Paragraphe II : La protection de l'environnement pour
l'harmonisation du marché commun
Le marché commun est une étape de
l'intégration. Cela suppose que les conditions nécessaires au bon
fonctionnement du marché soient réunies. C'est le cas par exemple
de l'élimination de certaines barrières, tarifaires et non
tarifaires. Pour ce qui est des barrières non tarifaires, les
divergences de législations peuvent en être la cause. En fait, les
distorsions entre législations des Etats membres constituent un frein
à la construction du marché commun CEMAC, d'où un effort
d'harmonisation. La législation environnementale s'inscrit d'ailleurs
dans cette logique dans l'intégration de la CEMAC dans la mesure
où cette politique est consacrée dans le Traité Institutif
de la CEMAC. La Communauté s'inscrit ainsi dans la même logique
que l'Union Européenne. Ainsi, les articles 100 à 102 du
Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté
Economique Européenne, prévoyaient un rapprochement des
législations des Etats membres, lorsque les disparités entre ces
législations fausseraient la concurrence nécessaire pour le
marché commun210. Par ailleurs, en vertu de l'article 95 CE,
le législateur européen a adopté de nombreux textes
relatifs à la protection de l'environnement, surtout lorsqu'il
considérait que ces textes avaient pour objectif principal d'assurer la
libre concurrence211. A ce titre, Alice JARDILLIER affirme que
« la mise en oeuvre concrète de la politique communautaire de
l'environnement répond à un double objectif : elle est à
la fois un instrument d'harmonisation du marché commun et une
manière d'éviter la dégradation des milieux naturels
»212. Cet objectif passe par l'établissement d'une
saine concurrence (A) et la correction des entraves à la libre
circulation (B).
A. L'HARMONISATION DES LEGISLATIONS ENVIRONNEMENTALES
POUR UNE SAINE CONCURRENCE
Il existe une concurrence de compétences entre l'ordre
étatique et l'ordre communautaire213. Cette concurrence
amène les Etats à conserver des compétences dans certains
domaines dont la protection de l'environnement. A priori, cela ne
présente pas de problème, ainsi en vertu du principe de
subsidiarité, les Etats membres de la communauté doivent
légiférer, sauf s'il est prouvé que ce n'est que dans un
ordre plus large que le
210 Jean Pierre BEURRIER, op. cit., pp. 108-109.
211 Florence SIMONETTI, op. cit., p. 70.
212 Alice JARDILLIER, op. cit., 19.
213 Il faut noter que dans les espaces régionaux ou
sous régionaux où il y a chevauchement des OIR, il existe un
autre degré de concurrence en plus de la concurrence entre l'ordre
étatique et l'ordre communautaire. Il s'agit de la concurrence entre
ordres communautaires. La sous-région Afrique Centrale n'est pas
épargnée par ce phénomène. D'ailleurs, on peut
observer les empiètements entre la CEEAC et la CEMAC ; ce malgré
les efforts de rationalisation entrepris par les autorités des deux
communautés. James MOUANGUE KOBILA, op cit. p.
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problème peut être mieux résolu.
Cependant, cette technique peut constituer un frein pour la construction du
marché commun, à cause des distorsions qui peuvent exister entre
les législations nationales des Etats membres. Ces divergences sont
susceptibles de fausser la concurrence, la protection de l'environnement est un
domaine fertile pour cette pratique anticoncurrentielle. En effet, les Etats
membres adoptent des législations environnementales, lesquelles
s'avèrent souvent défavorables pour les entreprises des autres
Etats membres. BAKARY OUATTARA indique d'ailleurs que « l'existence de
politiques nationales environnementales divergentes dans les Etats est à
l'origine de distorsions de concurrence en matière commerciale
» 214 . Pour y remédier, les organes communautaires ont
développé plusieurs techniques : d'une part, laisser le soin aux
Etats membres de continuer de légiférer, mais imposer au niveau
communautaire les conditions d'applicabilité de ces mesures. Il s'agit
de certains principes tels ceux de proportionnalité et de
non-discrimination. D'autre part, procéder à l'harmonisation des
législations nationales pour une mise en cohérence des
règles dans la communauté. La réglementation par les Etats
suivie de mesures d'applicabilité est très souvent en
confrontation avec les exigences de la concurrence. En effet, tel est le cas
dans l'Union Européenne, la protection de l'environnement est
érigée en objectif essentiel de l'Union par le juge
communautaire215. Cela sous-entendrait qu'un Etat peut se permettre
d'entraver la concurrence pour des motifs de protection de l'environnement.
