L'ENVIRONNEMENT DANS LES TEXTES FONDAMENTAUX DE LA
CEMAC
L'intégration de la CEMAC est construite par un arsenal
juridique. Cet arsenal juridique repose sur un corps de textes dits
fondamentaux. Encore appelés le droit primaire, ces normes sont celles
qui créent l'organisation d'intégration ; au reste, créent
et organisent le fonctionnement des principales institutions communautaires,
établissent les objectifs, énoncent les principes fondamentaux,
organisent les pouvoirs et procédures pour l'exercice de ces
compétences, et priment du reste sur le droit
dérivé114. Les textes fondamentaux de la CEMAC sont
constitués du traité institutif, ses différentes
modifications et ses additifs d'une part, et les quatre conventions
régissant les institutions majeures de la communauté notamment
celles régissant les deux unions d'autre part115. Ce sont ces
textes qui organisent la vision et la stratégie de l'intégration.
De ce fait, ils précisent les secteurs objet du processus
d'intégration. Dès lors, qu'elle place occupe la protection de
l'environnement dans les textes fondamentaux ? L'analyse portera
essentiellement sur le traité constitutif (1) et sur les autres textes
faisant partie du droit primaire (2).
113 L'Union Européenne fait de la protection de
l'environnement « une préoccupation essentielle ».
Voir Florence SIMONETTI, op. cit.,
114 Valérie BAUER, Guide Pratique pour la mise en oeuvre
du droit communautaire, document pdf, 2000, p.20.
115 Conventions des 22 et 23 novembre 1972,
révisées le 25 juin 2008 régissant l'Union
Monétaire de l'Afrique Centrale (ci-après : « UMAC »),
la Convention révisée à Yaoundé le 25 juin 2008
régissant l'Union Economique des Etats de l'Afrique Centrale
(ci-après : « UEAC »).
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1. Le caractère secondaire de la protection de
l'environnement dans le traité constitutif de la CEMAC
La CEMAC a vu le jour le 16 mars 1994 à la faveur du
Traité de N'Djamena. Ce traité est le texte constitutif de la
Communauté. Le Traité de N'Djamena se caractérise par son
contenu trop peu fourni116. A l'inverse de celui-ci, la version
révisée du traité constitutif de la communauté est
riche en articles117. Il s'agit certainement là d'une
volonté du constituant communautaire de préciser un certain
nombre de choses dès le traité institutif. Ainsi, des
développements sont consacrés au système institutionnel et
juridique de la Communauté, sur les dispositions
générales. Il ressort de ce traité la mission essentielle
de la CEMAC118. Cet article ne fait pas référence
à la protection de l'environnement. Cette absence de dispositions
spécifiques relatives à la protection de l'environnement
s'explique par l'esprit du traité d'une part (a). Cependant, une prise
en compte implicite de la protection de l'environnement est perceptible dans
ces traités (b).
a. La propension du traité institutif de la CEMAC
à se limiter aux aspects institutionnels
L'esprit du traité constitutif de la CEMAC n'accorde
pas de manière explicite de place pour les dispositions relatives
à la protection de l'environnement. BAKARY OUATTARA indiquait
d'ailleurs, peut-être de manière un peu trop radicale, qu' «
aucune disposition de leurtraitésconstitutifs [les
organisations sous régionales] ne mentionnait le volet environnement
»119. En effet, l'esprit du traité ne favorise pas
une telle pratique. D'ailleurs, le traité constitutif de la
communauté porte essentiellement sur la philosophie de la
communauté, les questions accessoires n'étant pas clairement
prises en compte. Dans le préambule, l'évocation des missions
essentielles de la communauté, la création des institutions et
les organes majeurs de la communauté. Ces dispositions sont souvent
très
116 Le Traité de N'Djamena de 1994, portant
création de la CEMAC comporte seulement sept (07) articles.
117 Le Traité révisé de la CEMAC a
été adopté le 25 juin 2008 à Yaoundé au
Cameroun. Il comporte 67 articles.
