'Est-ce caractérise
également par une méconnaissance accrue de l'existence d'une
assistance judiciaire qui n'est connu qu'à 4% par l'ensemble de la
population.
Cette crise de la pertinence de la politique de
décentralisation de la justice administrative ne peut donc pas lui
permettre d'être efficace. Dans cette direction il importe de
réaménager ou davantage de réformer l'accès
à la justice administrative au Cameroun aussi bien dans son exercice que
dans son expression, pour en garantir l'accès à tous, la
protection des droits de justiciables, la bonne administration de justice
administrative et enfin la promotion de l'Etat de droit.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
87
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
CHAPITRE IV :
VERS UNE JUSTICE ADMINISTRATIVE ACCESSIBLE A TOUS
: ESSAI DE THERAPIE POUR UNE BONNE GOUVERNANCE DE LA JUSTICE
ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN
INTRODUCTION
La réforme des politiques publiques d'accès
à la justice administrative n'a pas fondamentalement résolu le
problème de l'accès au juge administratif dans toute
l'étendue du territoire camerounais en général et
davantage dans la région de l'Est. En effet, l'évaluation des
politiques publiques appréhendée comme un avatar de la
planification163témoigne du déficit de concertation
dans les logiques d'implémentation de la politique de
décentralisation de la justice administrative au Cameroun.
De prime à bord, une politique publique est
censée avoir des impacts considérables sur les perceptions et les
comportements des populations cibles auxquelles elle s'applique. La pertinence
d'une politique publique se mesurant ainsi par ce biais, permet dans le cas
échéant de remarquer que l'institutionnalisation de la
juridiction administrative dans la région de l'Est n'a pas
fondamentalement modifié les représentations et perceptions des
populations de cette région. La redécouverte de
l'institutionnalisation constitue le point de départ d'une lecture et
même d'une relecture du politique, car met en évidence de
nouvelles interrogations sur le rôle politique des institutions en tant
que forme de régulation et de cohésion sociales. Les institutions
d'accès à la justice administrative au Cameroun permettent ainsi
de corroborer la thèse de l'émergence de l'Etat
régulateur, qui se développe dans les ruines de l'Etat
producteur164. En tout état de cause, ce retour de l'Etat qui
est d'un caractère tâtonnant165 ajouté à
la mise en oeuvre des politiques publiques qui dévoile le visage de
l'Etat
163Vincent Spenlehauer, L'évaluation des
politiques publiques, avatar de la planification, Thèse de
doctorat, en science politique, Université Pierre Mendes-France de
Grenoble, 1998, 357 pages.
164Auguste Nguelieutou, « L'évolution
de l'action publique au Cameroun : l'émergence de l'Etat
régulateur », Polis, RCSP/CPRS ; Vol 15 n°1et 2,
2008.
165B. Jessop, « Le retour tâtonnant de
l'Etat », in F. Arcy, et L. Rouban (eds), De la 5e
République. Hommage à Jean-Louis Quermonne, Paris, FNSP,
1996.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
88
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
aujourd'hui166 nécessite dans la plus part
des cas de penser à nouveau, sinon de repenser l'action publique et
même le service public. Cette préoccupation qui se pose et
s'impose avec acuité permet d'exhumer et d'implémenter l'action
publique dans une logique ascendante où administrateurs, usagers,
citoyens, chercheurs, agents, coproduisent les réponses aux
problèmes à tous les niveaux du tissu social et s'affirment comme
référent essentiel de cette politique.
Sous ces rapports, repenser les politiques publiques
d'accès à la justice administrative au Cameroun nécessite
ainsi, de réformer dans une double logiques matérielle et
fonctionnelle, les modalités qui en restreignent l'exercice tout en
balisant un cadre idoine, fondamental et propice à l'accès au
juge administratif par le citoyen lambda. Dans cette logique, si l'accès
à la justice administrative au Cameroun nécessite une
réforme profonde (section I), l'information et la formation des
populations s'affirment comme étant un canal important et indispensable
dans la vulgarisation de cette justice, dans la professionnalisation du droit
public administratif notamment enfin, dans l'édification de l'Etat de
droit au Cameroun (section II).
