L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.( Télécharger le fichier original )par Michael Farchakh Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015 |
INTRODUCTION«International Arbitration is not Arbitration», c'est par ces propos que Jan Paulsson inaugure une conférence tenue en 2008 à l'Université de McGill. «International arbitration is no more a type of arbitration than a sea elephant is a type of elephant. True, one reminds us of the other. Yet the essential difference of their natures is so great that their similarities are largely illusory»1(*). C'est dans ce même esprit qu'il faut également faire l'affirmation suivante : Investor-State Arbitration is not International Arbitration, une idée qui se manifestera à plusieurs reprises dans les développements qui suivront. Il convient cependant de commencer par une mise en contexte du sujet dans le cadre plus général du droit international public. L'un des premiers pas dans le développement du droit international tel que connu aujourd'hui a été la création en 1922 de la « Cour Permanente de Justice Internationale ». Au lendemain de la Grande Guerre, la communauté internationale s'est aperçue de l'inefficacité du droit international en l'absence d'une « justice internationale », un mécanisme de garantie permettant d'assurer l'effectivité de ce droit, si ce n'est son existence même pour certains. Et si la Cour Permanente n'a pas tenu l'épreuve du temps, elle a pour mérite d'avoir inculqué cette notion de « justice internationale » dans la conscience commune de l'humanité ; La Cour Internationale de Justice a pris la relève, suivie de la création d'une pléthore de juridictions spécialisées et générales, régionales et universelles. Ce phénomène parfois décrit comme la « juridictionnalisation » du droit international2(*) a conduit à la popularisation d'un champ auparavant exclusif et a permis de donner une place de plus en plus expansive aux personnes privées en droit international. Toute justice a besoin de justiciables, et pendant longtemps les seules entités à tenir ce rôle dans le cadre de la justice internationale ont été les États souverains. La catégorie des personnes de droit international s'est par la suite étendue aux organisations internationales formées par la volonté commune des États souverains, ce qui a été confirmé par un avis de la Cour Internationale de Justice en 19493(*). L'inclusion de l'individu en tant que sujet du droit international et justiciable de la justice internationale a été beaucoup plus tardive et demeure parfois contestée. La prise en compte de ce nouveau sujet du droit a été facilitée par la juridictionnalisation du droit international qui a permis à l'individu un accès directs aux forums mondiaux : l'émergence du droit international pénal par exemple, qui a pour but la poursuite de personnes physiques accusées de crimes internationaux. Que ce soit devant la Cour Pénale Internationale, Le Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie ou le Tribunal Spécial pour le Liban, le justiciable est toujours un individu. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a elle aussi donné la possibilité aux personnes privées de se prévaloir de la protection du droit international contre des États souverains pour des abus à l'encontre de leurs propres droits, reconnus par la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Mais le mécanisme examiné dans cette étude sort du cadre des cours internationales et des tribunaux permanents ou semi-permanents car il se dote des caractéristiques des modes alternatifs de résolution des différends. Ce mémoire portera sur l'arbitrage d'investissement, le système connuégalement sous l'appellation « Arbitrage Investisseur-État ». Appellation qui révèle justement la juxtaposition de deux catégories de justiciables de natures très différentes au sein d'un même mécanisme. Un contraste qui sera au coeur de cette étude. Cette asymétrie institutionnelle de l'Arbitrage Investisseur-État pose certaines questions : si l'arbitrage d'investissement est une manifestation de la justice internationale, est-il vraiment possible d'assurer une bonne administration de la justice quand les parties au litige sont dans des situations fondamentalement inégales ? Comment le système peut-il faire face au déséquilibre considérable entre ces deux types de parties et assurer le maintien d'une intégrité processuelle ? L'une des lignes directrices qui a animé la conception de ce mécanisme a justement été de donner aux