118 L'article 2 du Traité de N'Djamena dispose à
cet effet : « La mission essentielle de la Communauté est de
promouvoir la paix et le développement harmonieux des Etats membres,
dans le cadre de l'institution de deux unions : une Union Economique et une
Union Monétaire. Dans chacun de ces deux domaines, les Etats membres
entendent passer d'une situation de coopération, qui existe
déjà entre eux, à une situation d'union susceptible de
parachever le processus d'intégration économique et
monétaire »
119 Cette situation n`est pas l'apanage des O.I.S.R d'Afrique.
En effet, le retard observé dans la prise en compte des
préoccupations environnementales dans les expériences
d'intégrations a été aussi observé dans le
processus d'intégration de l'UE. D'ailleurs, BAKARY OUTTARA rappelle
qu'elle « attendu trente (30) ans pour que soit prise en compte la
protection de l'environnement dans l'Acte Unique Européen»,
depuis les années 1970 déjà, la Communauté avait
commencé à intégrer la protection de l'environnement. Voir
BAKARY OUATTARA, « Le rôle des organisations sous régionales
dans le développement du droit de l'environnement : l'exemple de l'UEMOA
», in Laurent GRANIER (Coord.), Aspects contemporains du droit
international de l'environnement en Afrique de l'Ouest et Centrale, UICN,
Gland, 2008, pp. 177-196, (spécif. P.177).
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générales. De plus, le traité constitutif
de 1994 de la CEMAC, est un exemple. Ce texte de sept articles consacre
l'article 1er à la mission essentielle de la
communauté, à savoir : « promouvoir un
développement harmonieux des Etats membres dans le cadre de
l'institution de deux Unions : une Union Economique et une Union
Monétaire »120. Les autres articles sont
consacrés pour la plupart aux organes et institutions majeurs de la
communauté. On comprend dès lors pourquoi l'environnement n'est
pas explicitement évoqué.
Plus élaboré, le traité
révisé de 2008 ne s'éloigne tout de même pas de la
logique du traité de 1994. En effet, l'article 2 reprend presque mot
pour mot l'article 1er sus évoqué. La logique des
traités constitutifs ne consiste donc pas à une
élaboration des différentes politiques communautaires. C'est
certainement la raison pour laquelle ce texte comporte sept titres portant sur
le fonctionnement de la communauté.
b. La prise en compte implicite de l'environnement dans
le traité constitutif de la CEMAC
La protection de l'environnement est implicitement
évoquée dans le traité constitutif de la CEMAC. En effet,
c'est dans la recherche d'autres objectifs que la protection de l'environnement
est incidemment évoquée. De fait, à la lecture du
traité constitutif de la CEMAC, il en ressort qu'en plus des aspects
statutaires, seules sont clairement définies les missions essentielles
de la Communauté. Par conséquent, c'est de manière
implicite que la protection de l'environnement est évoquée. C'est
l'expression de l'exclusion de l'environnement des préoccupations
essentielles de l'intégration CEMAC. Dès lors certains concepts
s'avèrent évocateurs :
- Le développement harmonieux
La finalité de l'intégration dans le cadre de la
CEMAC est l'institution d'un « développement harmonieux
». Entendu comme un développement « dont
l'équilibre produit un effet agréable », le
développement harmonieux visé par la communauté peut tout
d'abord renvoyer à un développement qui vise à
équilibrer le niveau de développement entre les Etats membres ;
à tel enseigne qu'il n'y ait pas de disparités entre les
économies, les sociétés des Etats membres de la
communauté. C'est ce à quoi renvoie, nous semble-t-il, le
développement harmonieux auquel fait allusion le traité
constitutif de l'Union Douanière et
120 Le Traité CEMAC a été signé le 16
Mars 1994 à N'Djamena.
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Economique de l'Afrique Centrale (ci-après : «
UDEAC »)121, lorsqu'il dispose que les Etats membres
sont « soucieux de renforcer l'unité de leurs économies
et d'en assurer le développement harmonieux ». Le
développement harmonieux peut aussi renvoyer à un
développement qui préconise l'équilibre entre le
développement économique et la protection de l'environnement,
dans l'optique d'aboutir non seulement à un développement
quantitatif, mais aussi à un « développement qualitatif
». Cette seconde acception n'exclut tout de même pas la
première. A l'absence d'une précision terminologique par le
traité, l'on pourrait penser dès lors que le traité
Constitutif de la CEMAC a adopté les deux sens sous
évoqués du terme harmonieux. Car comme nous le verrons plus loin,
des dispositions sont prises dans le cadre de la CEMAC, pour rationaliser le
développement à travers les exigences environnementales.