166P. Hassenteufel, « L'Etat mis à nu par
les politiques publiques ? », in Bertrand Badié et Yves Deloye,
Le temps de l'Etat, Mélanges à l'honneur de Pierre
Birnbaum, Paris, Fayard, 2007.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
89
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Section I- Nécessité d'une réforme
de la justice administrative au Cameroun
Les défis posés à l'action publique
tiennent généralement à la situation sociale,
économique et parfois politique des sociétés humaines. Ces
défis institutionnels qui conditionnent très souvent la
mobilisation et l'innovation publiques semblent recéler une
réelle aptitude thérapeutique quand bien même ils sont
relevés, reflétant par là une cohésion sociale. Les
politiques publiques d'accès à la justice administrative au
Cameroun se sont affirmées comme étant pensées dans une
logique assez verticale. Or, les mutations de l'Etat dues à la
redéfinition de ses rôles imposent une autre logique dans la
conception et la maturation d'une politique publique, la société
politique étant déjà multi acteurs et multi niveaux.
Au regard des politiques de développement local,
l'affirmation et la détermination des populations locales occupent une
place prépondérante dans la fabrique de l'action publique
localisée, quoique le centre impulse toujours la dynamique
d'implémentation. De ce point de vue, il est d'essence nécessaire
de repenser le service public et l'action publique de l'accès à
la justice administrative au Cameroun. Cette réforme porterait ainsi sur
deux considérations majeures dont l'une serait structurelle et
matérielle (paragraphe 1), et l'autre essentiellement fonctionnelle
(paragraphe 2).
Paragraphe 1- La substance des réformes
matérielles et structurelles
Réformer l'accès à la justice
administrative au Cameroun impose de repenser le service public de la justice
administrative dans son ensemble. En effet, l'expression de la justice
administrative au Cameroun est parsemée d'embuches qui ne favorisent pas
la bonne administration de cette justice et partant, l'accès au juge
administratif. La justice administrative au Cameroun est régie par un
ensemble de textes épars qui imposent une lecture diagonale pour en
exhumer la substance ; or, le droit romano-germanique se particularise et se
démarque du droit anglo-saxon non seulement par son caractère
écrit, mais également par son caractère codifié.
Ainsi, la codification de la justice administrative au
Cameroun se pose en s'imposant comme une nécessité
impérieuse permettant ainsi la production d'un code de justice
administrative (A) pour une meilleure condensation de la justice administrative
et une facilitation de l'information des populations. Toutefois, cette
préoccupation serait sans intérêt fécond si la
justice administrative n'était pas davantage rapprochée des
administrés locaux.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
90
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
De ce point de vue, importerait-il d'arrimer l'architecture
juridictionnelle de la justice administrative à celle de la justice
judiciaire, pour réellement être plongé dans une logique de
décentralisation du juge administratif (B).
A- Nécessité de l'institutionnalisation
d'un code de justice administrative au Cameroun
La codification dans le domaine du droit à ceci de
particulier qu'elle regroupe et condense les textes au sein d'un seul et unique
document qui organise les aspects liés à l'objet de ladite
codification. Il s'agit donc d'une opération consistant essentiellement
à convertir les règles coutumières, en un corpus de
règles écrites et systématiquement regroupées dans
un document unique qui en rend compte. Dans le domaine de la justice
administrative au Cameroun en l'occurrence, la codification serait d'une
importance capitale car elle est perçue dans son ensemble comme un canal
de transmission du droit (2), quoiqu'en soi il n'est pas aisé de
codifier le droit administratif (1).