Toutefois, il doit respecter l'obligation de non-discrimination et de
proportionnalité. Qu'en est-il en droit CEMAC ?
1. La consécration des entraves à la
concurrence pour la protection de l'environnement par la
communauté
La protection de l'environnement prend de l'ampleur dans les
expériences d'intégration. Elle a même été
consacrée par l'Union Européenne comme politique essentielle.
À ce titre, peuvent être justifiées les entraves qu'un Etat
membre peut porter sur certains domaines au profit de la protection de
l'environnement. Pour autant, la protection de l'environnement ne doit pas
écarter le développement économique, d'où la
nécessité de concilier les exigences environnementales d'avec les
préoccupations économiques. Cela passe par des entraves reconnues
à la concurrence pour raisons environnementales (a). Ces mesures sont
par ailleurs encadrées pour réduire leurs effets fâcheux
sur la concurrence (b).
214 BAKARY OUTTARA, op. cit., p.185.
215 Arrêt du 7 février 1985, ADBHU, 240/83 voir
Florence SIMONETTI, op cit., p68.
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a. Les entraves autorisées à la concurrence
pour la protection de l'environnement
La concurrence est une pratique fondamentale pour les
marchés dans le système de l'économie de marché. La
CEMAC qui vise l'aboutissement d'un grand marché couvrant son espace
communautaire s'en est approprié. En effet, la Communauté s'est
dotée d'un certain nombre de règles en la matière. Ainsi,
la Convention UEAC dispose en son Article 14 alinéa c) que les Etats
membres s'abstiennent « d'introduire toute disposition en faveur d'une
entreprise établie sur leur territoire visant à des
dérogations ou des exonérations susceptibles d'affecter la
concurrence entre les entreprises de l'Union Economique » 216 . Plus
loin, l'Article 23 alinéa c) dispose que des règlements doivent
être adoptés pour « interdi[re] des aides
publiques susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines
entreprises ou certaines productions »217. Ces deux
dispositions montrent à suffisance que la concurrence est une
préoccupation à laquelle tiennent des autoritaires
communautaires. Toutefois, l'Article 42 alinéa b) dispose que le Conseil
des Ministres définit par règlements « les conditions
dans lesquelles il pourra être dérogé, dans certains
secteurs de l'économie, au droit à la concurrence de l'Union
Economique »218. Cette disposition vient ainsi relever les
entraves autorisées à la concurrence. Pour ce qui est des
entraves relatives à la protection de l'environnement, le
Règlement portant code des investissements de la CEMAC en fait quelques
précisions. En effet, suivant les dispositions de ces textes, notamment
la Charte en son article 19 al. 2 « l'application des dispositions de
réduction d'impôts visant à favoriser la recherche
technologique, [...], la protection de l'environnement » peut
être envisagée par les Etats membres pour encourager les
entreprises qui s'investissent dans la protection de l'environnement. Il
s'agit-là d'une mesure incitative qui certes, vise à
protéger l'environnement, n'en demeure pas moins une entrave à la
concurrence. Par ailleurs, le projet de révision du dispositif
institutionnel de la concurrence, après avoir rappelé
qu'interdiction est faite aux Etats membres de prendre des mesures
anticoncurrentielles au bénéfice d'une quelconque entreprise
opérant sur le Marché Commun, admet que lors d'une
opération de concentration, les Etats membres, pour la défense de
leurs intérêts légitimes, peuvent prendre
216 CEMAC, Convention régissant l'Union Economique de
l'Afrique Centrale (UEAC), révisée, Yaoundé, 28 juin,
24p.