- L'harmonisation des politiques sectorielles
nationales
Dans une autre mesure, les gouvernements des Etats membres
s'engagent « à donner une impulsion nouvelle et décisive
au processus d'intégration en Afrique Centrale par une harmonisation
accrue des politiques et des législations de leurs Etats
»122. Cet extrait prévoit ainsi l'harmonisation des
politiques nationales des Etats membres. Cette harmonisation n'exclut pas les
politiques environnementales, dont on observe une réelle avancée
de la part des Etats membres. D'ailleurs, les autres politiques sectorielles
dont le traité recommande ici l'harmonisation, comportent aussi des
dispositions environnementales. En effet, l'intégration
économique impose une certaine cohérence entre les
législations des Etats membres ; afin d'éviter les distorsions ou
disparités entre les économiques susceptibles de fausser la saine
concurrence entre les acteurs commerciaux de la Communauté. Dès
lors, cette mise en cohérence est appelée à aboutir
à l'uniformisation123 des législations et des
politiques, en passant par l'harmonisation ou rapprochement. Les fondateurs de
la communauté ont plutôt jusqu'ici préconisé
l'harmonisation.
121 Ce Traité date de 1964. Il a subi plusieurs
modifications : Yaoundé le 7 décembre 1974, Bangui le 19
décembre 1983, Brazzaville le 19 décembre 1984 et Libreville le 6
décembre 1991.
122 cf. Préambule du Traité constitutif de la
CEMAC.
123 D'après le Vocabulaire Juridique, l'uniformisation
est « la modification de la législation d'un ou plusieurs pays
tendant à instaurer dans matière juridique donnée une
réglementation identique ». Selon Samuel-Jacques PRISO-ESSAWE,
il s'agit de la « substitution » des législations
nationales par la norme commune ; le règlement est selon lui,
l'instrument juridique adéquat pour cette technique. Voir Samuel-Jacques
PRISO-ESSAWE, Conférence sur le thème : « Solidarité,
différenciation : quel chemin pour la CEMAC ? », tenue à
l'Université de Douala le 27 juillet 2015, inédit.
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2. Le caractère secondaire de la protection de
l'environnement dans les conventions régissant les deux
unions
L'intégration de la CEMAC repose sur deux unions,
à savoir : l'Union Monétaire de l'Afrique Centrale (UMAC) et
l'Union Economique de l'Afrique Centrale (UEAC). Tel que leurs noms
l'indiquent, ces unions portent sur les objets essentiellement
économiques et monétaires. Si la convention régissant
l'UMAC n'est consacrée qu'à la politique monétaire et
financière, celle régissant l'UEAC accorde de la pace à
d'autres domaines. Il s'agit des politiques communes124 et des
politiques sectorielles.125 Dans cet ensemble, la protection de
l'environnement ne semble pas bien positionnée. C'est ce qu'il convient
de démontrer dans cette section. Le caractère accessoire de la
protection de l'environnement se manifesterait à travers la place
qu'elle occupe dans le dispositif de ces conventions. Il s'agit notamment de la
Convention régissant l'UEAC et celle régissant l'UMAC.
a. Une place mitigée de la protection de
l'environnement parmi les objectifs de l'Union Economique
La convention régissant l'UEAC énonce quatre
objectifs126 pour l'union. Parmi ces objectifs, la protection de
l'environnement intervient dans le quatrième objectif. Ce
quatrième objectif porte sur la « coordination
»127 des politiques sectorielles nationales, «
mettre en oeuvre des actions communes », « adopter les
politiques communes ». C'est donc certainement à cause des
nécessités du marché commun, lequel exige une
cohérence entre les législations des Etats membres128
que la protection de l'environnement intervient. Cette disposition n'est pas
exclusivement relative à l'environnement ; Plusieurs politiques en
sont
124 La Convention UEAC énonce trois politiques
communes. Il s'agit de : la politique Economique Générale
(Section I), la Fiscalité (Section II) et le Marché Commun
(Section III).
