B- Une attribution irrégulière des
marchés
Une fois les offres techniques et financières
évaluées, il incombe à la commission de passation des
marchés de l'autorité contractante de procéder à
l'attribution du marché conformément aux dispositions des
articles 84 du CMP Sénégal et 31 du CMP Togo. En effet, selon les
exigences d'intégrité qui régissent la commande publique
et sur fond de transparence, l'autorité contractante ne peut attribuer
le marché qu'au soumissionnaire ayant présenté non
seulement une offre technique conforme aux spécifications du dossier
d'appel d'offres ou de la demande de propositions, mais aussi une offre
financière jugée moins-disante. Toutefois dans la pratique, ces
exigences qui garantissent la transparence sont dans bien de cas
occultées. A cet effet, on signale des malversations aussi
néfastes les unes que les autres dans cette phase cruciale du processus
de passation.
D'abord en ce qui concerne le Sénégal, il y a
lieu de souligner une défaillance au sein de certaines commissions de
passation. A cet effet, le rapport d'audit de l'ARMP sur les marchés
passés en 2014 nous instruit à suffisance sur cet état de
fait. Entre autres on note des délais anormalement longs
constatés entre l'ouverture des plis et l'attribution des marchés
imputés à
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 73
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
certaines autorités contractantes180 violant
ainsi les dispositions de l'article 70 du CMP qui fixe ce délai a 15
jours181. Mais les faits les plus délicats s'articulent
autour des phénomènes des conflits
d'intérêts182 et de favoritisme qui semblent à
bien des égards être présents dans le processus, depuis
l'évaluation des offres jusqu'à l'attribution provisoire du
marché.
En effet, les conflits d'intérêt dans les
commissions de passation des marchés, peuvent résulter de
l'action de plusieurs ou d'une seule personne. Mais le plus souvent, il est le
fait du détenteur du pouvoir discrétionnaire. Sous cet angle, il
peut être associé au risque de partialité lorsque la
transparence de la prise de décision est faible. Ainsi le risque est
plus élevé si un seul individu dispose d'un pouvoir
discrétionnaire sur toutes les décisions, que si plusieurs
personnes sont impliquées dans la prise de décision. On signale
à ce effet que le Directeur de l'Administration Générale
et de l'Equipement (DAGE) du ministère du tourisme et du transport
aérien (MTTA) est président de la commission des marchés,
président de la commission de réception et au-delà de ce
cumul de fonctions, contraire au principe de séparation des fonctions,
il agit comme PRMP en approuvant certains contrats sans avoir reçu une
délégation formelle du ministre dépensier au sens de
l'article 27 du CMP183 à cet effet. Cette situation a eu pour
conséquence la rupture du principe d'égalité de traitement
des candidats184 lors de l'évaluation et de l'attribution de
certains marchés.
En outre, certains candidats dont les offres n'ont pas
été retenues, n'ont-ils pas été informés par
écrit du rejet de leurs offres. De toute évidence, ce
défaut de notification ne s'inscrit pas dans une
180 Il s'agit de la commission de passation des marchés
des autorités contractantes comme le Centre Hospitalier Régional
de Thiès (CHRT), le Centre Hospitalier Régional Ibrakhima Niass
de Kaolack (CHREIN-KL), la Société d'Infrastructure et de
Réparation Navale (SIRN), la Société Nationale du Port
Autonome de Dakar (SN PAD).
181 Ce délai peut être prorogé dans la
limite maximale de 10 jours sur demande motivée de l'autorité
contractante adressée à la DCMP.
182 Il s'agit d'une situation dans laquelle les membres des
commissions se retrouvent à orienter leur décision dans le sens
des intérêts d'un soumissionnaire pour lequel ils prennent parti,
contrevenant ainsi aux exigences d'intégrité et de transparence
dans l'attribution des marchés.
183 Article 27 CMP Sénégal « La
procédure de passation des marchés est conduite par la personne
responsable du marché, qui est habilitée à signer le
marché au nom de l'autorité contractante. Les marchés
conclus par une personne non habilitée à cet effet sont nuls et
de nullité absolue.
L'autorité contractante peut désigner d'autres
personnes responsables des marchés, en précisant les
catégories et les montants des marchés pour lesquels celles-ci
disposent des compétences de personnes responsables de marchés
».
184 Il s'agit du marché relatif à l'acquisition du
matériel de transport à la DAGE.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 74
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
logique de transparence puisque les soumissionnaires
évincés ont le droit de prendre connaissance des raisons qui ont
motivé le rejet de leurs offres. Par ailleurs, on remarque que lors de
l'attribution des marchés, les décideurs manquent parfois
d'impartialité comme cela a été le cas dans l'affaire
opposant la DCMP à la SENELEC185.
Quant au Togo, les constats relatifs à l'attribution
des marchés sont inquiétants au moins autant si ce n'est plus
qu'au Sénégal. A cet effet, si nous prenons d'une part les
marchés de la (SAZOF) évoqués précédemment,
il ressort dans les travaux de la commission de passation des marchés
que les offres reçues ne sont pas enregistrées dans leur ordre
d'arrivée dans un registre spécial mais plutôt sur des
papiers imprimés sur format A4. Plus grave, le procès-verbal
d'attribution n'a pas été publié après la
validation du rapport d'évaluation par la DNCMP avec pour
conséquence, une non-information des soumissionnaires non retenus
à qui la possibilité n'est plus de ce fait donnée de faire
un recours, recours qui a priori constitue une garantie prônée par
le principe de transparence.
D'autre part, l'analyse de la suite de l'attribution
provisoire des marchés par la commission de passation de la LONATO
(Loterie Nationale Togolaise) par AOO révèle que deux 2
marchés sur les 03 audités soit 66,67% n'ont pas
été approuvés dans le délai de validité des
offres, entrainant non seulement un allongement des délais de
réalisation de l'activité mais aussi un risque
considérable de non-validité des offres. Par ailleurs le rapport
déplore le défaut de publication d'avis d'attribution
définitive dans le journal officiel des marchés publics ou tout
autre journal habilité sur la totalité des marchés
audités186 causant ainsi un déficit d'informations des
soumissionnaires et du public en général.
Pour ce qui est des marchés passés par appel
d'offres ouvert par la société nationale de
téléphonie mobile TOGOCEL et le Port Autonome de Lomé,
c'est le même son de cloche que la LONATO, en ce qui concerne
l'approbation des marchés audités dans le délai de
validité des offres, mais dans une proportion de risque quelque peu
élevée. Il en est de même pour les formalités de
publicité dans le journal officiel des marchés publics
relativement à l'avis
185 Nous aborderons cette question de manière plus
approfondie dans les parties à venir.
186 Cabinet Erudit, Rapport de revue indépendante de la
conformité des procédures de passation, de contrôle et
d'exécution des marchés publics passés par la LONATO au
titre de l'année 2013, Page 20.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 75
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 76
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
d'attribution définitive.
Tout bien pesés, les faits ci-haut cités
constituent aux bas mots les manquements les plus partagés dans
l'évaluation et l'attribution des marchés passés par AOO,
dans la mesure où la majorité des autorités contractantes
n'ont pas échappé à ces constats. Ces derniers d'ailleurs
ne se limitent pas qu'aux procédures normales de passation des
marchés.
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