investisseurs, en tant que personnes privées, des moyens leur permettant d'obtenir gain de cause dans leurs griefs contre les États étrangers hôtes de leurs investissements. Mais la prolifération de ce type de litiges au cours des dernières années a conduit à de nombreuses critiques du système4(*) ; pour certains États, les investisseurs ont acquis beaucoup trop de pouvoir à travers ce mécanisme qui, plutôt que rééquilibrer la balance, l'a fait pencher en faveur des intérêts économiques privés. Mais cette vision n'est pas unanime, la popularité grandissante du système et l'élargissement constant du club des États qui y participent en atteste5(*). A en croire certains critiques, le contraire pourrait même être affirmé ; la nature arbitrale du mécanisme jouerait selon eux au profit de l'État en raison des modalités de cette procédure qui reste dépourvue de certaines garanties assurées par un système juridictionnel permanent. L'arbitrage n'est pourtant pas une invention nouvelle, et bien que ce soit un système qui rencontre beaucoup de critiques, le non-respect de l'égalité des armes n'en fait ordinairement pas partie. Traditionnellement, le droit international a connu deux catégories d'arbitrage : l'arbitrage interétatique entre entités souveraines et égales en droit international et l'arbitrage commercial international entre personnes de droit privé entreprenant des relations d'affaires mutuelles. Le point commun de ces deux mécanismes est le fait qu'ils s'adressent à des justiciables d'une même classe, point que ne partage pas l'Arbitrage Investisseur-État. La transposition en arbitrage d'investissement de la procédure arbitrale traditionnelle connue de l'arbitrage interétatique et de l'arbitrage commercial international n'a donc pas pris en compte la nécessaire adaptation du système pour subvenir à un conflit naturellement déséquilibré. Comme le décrit le professeur Thomas Wälde «The Arbitration system has developed in order to free the parties' from state courts, and in particular from state courts in one party's state. So equality is the principle and fundamental assumption; the caveat emptor principle underlying commercial law means that each party submits to the arbitration procedures, institutional rules and powers of the arbitral tribunal, without being able to claim a one-sided privilege»6(*). Le professeur Wälde souligne donc que l'égalité des armes est au coeur de l'idée même de l'arbitrage international, un système créé en grande partie pour radier les avantages d'une partie sur l'autre, et dans ce sens, il poursuit : «the procedural rules, but also informal conventions and approaches inherent in international arbitration culture, are not perfectly fitted for the specific nature of investment arbitration»7(*). Afin de développer le sujet d'une manière plus rigoureuse, il convient de retracer le contexte des notions centrales à son développement : il faudra d'abord revenir sur le concept de l'arbitrage d'investissement afin d'élucider les nombreuses subtilités de ce système complexe et controversé. On discutera par la suite de la notion d'« égalité des armes » tout en établissant l'étendue que l'on entend donner à cette notion aux fins de cette analyse. Dans le vocabulaire juridique anglais, on parle d'investment arbitration, d'investment-treaty arbitration, d'ICSID arbitration ou encore d'investor-state dispute settlement (ISDS). Tous ces termes font référence à des processus similaires mais qui ne sont pas tout à fait identiques. L'idée cardinale qui sied à l'ensemble des différends Investisseur-État est celle de la protection de l'investissement étranger : un flux de capitaux d'un pays à un autre par le biais d'un investissement qui représente une contribution par un investisseur étranger au développement économique d'un pays qui n'est pas le sien. La définition de l'investissement est source de controverses et se trouve souvent au centre des litiges. Bien que ce soit une question fondamentale du droit international des investissements, cette problématique sort du cadre de cette étude, il sera donc suffisant de reprendre les caractéristiques de l'investissement tels qu'établis dans le « test Salini » qui semble représenter la définition la plus largement acceptée par les tribunaux : L'investissement représente un (i) apport en nature ou en espèce, (ii) qui s'inscrit dans une certaine durée de temps, (iii) qui est soumis à un élément de risque, (iv) et qui représente une contribution au développement économique de