CONCLUSION
L'institutionnalisation, dans le domaine de la sociologie de
l'action publique permet rendre compte des dynamiques qui confèrent aux
institutions une place importante et prépondérante dans le tissu
social. En effet, la sociologie politique de l'action publique de la mise sur
pied des T.A dans chaque région du Cameroun se veut être un
emblème, quoiqu'il puisse poser certains problèmes. Le souci de
rapprocher la justice administrative des administrés locaux s'est fait
sans consultation du volume du contentieux issu de chaque région, et
s'est affirmé davantage comme étant un programme d'actions
gouvernementales, et dont une politique publique.
Le dispositif institutionnel d'accès à la
justice administrative au Cameroun a évolué et a changé
dans le temps. Il a connu des fractures et des césures liées le
plus souvent aux données conjoncturelles. L'emprunte coloniale qui lui
conférait son caractère mimétique s'estompe
progressivement au point où l'on assiste à l'avènement
d'une juridiction administrative « à la camerounaise
», car les institutions sont le reflet d'un ordre social et sont
censées régir les comportements d'une société
propre, garantissant ainsi la cohésion du tissu social et la
stabilité sociétale dans son ensemble. Aujourd'hui,
l'institutionnalisation des T.A a induit une réelle métamorphose
du contentieux administratif camerounais en qualité et en
quantité ; leur avènement est un coup de souffle à la
gouvernance judiciaire au Cameroun, notamment dans le domaine du contentieux
où l'administration est en cause, ceci participant somme toute à
la promotion et à l'édification de l'Etat de droit au
Cameroun.
CHAPITRE II-
L'AMENAGEMENT PROCEDURAL DE L'ACCES A LA
JUSTICE ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN
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l'Est
INTRODUCTION
Les politiques publiques d'accès à la justice
administrative au Cameroun se présentent également sous forme de
règles de procédure, applicables à tous citoyens, et qui
conditionnent véritablement l'accès au juge administratif. En la
matière, le législateur camerounais a balisé un corpus de
procédures, dont le respect détermine le déclenchement, la
continuation ou la suite du procès enclenché par l'introduction
d'un recours contentieux. De ce point de vue, la procédure
administrative est une exigence fondamentale d'une bonne justice, car elle se
présente comme une garantie sérieuse pour les
citoyens93.
Toutefois, la notion de procédure devrait en droit
public ou en sociologie de l'action publique, être utilisée avec
beaucoup de prudence, de précaution et de minutie, car les juristes
privatistes sont très jaloux et regardant en ce qui concerne
l'utilisation de ce concept. En droit privé en l'occurrence la
procédure peut être passible d'une double appréhension
notionnelle. Elle peut être saisie comme un ensemble de règles,
comme elle peut être appréhendée comme une branche du
droit. En tant qu'ensemble de règles, la procédure désigne
des formalités à observer ainsi que des actes à accomplir
afin de parvenir à un règlement juridictionnel. En qualité
de branche du droit, la procédure détermine les règles
relatives à l'organisation judiciaire, aux compétences, à
l'instruction d'un procès et aux logiques de jugement et
d'exécution des décisions de justice. C'est sous ce rapport que
l'on peut ainsi parler de procédure pénale ou de procédure
civile. La notion de procédure ainsi contextuellement
appréhendée, est nécessairement contentieuse.
93René Cassin, « De l'unité de
la justice dans les pays de dualité de juridiction », in La
justice, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, p. 270-271.
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l'Est
Or, en droit public administratif en l'occurrence, la notion
de procédure peut être contentieuse ou non
contentieuse94. Toutefois, certains auteurs ont eu le mérite
d'identifier la notion de procédure avec celle relative au
procès, en l'appréhendant comme « l'ensemble des
règles suivant lesquelles s'exerce la juridiction contentieuse des
tribunaux »95. De toutes ces
considérations, il est possible d'appréhender la notion de
procédure administrative comme « la procédure suivie devant
les juridictions administratives, régies par les règles
spécifiques caractérisées par l'importance des
éléments écrits par rapport aux éléments
oraux ainsi que ses traits inquisitoires »96.
Au Cameroun en l'occurrence, l'aménagement
procédural de l'accès à la justice administrative a lui
aussi connu une réforme. Avant 2006, trois textes fondamentaux
régissaient la procédure administrative contentieuse au
Cameroun97, mais depuis 2006, deux textes couvrent les aspects
relatifs à la procédure administrative contentieuse98.
De ce point de vue le cycle de vie de la procédure administrative
contentieuse débute par l'introduction d'un recours contentieux, et se
termine par un jugement. Cependant, l'examen ou l'instruction du recours
introduit constitue une phase assez spéciale de la justice
administrative car, c'est à cette étape que se déploient
véritablement les aspects qui confèrent à la justice
administrative son caractère particulier. Ainsi, importe-t-il de faire
un état sur l'instance administrative contentieuse au Cameroun (section
I), avant d'analyser à la fois l'instruction des recours et la
portée des décisions de justice (section II).