125 La Convention UEAC énonce huit (08) politiques
sectorielles, dont la protection de l'environnement et des ressources
naturelles à la section v.
126 L'article 2 de ladite convention énonce d'ailleurs
: « Aux fins énoncées à l'article premier et dans
les conditions prévues par la présente Convention, l'Union
Economique entend réaliser les objectifs suivants : [...]
d) instituer une coordination des politiques sectorielles
nationales, mettre en oeuvre des actions communes et adopter des politiques
communes, notamment dans les domaines suivants : l'agriculture,
l'élevage, la pêche, l'industrie, le commerce, le tourisme, les
transports, l'aménagement du territoire communautaire et les grands
projets d'infrastructures, les télécommunications, les
technologies de l'information et de la communication, le dialogue social, les
questions de genre, la bonne gouvernance et les droits de l'homme,
l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles, la recherche,
l'enseignement et la formation professionnelle »
127 La coordination des législations nationales est
« la suppression des divergences et disparités entre
législations des Etats membres qui ne conduit pas pour autant à
une unification législative ». Voir Gérard CORNU
(Dir.), Vocabulaire Juridique, 9è éd. revue et
augmentée, PUF, 2012, p.269
128 Les Etats membres de la CEMAC sont : le Cameroun, le
Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la République
Centrafricaine et le Tchad.
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concernées.129D'ailleurs, l'environnement
n'occupe que le dix-huitième rang derrière des
préoccupations d'ordre économique, les préoccupations
d'ordre social et politique. Ainsi, l'environnement se retrouve juste avant
« la recherche, l'enseignement et la formation professionnelle
». Ceci démontre à suffisance que sur une
échelle de priorités dans l'intégration CEMAC,
l'environnement se retrouve parmi les derniers.
b. L'absence des dispositions relatives à la
protection de l'environnement dans certaines conventions de la
CEMAC
En plus du traité constitutif de la CEMAC, l'ossature
des textes fondamentaux est complétée par les conventions
adoptées pour compléter et préciser un certain nombre
d'éléments énoncés dans le traité
constitutif. Ainsi, d'autres conventions ont été adoptées
dans le cadre du processus de la CEMAC130. Ces conventions
constituent avec celle régissant l'UEAC le fondement des unions
chargées de conduire l'intégration. Si la Convention
régissant l'UEAC comporte des dispositions expresses relatives à
la protection de l'environnement, ce n'est pas le cas de la Convention
régissant l'UMAC, dont les préoccupations sont exclusivement
relatives à la politique monétaire et financière.
Toutefois, la Convention régissant le Parlement indique, que celui-ci,
dans sa participation au processus décisionnel, doit émettre des
avis sur un certain nombre de questions, dont les politiques sectorielles
communes. La protection de l'environnement étant intégrée
comme politique sectorielle commune, par conséquent serait
impliquée. Cependant, l'avis du Parlement est certes obligatoire, mais
est simple131.
Le caractère secondaire de la protection de
l'environnement est expressif dans les textes fondamentaux, notamment dans le
Traité constitutif aussi dans certaines conventions régissant les
institutions communautaires. Par ailleurs, ce caractère secondaire de la
protection de l'environnement se perpétue dans les textes
dérivés.
129 Pour consulter les autres politiques concernées par
la coordination, consulter l'alinéa d de l'article 2 ci- dessus.
130 Il s'agit des Conventions des 22 et 23 novembre 1972,
révisées le 25 juin 2008, régissant l'UMAC.
131 Le paragraphe III de l'Article 25 de la Convention du 25
juin 2008 régissant le Parlement Communautaire en question,
précise les secteurs ouverts aux avis conformes en ces termes :
« L'avis conforme du parlement est requis pour l'adhésion de
nouveaux membres, les accords d'association avec les Etats tiers, le droit
d'établissement et la libre circulation des personnes, des biens et des
services ».
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