1- La justice administrative : un droit difficilement
codifiable
D'une manière générale, la
différence qui existe entre la justice administrative de la justice
judiciaire au Cameroun réside au niveau de l'institutionnalisation des
codes. En effet, si dans le domaine de la justice judiciaire au Cameroun, il
existe un Code Civil, un Code Pénal, un Code de Procédure Civile
ou encore un Code de Procédure Pénale, tel n'est pas le cas dans
le domaine de la justice administrative, où se sont de simples textes
épars qui en régissent la substance.
Les difficultés de codification de la justice
administrative résident pour l'essentiel, dans la nature du droit
administratif qui est un droit mouvant et vivant. De plus la
jurisprudence administrative notamment a joué et joue encore un
très grand rôle dans la formation et la maturation du droit
administratif. En sa qualité de droit vivant, il s'adapte ainsi aux
réalités de la société à laquelle il
s'applique, et les juges administratifs contribuent énormément
à le façonner à partir des jugements et des
décisions de justice qu'ils rendent ; de ce point de vue, la justice
administrative serait un droit essentiellement prétorien.
Ce caractère inhérent au droit administratif et
partant à la justice administrative favorise peu sa codification au
Cameroun, quoique dans certains Etats, l'on est parvenu à réunir
l'ensemble des textes dans un seul document appelé code de justice
administrative ; ce cette
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
91
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
considération, l'Etat camerounais pourrait adopter
cette mesure, pour ainsi permettre aux citoyens de disposer d'un
référent juridique lorsqu'ils ont un contentieux avec
l'administration, comme ils en disposent lorsqu'ils ont des litiges avec leurs
compatriotes.
2- La codification comme vecteur de transmission du
droit
De nos jours, la fabrique du droit positif passe par une forte
codification des règles qui régissent les rapports entre les
individus dans la société. En tant que vecteur de transmission du
droit, la codification permet en effet de mieux condenser les textes, afin de
les réunir dans un document appelé code.
Dans le domaine de la justice administrative au Cameroun en
l'occurrence, la codification à la fois du droit matériel et du
droit processuel dans un document unique appelé code de justice
administrative permettra aux citoyens d'avoir des références
exactes et précises, et de posséder un document qui sera pour eux
comme une boussole qui les orienterait quand un acte posé par
l'administration leur fera grief. De ce point de vue, la codification de la
justice administrative au Cameroun serait ainsi une courroie de transmission du
droit de générations en générations. De plus, si
dans l'ordre judiciaire, le droit est totalement codifié, pourquoi
afficher une attitude craintive relativement à l'institutionnalisation
d'un code de justice administrative qui en la matière ne serait pas une
première167.
L'entretien mené avec un de nos enquêtés
nous a permis de comprendre que la mise sur pied d'un code de justice
administrative serait de bon ton au Cameroun car il permettra « la
facilitation de la compréhension des règles de procédures
et l'information des justiciables et des praticiens du droit »,
car le droit administratif ne peut pas être indéfiniment
jurisprudentiel168
Toutefois, si l'institutionnalisation d'un code de justice
administrative s'affirme comme étant une mesure salutaire, il importe
tout de même de reconnaitre que le droit administratif dans son ensemble
est difficilement codifiable en raison de son caractère
extrêmement mouvant. De toute façon, si l'institutionnalisation
d'un code de justice administrative au Cameroun s'impose, une
amélioration de la proximité entre le juge administratif et
les
167Bon nombre d'Etat ont déjà
codifié la justice administrative. Ainsi, en France notamment il existe
un Code de Justice Administrative, pour l'exemple de l'Europe, et en Afrique
les Etats comme le Burundi dispose également d'un Code de Justice
Administrative.
168George Vedel, « Le droit administratif peut-il
être indéfiniment jurisprudentiel ? » in Etudes et
documents du Conseil d'Etat, 1970-80, n°31, p.31.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
92
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
populations se pose avec acuité dans les logiques de
saisine du juge administratif camerounais.
|