L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.( Télécharger le fichier original )par Michael Farchakh Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B) L'ARBITRAGE SUR FONDEMENT D'UN TRAITÉUne demande d'arbitrage initiée par un État dans le cadre d'un Investment Treaty Arbitration est structurellement impossible dans le cadre actuel du système. L'instrument moteur de ce procédé est le Traité Bilatéral d'Investissement qui contient la clause arbitrale. Mais les parties à cet accord sont deux États souverains, l'investisseur lui-même n'en est que tiers bénéficiaire. «Treaty Commitments of the host state toward the investor are unilateral and anyway the investor is not party to the BIT»50(*). L'arbitrage sur fondement de traité signifie que l'État donne son consentement de façon préalable,le consentement de l'investisseur ne se manifeste qu'au moment de la demande d'arbitrage.Par conséquent l'État ne peut pas initier une demande d'arbitrage contre l'investisseur.Shultz et Toral soulignent l'oxymore juridique de ce désiquilibre des armes : «This procedural bias is built into a dispute settlement system the lynchpin of which is mutual consent»51(*). L'État n'a donc aucune possibilité de recours dans ce type de litige (i) et peut difficilement présenter une demande reconventionnelle en tant que défendeur(ii). . i) L'intérêt pour l'État de l'existence d'un recours arbitral contre l'investisseurCe n'est qu'en 1987, plus de deux décennies après sa création, que le CIRDI reçoit sa première affaire fondée sur un traité52(*). Depuis, ce type d'arbitrage constitue l'essentiel du contentieux Investisseur-État, représentant en moyenne six affaires sur sept enregistrées au CIRDI53(*). Les critiques dirigées envers l'arbitrage d'investissement concernent très souvent l'idéedu recours à un traité comme fondement de la compétence d'un tribunal arbitral. Jan Paulsson parle d'« arbitration without privity »54(*), privity étant un terme juridique anglais se rapprochant du principe de « l'effet relatif des contrats » connu du droit romano-germanique. Cette expression décrit le fait qu'un arbitrage peut avoir lieu entre deux personnes en l'absence de tout accord les liants de manière directe. L'investisseur a accès à l'arbitrage à travers un accord non signé par lui, ce qui lui permet de porter plainte contre l'État sans que l'inverse ne soit possible.«Foreign investors are to investment treaties what third-party beneficiaries are to contracts: parties with rights but no obligations»55(*). Un déséquilibre très clair se dessine donc dans la construction même du système. Le juge Stephen Schwebel s'oppose à l'idée selon laquelle le système serait asymétrique, arguant plutôt qu'une demande par un État est possible mais que la formulation des clauses arbitrales TBI complique l'accès de l'État à la procédure56(*). La Convention de Washington ne contient aucune disposition en elle-même qui priverait un État de présenter une demande d'arbitrage, bien au contraire l'article 36(1) précise : « Un État contractant ou le ressortissant d'un État contractant qui désire entamer une procédure d'arbitrage doit adresser par écrit une requête à cet effet au Secrétaire Général, lequel envoie une copie à l'autre partie ». Il serait donc concevable qu'un État puisse initier un arbitrage contre un investisseur si les termes du TBI le lui permettent expressément. La question qui se pose alors est de savoir quel serait l'intérêt pour l'État d'avoir la possibilité de recourir à l'arbitrage contre un investisseur. La responsabilité mise en oeuvre dans la cadre de l'arbitrage sur fondement d'un traité est une responsabilité internationale, le problème alors est que le droit international impose principalement, si ce n'est exclusivement, des obligations aux États57(*). L'impossibilité pour l'État d'initier un recours contre l'investisseur serait alors justifiée au niveau substantiel. Mais l'évolution du droit international, comme en atteste le développement assez récent du droit international pénal, tend à accepter la responsabilité des personnes privées pour violation de certaines normes internationales, notamment les droits de l'homme et le droit de l'environnement. L'idée de base derrière la création de l'arbitrage d'investissement avait été de protéger l'investisseur étranger vulnérable de l'arbitraire de l'État tout-puissant.Mais les réalités économiques actuelles démontrent que ce cliché n'est pas toujours vérifiable ; certaines entreprises multinationales ont en effet une capacité économique plus grande que celle de certains États en voie de développement58(*).L'interaction entre ces deux types d'acteurspourrait donc inverser la présomption selon laquelle l'investisseur devrait être protégé des actions de l'État. Il n'est pas difficile d'imaginer que dans la gestion de son investissement, une entreprise multinationale pourrait méconnaitre certaines normes de droit de l'homme ou porter atteinte à l'environnement. L'intervention de l'État pour résoudre une telle situation pourrait cependant se traduire en violation des protections garanties dans un TBI. «Faced with the impossibility of bringing proceedings directly before the investor on the international level through arbitration or other means and the inability to deny the investor the benefit of International Investment Agreement protection for failure to comply with international human rights' standards, the state is left with two alternatives. The First is to ignore the human rights' violation [...] the second alternative is to take appropriate measures to safeguard the human rights at issue and leave it up to the investor to decide whether to initiate arbitral proceedings»59(*). Ce type de dilemme illustre très bien quel serait l'intérêt pour l'État d'avoir un recours lui permettant de mettre en jeu la responsabilité des investisseur étrangers. L'investisseur viole le droit international en se cachant derrière la protection du droit international, et cela est dû à l'inégalité des armes inhérente au système. L'État ne peut prendre de mesures internes pour remédier au problème sans risquer de violer les clauses d'un TBI, et c'est pour cela qu'il aurait besoin d'un forum neutre et indépendant qui pourrait renier à l'investisseur sa protection si les violations alléguées se vérifient. La construction actuelle du régime TBI ne permet malheureusement pas ce type d'action, les solutions possibles à ce problème seront envisagées plus loin dans les développements. * 50 Crawford (J.), «Treaty and Contract in Investment Arbitration», in Arbitration International, Vol. 24 No. 3, 2008, p. 364 * 51 Schults (M.) & Toral (M.), op.cit., pp. 578-579 * 52 CIRDI, Asian Agricultural Products Limited c. Sri Lanka, Sentence du 27 Juin 1990 * 53 McArthur (K.), «International Investor-State Arbitration: An Empirical Analysis of ICSID Decisions on Jurisdiction», in The Review of Litigation, Vol. 28, No. 3, 2009, p. 572 * 54 Paulsson (J.) 1995, op.cit., p. 232 * 55 Laborde (G.), op.cit., p. 112 * 56 Schwebel (S.), «A BIT about ICSID», in ICSID Review, Vol. 23, No. 1, 2008, pp. 5-6 * 57 Schultz (T.) & Toral (M.), op.cit., p. 580 * 58 Davarnejad (L.), «Strengthening the Social Dimension of International Investment Agreements by Integrating Codes of Conduct for Multinational Enterprises», OECD Global Forum on International Investment, 2008, p. 2 * 59 Schultz (T.) & Toral (M.), op.cit., pp. 584-585 |
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