l'État hôte8(*). Un point fondamental à rappeler est le caractère « étranger » de l'investisseur. Le système a été conçu afin d'assurer une meilleure protection à une catégorie de personnes particulièrement vulnérables : des investisseurs non-citoyens de l'État hôte de l'investissement. L'idée sous-jacente est qu'en l'absence de relations juridiques formelles avec l'État hôte, l'investisseur étranger se trouve dans une situation volatile où il se soumet à l'arbitraire et l'hostilité potentielle des autorités publiques locales. Il faut donc chercher à rassurer les investisseurs étrangers afin de favoriser les flux de capitaux et la création de relations d'affaires transnationales. La solution initialement conçue en droit international était celle de la protection diplomatique ; en cas d'atteinte à son investissement, l'investisseur devait recourir à son État d'origine qui prenait à son propre compte les réclamations de l'investisseur et pouvait par la suite se retourner contre l'État hôte auteur du fait litigieux. Ce mécanisme a pour fondement le principe selon lequel l'une des principales fonctions de l'État est la protection de ses nationaux à l'étranger9(*). Le recours à ce procédé est resté rare dans la pratique, en raison notamment du pouvoir discrétionnaire des État dans leur exercice de la protection diplomatique. Au cours du XIXème siècle, certaines situations litigeuses ont donné lieu à la création de « Commissions des Réclamations » (Claims Commissions), des instances ad hoc spécialement créées à l'initiative des États concernés pour résoudre de manière collective des différends relatifs à l'investissement étranger. Mais ce type de solutions n'a pas été suffisant, la protection diplomatique et les commissions ad hoc n'ont pas su suivre le développement fulgurant des relations économiques transnationales qu'a connu le XXème siècle. Il a donc fallu trouver un nouveau mécanisme de protection des investissements étrangers. C'est de cette nécessité que l'arbitrage d'investissement a vu le jour, notamment avec la création en 1965 du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) par le biais de la Convention de Washington. Ce nouveau mode de résolution des différends liés à l'investissement a pour mérite de donner à l'investisseur un recours direct contre l'État hôte de l'investissement sans devoir passer par son État d'origine. Selon Aron Broches, principal architecte du régime CIRDI, «the host country and the foreign investors would be parties on an equal procedural footing»10(*); L'intention des créateurs de ce système était donc bien de maintenir l'égalité des armes entre les parties, mais ayant été très peu utilisé durant les premières décennies, ce n'est qu'avec son gain de popularité soudain dans les années 1990 que l'on a commencé à apercevoir les imperfections du système. Quelques distinctions sont à faire, tout d'abord entre l'arbitrage CIRDI et l'arbitrage non-CIRDI ; rattaché au groupe de la Banque Mondiale, le CIRDI sert de secrétariat aux tribunaux arbitraux créés sous son égide et administre la plus grande partie des litiges liés à l'investissement de par le monde. Mais la constitution d'un tribunal ad hoc afin de résoudre un différend (souvent sous les règles CNUDCI) n'est pas chose rare, surtout lorsque l'État hôte de l'investissement ou l'État national de l'investisseur n'est pas partie à la Convention de Washington. Les avantages du système CIRDI sont d'abord la simplification des démarches administratives et l'apport d'un soutien aux arbitres dans l'accomplissement de leur mission, mais aussi et surtout la reconnaissance et l'exécutabilité directe des sentences CIRDI dans chacun des États membres à la Convention de Washington11(*). Une autre distinction nécessaire est entre l'arbitrage sur le fondement d'un traité d'investissement et l'arbitrage sur le fondement d'un contrat. L'accès de la personne privé à l'arbitrage d'investissement est en effet conditionné par l'existence d'un instrument qui lui donne cette possibilité. Cet instrument peut notamment prendre la forme d'un contrat avec l'État hôte, souvent en exécution d'un marché public, qui contient une clause de résolution des différends stipulant le recours à l'arbitrage d'investissement (CIRDI ou non). Jusqu'en 1990 la majorité du contentieux arbitral provenait de stipulations contractuelles, mais la prolifération des Traités Bilatéraux d'Investissements (TBI), a conduit à une explosion du nombre d'arbitrages12(*). Un Traité Bilatéral d'Investissement