217Ibidem, p7. 218Ibidem,
p11.
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ou demander à la Commission de le faire, des mesures
visant la santé publique et la protection de
l'environnement219.
Toutefois, cette discrimination positive peut revêtir
des effets non désirables pour la concurrence. C'est en ce sens que l'on
peut très souvent recourir aux principes de droit de la concurrence,
pour limiter les dérives que de telles mesures peuvent entrainer.
b. Les mesures de contournement des entraves à la
concurrence
Les entraves à la saine concurrence constituent des
mesures exceptionnelles aux pratiques concurrentielles en vue de la
préservation des intérêts légitimes des Etats
membres. On y insère généralement la santé publique
et la protection de l'environnement. Bien que cette pratique soit très
souvent encadrée, les risques de débordements sont réels.
Ainsi par exemple, un Etat pourrait évoquer la protection de
l'environnement pour écarter ou favoriser une entreprise. Cette pratique
présente des risques pour la CEMAC surtout parce que la Cour de Justice
Communautaire demeure peu dynamique. Pour prévenir ces
égarements, il semble judicieux d'adopter au niveau communautaire des
mesures uniformes aux quelles toutes les entreprises, quelles que soient leurs
nationalités, seront soumises dès lors qu'elles sont admises
à opérer dans l'espace communautaire. D'ailleurs, une taxe
communautaire pour l'environnement ne serait pas une mauvaise idée en
soit. Par ailleurs, l'on pourrait organiser les entraves à la
concurrence au niveau communautaire. Dès lors, il reviendra à
l'entreprise qui sollicite ces exemptions de saisir l'organe communautaire de
la concurrence. Au cas où une suite favorable serait donnée
à sa demande, cet organe chargerait juste les Etats membres par
décision à appliquer cette mesure communautaire.
En somme, l'objectif de protection de l'environnement peut
constituer une entrave à la concurrence. Ces entraves sont
néanmoins corrigibles. Sous d'autres auspices, la protection de
l'environnement contribue à la construction d'une saine concurrence.
2. La contribution de la protection de
l'environnement à la construction d'une saine
concurrence
Si la concurrence peut être sacrifiée pour la
protection de l'environnement, l'environnement ne concourt-il pas aussi
à la concurrence ? La question est posée. En
réalité,
219 CEMAC-PAIRAC, Projet de révision du dispositif
institutionnel de la concurrence de la CEMAC, février 2010. Par
ailleurs, dans le cadre des aides d'Etat aux entreprises, le projet indique en
son article 75 al. 3 que la conservation, du patrimoine et de l'environnement
peut être compatible avec le Marché Commun. P. 30 et suiv.
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dans le cadre de l'intégration CEMAC, l'harmonisation
des législations environnementales telle qu'énoncée dans
certains textes fondamentaux de la Communauté220, contribue
à établir entre les entreprises de la Communauté une saine
concurrence. En effet, le fait d'établir au niveau communautaire des
règles applicables aux entreprises de tous les Etats membres, limitent
les risques de discrimination. Dès lors, il existe en amont des
règles communes à toutes les entreprises exerçant dans
l'espace communautaire. Ainsi, les règles harmonisées de
protection de l'environnement éliminent dans une certaine mesure les
pratiques discriminatoires, lesquelles peuvent revêtir des attributs
positifs mais s'avérer négatives par la suite. Aussi, les
hypothèses où les Etats invoquent la protection de
l'environnement pour saccager les principes de la concurrence seront
réduits, la Communauté ayant déjà prévu les
règles communes de protection de l'environnement.