94Guy Isaac, La procédure administrative
non-contentieuse, Thèse en droit, Paris, LGDJ, 1968, Préface
de Olivier Dupeyroux, p. 46.
95Charles Debbash, Procédure
administrative contentieuse et procédure civile, Thèse en
droit, Paris, LGDJ, 1962, préface de Jean Boulouis, note n°1, p.
1.
96Lexique des termes juridiques, Paris,
Dalloz, 6e édition, 1985, P.535.
97Il s'agissait de : l'ordonnance n°72-6 du 26
août 1972 fixant l'organisation de la Cour Suprême modifié
par la loi n°76-28 du 14 décembre 1976 ; la loi n°75-16 du 8
décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour
Suprême, et enfin la loi n°75-17 du 8 décembre 1975 fixant la
procédure devant la Cour Suprême statuant en matière
administrative.
98Il s'agit en l'occurrence de la loi
n°2006/016 du 27 décembre 2006 fixant l'organisation et le
fonctionnement de la Cour Suprême, et de la loi n°2006/022 du 29
décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des Tribunaux
Administratifs.
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Section I- L'aménagement de l'instance
administrative contentieuse au Cameroun
L'existence d'un ordre juridictionnel administratif distinct
de l'ordre judiciaire est un des éléments caractéristique
de la spécialité et de l'originalité du contentieux
administratif. En effet, c'est par l'existence et la consécration de
cette séparation d'ordres de juridictions que le système
camerounais en l'occurrence diffère encore radicalement de nos jours du
système dit anglo-saxon.
Au Cameroun, les textes offrent plusieurs possibilités
aux administrés de contester une action, de revendiquer une inaction ou
davantage de contester un comportement de l'administration auprès d'un
juge administratif. Toutefois en la matière, il importe de noter
l'existence des domaines de saisine du juge administratif camerounais
relativement aux types des recours que les administrés peuvent
introduire auprès de la juridiction administrative (paragraphe 1).
L'introduction des recours ciblés auprès de la juridiction
administrative n'est pas exempte de conditions, car la recevabilité d'un
recours obéit à certaines règles, visant à
conférer à la justice administrative une dose de qualité
et de légitimité (paragraphe 2).
Paragraphe 1- L'organisation aspectuelle de la saisine du
juge administratif au Cameroun
La saisine du juge administratif camerounais est
fondamentalement différente de la saisine du juge judiciaire. En effet,
il existe des aspects se saisine intimement liés à la
compétence du juge administratif dans l'ambition du règlement des
différends opposant l'administration et les particuliers. Dans le cas
limitatif relatif au déclenchement de la procédure administrative
contentieuse qui se fait auprès des Tribunaux Administratifs, nous
allons occulter la saisine juge administratif de la Chambre Administrative de
la Cour Suprême statuant soit en appel, soit en cassation, car la
décision rendue par un Tribunal Administratif peut mettre fin au litige
et partant, à la procédure.
Dans cette veine, les administrés ayant un
différend avec l'administration peuvent saisir le juge administratif
camerounais en introduisant des recours contentieux qui peuvent être
subsumés en deux catégories dont l'une relève des recours
dits principaux (A), et l'autre des recours incidents ou accessoires (B).
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A- L'articulation des recours principaux introduits
auprès du Tribunal Administratif au Cameroun
Les mécanismes juridictionnels de la justice
administrative au Cameroun sont mis en relief par les requêtes
contentieuses que les requérants peuvent porter devant le juge
administratif. Ces recours principaux, déterminants fondamentaux de la
compétence du juge administratif camerounais s'articulent autour du
contentieux de la légalité ou le recours pour excès de
pouvoir (1), ou autour du contentieux subjectif, de pleine juridiction ou le
recours en indemnisation (2).
1- La compétence du juge administratif
camerounais en matière de recours pour excès de
pouvoir
Encore appelé contentieux de la légalité,
le recours pour excès de pouvoir est un recours introduit par un
justiciable, relatif à la légalité d'un acte
administratif. En effet, si le requérant prétend que l'acte pris
par une autorité administrative est illégal, il demande ainsi au
juge administratif de l'annuler.
Le recours pour excès de pouvoir fait partie du corpus
du contentieux dit objectif, car il soulève une question relative
à la violation par l'administration, d'une règle de droit
objectif. Le recours pour excès de pouvoir au Cameroun s'articule autour
du vice de forme, de l'incompétence, de la violation d'une disposition
légale ou règlementaire ou encore du détournement de
pouvoir99. Le recours pour excès de pouvoir est
déclaré ouvert en principe d'un principe général du
droit selon lequel, toute décision administrative peut faire l'objet
d'un recours devant le juge administratif100.