est un accord international conclu entre deux États afin de promouvoir les investissements réciproques et de garantir une protection renforcée des investissements réalisés par les ressortissants de l'un des États partis au sein de l'autre État parti. Les TBI ont été précédés par les Traités d'Amitié, de Commerce et de Navigation qui eux ne contenaient pas de clauses arbitrales13(*). Les plus de 2500 TBI en vigueur aujourd'hui14(*) constituent l'immense réseau formant le droit substantiel du droit international des investissements ; cette décentralisation crée des difficultés examinées plus loin dans ces développements. Ces TBI contiennent typiquement un nombre de standards de protections des investissements qui varient en substance et en étendu, on parle notamment de clause de traitement national, de clause de la nation la plus favorisée ou encore du standard juste et équitable qui alimentera une bonne partie de cette étude. Certains traités multilatéraux, souvent des accords de libre-échange, contiennent aussi des clauses compromissoires prévoyant le recours à l'arbitrage d'investissement. Les traités multilatéraux les plus communément invoqués sont la Charte de l'Énergie ainsi que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Une troisième catégorie d'instruments existe aussi, il s'agit des lois nationales d'investissement. Ces lois sont parfois invoquées par des demandeurs mais n'ont jusque-là pas eu beaucoup de succès, raison pour laquelle la doctrine y accorde peu d'attention et qu'on ne s'attardera pas non plus sur ce type de situations dans cette étude. La plus grande partie de ce travail portera sur les arbitrages sur le fondement d'un traité car c'est justement ces situations qui engendrent le plus grand nombre de problèmes relatifs à l'équilibre procédural. Pour résumer, l'accès d'un individu à l'arbitrage d'investissement est possible, mais conditionné par l'existence d'un instrument contenant une clause arbitrale à cet effet ; cet instrument peut être un contrat signé avec l'État hôte, ou bien un traité d'investissement auquel sont partis l'État hôte ainsi que l'État national de l'investisseur. Pour accéder spécifiquement à l'arbitrage CIRDI, celui-ci doit être mentionné par la clause arbitrale en question et les deux États concernés doivent être partis à la Convention de Washington pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États. Des solutions alternatives au CIRDI existent tel que le recours à la Cour Permanente d'Arbitrage, au Centre d'Arbitrage de Stockholm ou simplement à un arbitrage ad hoc. Les protections garanties à l'investisseur seront énumérées au sein de l'instrument donnant accès à l'arbitrage. Les notions de base relatives à l'investissement et la protection de l'investisseur venant d'être posées, il est encore nécessaire de décrire la notion d'« égalité des armes » pour pouvoir ensuite procéder au fond de cette étude. Le point qui intéressera plus particulièrement est la conjoncture entre ce principe processuel fondamental et le phénomène de l'arbitrage d'investissement. L'usage des termes « égalité des armes » est en elle-même un peu surprenante, surtout dans le cadre d'un droit aujourd'hui articulé autour de la résolution pacifique des différends ; en réalité l'expression trouve son origine dans le contexte du duel, un mode de procès que la justice moderne a abandonné depuis bien longtemps. La transposition contemporaine de cette notion aux enceintes judiciaires suit pourtant la même logique : «[equality of arms] would require that, while contestants in a courtroom battle need not possess equal skill or resources, they must, in terms of the procedural rights enabling each side to formulate and present its position, be equally armed for combat»15(*). Il s'agit donc essentiellement d'une égalité de moyens, une garantie de la part du juge que les adversaires au procès auront les mêmes opportunités pour établir leurs arguments et justifier leurs positions respectives, que la décision sera rendue en raison du bienfondé des demandes et non de la position dominante de l'une des parties. Il faut noter que l'égalité des armes implique aussi le fait que ces « armes » soient utilisées par les justiciables de manière légale16(*). Une bonne administration de la justice exige que l'on ne puisse pas abuser des procédures pour arriver à des fins autres que celles prévues par la loi. Le détournement de la procédure est aussi dangereux que la méconnaissance de celle-ci, considération qui