Cette technique joue un rôle important dans
l'établissement des règles de concurrence. Ainsi, les mesures
prises en ce sens méritent d'être relevées (a), mais aussi
les limites de ces mesures (b).
a. Les mécanismes environnementaux pour une saine
concurrence
La protection de l'environnement joue un rôle non moins
important dans la concurrence. En effet, la technique d'harmonisation ou de
coordination utilisée ici permet d'instaurer un cadre de règles
harmonisées sans distorsions. Ainsi par exemple, à travers les
techniques telles que l'homologation, les produits de la Communauté sont
tenus de répondre à un certain nombre d'exigences ; afin
d'intégrer le marché communautaire. Dans le cadre de la
protection de l'environnement, l'homologation de l'usage des pesticides en est
un exemple. En fait, le règlement portant homologation des pesticides a
institué un organe chargé de l'homologation. Il s'agit du
Comité d'Homologation des Pesticides d'Afrique Centrale (ci-après
: « CPAC »). De fait, il ne revient dès lors à un Etat
de privilégier un producteur ou encore un commerçant - de
certains pesticides-aux dépens des autres. Car tous les pesticides sur
le marché remplissent les conditions requises. S'il advenait qu'un Etat
membre interdise la vente d'un pesticide homologué sur son territoire,
cet Etat devra motiver sa décision. Par ailleurs, l'harmonisation du
contrôle de l'usage des substances appauvrissant la couche d'ozone
concourt aussi à la constitution d'une concurrence saine entre les
entreprises de l'espace communautaire. En
220 L'harmonisation des politiques sectorielles nationales est
prévue par les textes fondamentaux de la CEMAC. En effet, la Convention
de 1994 portant Traité Instituif de la CEMAC prévoit cette
technique dans son préambule. Par ailleurs, le Traité
révisée de juin 2008. La Convention régissant l'UEAC
l'énonce également en son article 6.
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effet, le fait d'instituer un contrôle au niveau
communautaire élude des cas de discriminations que l'on pourrait
observer, lorsqu'il reviendrait à chaque Etat d'organiser
l'homologation. En somme, l'homologation qui est réalisée
très souvent suivant des standards internationaux, entraine une certaine
cohérence. Ainsi, les entreprises en activité dans l'espace
communautaire opèrent dans le respect des exigences qui sont
établies suivant des critères objectifs.
En définitive, l'harmonisation des procédures au
niveau supranationale est une opportunité de limitation des entraves
à la concurrence. Cependant, il y'en a qui subsistent.
b. Les insuffisances des mécanismes
environnementaux pour la construction d'une saine concurrence
Les mécanismes environnementaux mis au service de la
saine concurrence sont multiples et divers. Néanmoins, ils sont
eux-mêmes insuffisants, voire limités pour la construction d'une
saine concurrence. Pour le cas spécifique de la CEMAC, deux
mécanismes peuvent être relevés. Il s'agit notamment de
l'harmonisation et de l'homologation. Il est vrai, l'harmonisation
présente de nombreux avantages ; car elle permet à la
communauté de faire intégrer dans les législations
nationales des mesures communes à tous les Etats membres de la
communauté. Cela dans l'optique de créer une certaine
cohérence au sein de la communauté. Cependant, l'harmonisation au
niveau de la CEMAC est majoritairement effectuée avec des directives qui
se caractérisent par leur élasticité221 ; ce
qui peut donner lieu à des distorsions. Par ailleurs, l'harmonisation
n'est pas suffisante, elle laisse beaucoup d'interférences des Etats
membres. Ce qui n'est pas le cas par exemple de l'uniformisation ou de
l'unification. En plus, l'homologation qui présente certes des
avantages, demeure empreinte des interférences des Etats membres,
lesquels sont susceptibles de fausser la concurrence. Ils peuvent le faire dans
le cadre de l'octroi d'un certificat par exemple.
En définitive, il existe une corrélation entre
la protection de l'environnement et la concurrence. En effet, il existe des
entraves à la concurrence au profit de l'environnement. Par ailleurs,
l'environnement contribue à l'établissement d'une saine
concurrence au sein du marché commun. Qu'en est-il de la libre
circulation ?
221 Les directives sont des textes communautaires qui donnent des
objectifs à atteindre à leurs destinataires en leur laissant le
choix des moyens à utiliser.
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