Dans l'affaire Monkam Tientcheu David en l'occurrence, le juge
administratif camerounais à clairement adopté et mis en
application ce principe général de droit, dans une de ses
jurisprudences101, lorsqu'il affirma :
Il a été jugé que même dans
l'hypothèse où une loi dispose qu'un acte
ne peut faire l'objet d'aucun recours administratif ou
judiciaire ; cette disposition ne saurait être
interprétée comme excluant le recours pour excès
99Voir dans cette direction l'article 2
alinéas 3, a) de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006
portant organisation et fonctionnement des Tribunaux Administratifs.
'°°Voir décision du Conseil d'Etat
français du 17 février 1950, Dame Lamote.
'°'CS/CA, jugement, n°40 du 29 mai 1980.
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de pouvoir qui est ouvert même sans texte contre
tout acte administratif et qui a pour effet d'assurer conformément aux
principes généraux de droit de légalité.
D'après cette considération d'ordre
jurisprudentielle, nous constatons que le juge administratif produirait donc le
droit102 et aurait ainsi un pouvoir normateur103. Cette
possibilité donnée au juge administratif d'évoquer un
principe général de droit pour contourner la loi est connue par
la doctrine administrativiste, sous le nom d'écran
transparent104. A côté de ce contentieux objectif,
ou de la légalité, il existe un autre contentieux dit subjectif,
qui relève également de la compétence du juge
administratif.
2- Le juge administratif camerounais face au
contentieux subjectif : le recours de pleine juridiction
Le recours de pleine juridiction est encore appelé
recours en indemnisation, en réparation ou encore en
responsabilité. En introduisant un recours de pleine juridiction, le
requérant prétend avoir droit à quelque chose de la part
de l'administration, qui peut s'articuler autour d'une prestation, d'une dette
d'argent, ou d'une réparation d'un dommage.
Le recours de pleine juridiction comprend le contentieux des
contrats, où le requérant prétend avoir droit, à la
suite d'un contrat passé avec l'administration, à une situation
individuelle telle qu'une créance d'argent dont l'administration
conteste le montant ou l'existence ; et le contentieux de la
responsabilité qui est une situation où le requérant est
victime d'un dommage dont il attribue la responsabilité à
l'administration qui en conteste le
102 Sur la question lire, De Bechillon Denys, Le juge et
son oeuvre, un an de fabrication du droit administratif dans la jurisprudence
du Conseil d'Etat, Mélange Michel Troper, Economica, 2006.
103De Bechillon Denys, « Comment traiter
le pouvoir normatif du juge ? », Mélanges Philippe Jestaz,
libre propos sur les sources du droit, Dalloz, 2006.
104La théorie de l'écran transparent
s'applique dans deux cas de figure : d'une part, lorsque la loi écran
est vide dans le fond, et d'autre part, lorsque l'acte administratif viole un
principe général de droit. Dans ces deux cas, le juge
administratif peut procéder à un contrôle de l'acte
administratif litigieux.
Dans le premier cas en effet, arrive que la loi investisse
simplement le gouvernement de la mission de prendre certaines mesures sans
aucune vocation à mettre en oeuvre des principes. La loi ne permet pas
au gouvernement de méconnaitre la constitution à l'occasion de
l'édiction des mesures administratives. L'écran législatif
ne joue désormais plus que pour disposition de fond, et le juge
administratif va ainsi s'affranchir de l'écran législatif et
contrôler directement les dispositions de l'acte administratif
contesté par rapport à la constitution (dans ce sens, Conseil
d'Etat, 19 novembre 1986, société Smanor).
Dans le second cas, le juge administratif interprète
dans le sens de la compatibilité aux principes généraux du
droit, les lois présentes dans certaines matières pour statuer
sur la juridicité de l'acte administratif querellé. En effet, la
référence aux principes généraux du droit permet au
juge administratif de procéder au contrôle dudit acte dans le cas
où ce dernier serait écarté par une loi manifestement
contraire à un principe général de droit ; la loi en
question devient donc transparente, le juge administratif pouvant s'en
passer.
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à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
bien-fondé ou le montant. Dans le recours en
indemnisation, le rôle du juge administratif camerounais est plus
complexe à cause du caractère que présente la
prétention du requérant.
De ce fait, la décision du juge administratif aura donc
une portée particulière car elle consistera à fixer les
droits du requérant et à condamner l'administration dans le
rétablissement ou la réalisation de ses droits. Il ne s'agit
alors plus d'annuler un acte administratif, mais de condamner une des parties,
à savoir l'administration. Le juge administratif camerounais, à
côté de ces recours que les administrés peuvent introduire
auprès de la juridiction administrative, peut aussi être saisi par
des recours dits accessoires ou incidents.
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