appellera de plus amples développements dans le corps de cette étude. La notion d'égalité des armes s'inscrit dans le cadre plus général du « procès équitable »17(*), qui garantit aussi le caractère contradictoire de la procédure : chacune des deux parties doit être en mesure de contredire tous les arguments de l'autre partie. L'égalité des armes et le caractère contradictoire de la procédure sont étroitement liés mais ne se confondent pas ; dans le premier cas il s'agit plutôt de la construction institutionnelle du procès et de la procédure en question, alors que la contradiction se vérifie au cas par cas à chaque manifestation de la justice. La question de l'égalité des armes est le plus souvent soulevée en matière de droit pénal et de procédure pénale. Dans la sphère du droit international elle a fréquemment été évoquée devant les cours et tribunaux pénaux internationaux18(*), mais il ne s'agit pas pour autant d'un principe réservé aux seules affaires pénales : « the equality of arms principle [is] an inherent element of the due process of law in both civil and criminal proceedings »19(*). La Cour Européenne des Droits de l'Homme a reconnu le principe comme faisant partie des exigences du procès équitable20(*). La Cour Internationale de Justice a quant à elle précisé dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci que « la Cour doit souligner que le principe de l'égalité des parties au différend reste pour elle fondamental »21(*) ; la Cour en parlant d' « égalité des parties au différend » utilise ici un synonyme de l'égalité des armes pour affirmer son importance capitale dans le cadre du contentieux international. Comme beaucoup de notions juridiques, celle de l'« égalité des armes » peut prendre un sens large comme un sens étroit. Dans sa conception restrictive le principe décrit uniquement l'équilibre procédural garanti par le juge ou l'arbitre en cours d'instance. Dans le cadre de cette étude cependant une vision plus large du principe sera adoptée pour inclure non seulement les éléments de la procédure contentieuse, mais aussi certains facteurs parallèles qui conduisent à un déséquilibre entre les parties du fait de la nature du système Investisseur-État. Il faut noter par ailleurs que les tribunaux arbitraux étant par définition des instances non-permanentes, l'examen de l'équilibre entre les parties dépasse naturellement le seul cadre de l'instance en cours. En matière commerciale par exemple, l'arbitrage consommateur-professionnel présente un cas typique de déséquilibre où le respect de l'égalité des parties surpasse le seul cadre de la procédure arbitrale pour inclure les conditions d'acceptation de la clause compromissoire et des considérations sur la situation juridique de chacune des parties22(*). «Equality of Arms is a foundation principle of investment arbitration procedure»23(*)déclare Thomas Wälde. L'intention est sans doute sincère, mais correspond-elle à la réalité des choses ? L'arbitrage d'investissement oppose systématiquement un État souverain à une (ou plusieurs) personne(s) privée(s). Mais l'État et l'individu n'occupent certainement pas des places égales dans le contexte du droit international. C'est justement ce point que l'on a cherché à résoudre en instituant l'arbitrage investisseur-État ; «the host country and the foreign investors would be parties on an equal procedural footing»24(*) précise Aron Broches. Mais à la lumière des critiques multiples qui ont visé l'arbitrage d'investissement depuis son gain de popularité dans les années 1990, peut-on vraiment affirmer qu'un équilibre a été atteint dans la mise en oeuvre de ce système ? Est-il juste que l'État souverain soit mis dans une telle situation de potestativité ? En voulant rapprocher David de Goliath, n'a-t-on pas recréé la scène biblique où le géant fini par succomber ? Ce travail aura pour objectif d'étudier le phénomène de l'arbitrage d'investissement et les critiques qu'il subit, à la lumière du principe de l'égalité des armes. Tout au long des pages qui suivront, une tentative d'élucidation s'opérera quant à cette dynamique complexe qui se forme entre États et personnes privées dans le cadre de la résolution des différends relatifs à l'investissement. Il faut cependant noter que la nature du sujet reste en grande partie théorique et conceptuelle, ce qui signifie que ce travail ne se résumera pas à une analyse de la jurisprudence arbitrale comme c'est souvent le cas en matière d'arbitrage d'investissement. En se basant sur la pratique