L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.( Télécharger le fichier original )par Michael Farchakh Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015 |
B) LE PENCHANT NATUREL DES ARBITRES POUR LES INVESTISSEURSLe camp « pro-État » a aussi avancé une série de reproches selon lesquels les arbitres seraient naturellement biaisés en faveur des investisseurs. Un premier argument est que les arbitrages d'investissement sont systématiquement initiés par les investisseurs, ce qui signifie que les arbitres ont plus à gagner en se ralliant à leurs causes qu'à celles des États168(*). Par ailleurs, il existe considérablement plus d'investisseurs que d'États de par le monde et il n'est pas très probable que ceux-ci désignent des arbitres qui ne sont pas connus pour être sympathiques à leurs positions. Le contraire pourtant n'est pas vrai: «it is remarkable how often states will consider appointing arbitrators with pro-investor records, substantially reducing or even eliminating any chance of success in defending the case»169(*). Ceci résulte du manque de préparation de certains États face à ce type de litiges ; pris par surprise par un investisseur, ils omettent souvent de recourir à un cabinet d'avocats spécialiste pour défendre leurs intérêts, ou du moins ils tardent à le faire et désignent entre temps un arbitre dont ils n'ont pas bien étudié l'histoire. Un autre facteur important est le fait que ces arbitres sont presque toujours des avocats de profession ayant représenté des dizaines do sociétés privées dans leurs carrières, ce qui fait qu'ils ont une tendance inhérente, ou même un réflexe, d'adopter le point de vue d'un avocat d'affaires en analysantles différentes problématiques. C'est d'ailleurs pour cette raison que Brigitte Stern regrette le manque de publicistes parmi les arbitres170(*). Le problème se pose d'autant plus dans les cas où un arbitre dans un tribunal agi en tant que conseil devant un autre tribunal ; quand des questions juridiques similaires se présentent, l'arbitre aura tendance à trancher de la manière qui lui convient en tant qu'avocat dans l'autre arbitrage171(*). Cette possibilité de porter deux chapeaux différents a d'ailleurs été fortement critiquée par certains praticiens du domaine qui ont quitté leurs cabinets d'avocats pour se consacrer à la vocation d'arbitre ou qui sont restésavocats en refusant toute nomination en tant qu'arbitre172(*). Des exemples existent aussi quant à des arbitres qui opèrent en dehors du cadre d'un cabinet d'avocat, offrant leurs services en tant qu'adjudicateurs neutres, tout en conseillant des entreprises privées sur la navigation des réglementations des États où elles sont installées173(*). De plus, selon une étude empirique menée par Gus Van Harten174(*), une tendance très claire s'affirme en arbitrage d'investissement selon laquelle les arbitres adoptent presque toujours des méthodes d'interprétation expansives sur les points de débat les plus contentieux. L'interprétation de ces problématiques, tels que le champ d'application des clauses de la nation la plus favorisée ou le champ de protection garantie par le STJE, ne sont jamais favorable à l'État quand elles sont expansives. Bien qu'une telle étude ne puisse pas être concluante quant à l'existence d'un biais systémique, elle donne des indices corroborant l'hypothèse selon laquelle les arbitres tendent à examiner ces questions du point de vue d'un corporate attorney. Les deux camps présentent donc de bons arguments sur ce sujet. L'essentiel n'est pas de trancher lequel d'entre eux a davantage raison, mais il suffit de constater qu'un souci réel existe quant à l'indépendance et l'impartialité des arbitres dans le cadre de ce système. Qu'il tende vers l'investisseur ou vers l'État, un arbitre qui a des prédispositions envers un camp ne peut que nuire à l'égalité des armes entre les parties. Plus généralement, il faut reconnaitre que le camp « pro-investisseur » a bien certains reproches légitimes à présenter quant au respect de l'égalité des armes en arbitrage d'investissement. Un État malveillant peut en effet user de ses pouvoirs souverains pour saboter le processus arbitral et même menacer la sécurité des participants à ce processus. Sans oublier que la question de l'exécution des sentences est une préoccupation importante de l'investisseur à laquelle le système ne semble pas avoir adéquatement répondu. Un problème réel et palpable se pose donc quant au respect de l'égalité des armes en arbitrage d'investissement. Si notre analyse tend surtout à démontrer un biais systémique à l'encontre des États, cela n'exclut par pour autant certains arguments légitimes présentés par le camp pro-investisseur. La question ultime sera donc de savoir comment remédier à ce problème ? Mais peut-être faudrait-il d'abord se demander si un remède est réellement nécessaire ? * 168 Van Harten (G.), «Arbitrator Behaviour in Asymmetrical Adjudication: An Empirical Study of Investment Treaty Arbitration», in Osgoode Hall Law Journal, Vol. 50 No. 1, 2012, p. 222 * 169 Kahale (G.), «Is Investor-State Arbitration Broken?», in Transnational Dispute Management, Vol. 9 No. 7, 2012, p. 6 [Ci-suit: Kahale (G.) 2012] * 170 Propos tenus par le professeur Brigitte Stern à l'occasion de la 6ème édition d'Arbitrator Studio organisée par Paris Very Young Abitration Practitioners le 23 avril 2015. http://www.pvyap.org/#!Arbitrators-Studio-6-Professeur-Brigitte-Stern/cosa/551e83d00cf21e26bace6fba (26 décembre 2015) * 171 Sands (P.), «Conflict and conflicts in investment treaty arbitration: Ethical standards for counsel», in Brown (C.) & Miles (K.), op.cit., p. 22 * 172 Hranitzky (D.) & Silva Romero (E.), «The `Double Hat' Debate in International Arbitration», in New York Law Journal, 10 juin 2010 * 173 Corporate Europe Observatory, Profiting from injustice: How law firms, arbitrators and financiers are fuelling an investment arbitration boom, 2012, at: http://corporateeurope.org/trade/2012/11/chapter-4-who-guards-guardians-conflicting-interests-investment-arbitrators (25 décembre 2015) * 174 Van Harten (G.), op.cit., p. 211 |
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