internationale, en se référant et en analysant les sentences pertinentes en lien avec cette étude, une réflexion plus abstraite sera élaborée autour de la théorie du droit international public et du droit de l'arbitrage, voir occasionnellement du droit administratif, pour rationaliser cette étude et mieux comprendre ses différentes facettes. La question posée seradonc la suivante : Quelle place accorde actuellement l'arbitrage d'investissement au respect de l'égalité des armes et quelle place devrait-il lui accorder ? Le développement de l'analyse se fera en trois étapes successives : d'abord, dans une première partie, une étude sera faite sur les problèmes existant dans le cadre actuel de l'Arbitrage Investisseur-État qui entravent le respect de l'égalité des armes. Cette analyse portera sur des problèmes structurels et conjoncturels du système. Ces constatations seront suiviespar une proposition théorique en guise de deuxième partie, conceptualisant l'arbitrage d'investissement en tant que droit administratif internationalisé pour justifier le maintien d'un certain déséquilibre légitime. Enfin, latroisième partie s'ouvrira à l'étude de solutions proposées pour remédier aux problèmes auxquels fait face le système, la viabilité de ceux-ci et les modalités de leurs éventuelles implémentations. Caricature représentant l'idée selon laquelle le système CIRDI serait biaisé en faveur des investisseurs - Kangaroo Court * 1 Paulsson (J.), International Arbitration is Not Arbitration, John E.C. Brierley Memorial Lecture 2008, McGill University, p. 2 * 2Société Française pour le Droit International, La juridictionnalisation du droit international, Pedone, Lille, 2003 * 3 CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis Consultatif du 11 avril 1949 * 4 Waibel (M.), «The Backlash against Investment Arbitration: Perceptions and Reality», in Kaushal (A.) & Waibel (M.), The Backlash against Investment Arbitration, Kluwer Law International, 2010, p. xxxvii * 5 Au jour même de la rédaction de ce paragraphe (Le 17 novembre 2015), l'Irak signe et ratifie la Convention CIRDI : https://icsid.worldbank.org/apps/ICSIDWEB/Pages/News.aspx?CID=172&ListID=74f1e8b5-96d0-4f0a-8f0c-2f3a92d84773&variation=en_us * 6 Wälde (T.), «Procedural Challenges in Investment Arbitration under the Shadow of the Dual Role of the State», in Arbitration International, Vol. 26 No. 1, 2010, pp. 5-6 * 7Ibidem, p. 6 * 8 CIRDI, Salini c. Maroc, Décision sur la compétence du 23 Juillet 2001 * 9 Sornarajah (M.), The Settlement of Foreign Investment Disputes, Kluwer Law International, 2000, p. 7 * 10 Broches (A.), The Convention on the Settlement of Investment Disputes between States and Nationals of other States, RCADI, La Haye, 1972, p. 344, Ci-suit [Broches (A.) 1972] * 11 Paulsson (J.) & Reed (L.), Guide to ICSID Arbitration, Kluwer Law International, 2010, p. 179 * 12Ibidem, p. xii * 13 Reisman (M.), International Law in Contemporary Perspective, University Casebook Series, 1980, p. 460 * 14 Dolzer (R.) & Scheuer (C.), Principles of International Investment Law, Oxford University Press, 2008, p. 2 * 15 Sterling Silver (J.), «Equality of Arms and the Adversarial Process: A New Constitutional Right», in Wisconsin Law Review, 1990, p. 1009 * 16 Dintilhac (J.P.), « L'égalité des armes dans les enceintes judiciaires », in Rapport Annuel de la Cour de Cassation, 2003 https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2003_37/deuxieme_partie_tudes_documents_40/tudes_theme_egalite_42/enceinte_judiciaires_6255.html (24 Novembre 2015) * 17 Didier (J.P.), « Le principe de l'égalité des armes », in Revue de la recherche juridique, 1993, p. 489 * 18 TPIY, Chambre d'appel, Tadic c. Procureur, Décision du 15 juillet 1999, Para. 30 * 19 Negri (S.), «The Principle of `Equality of Arms' and the Evolving Law of International Criminal Procedure», in International Criminal Law Review, Vol. 5, 2005, p. 513 * 20CEDH, Neumeister c. Autriche, Arrêt du 27 juin 1968, Para. 22 * 21 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), Arrêt du 27 Juin 1986, Para. 31 * 22 Belohlavek (A.), Consumer Protection in Arbitration, Juris, 2012, p. 216 * 23 Wälde (T.), «Equality of Arms in Investment Arbitration: Procedural Challenges», in Yannaca-Small (K.), Arbitration under International Investment Agreements: A guide to the Key Issues, Oxford University Press, 2010, p. 161 [Ci-suit: Wälde (T.) 2] * 24 Broches (A.) 1972, op.cit., p. 344 |
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