Paragraphe 2 : Les anomalies dans le traitement des
dossiers
Le traitement des dossiers par l'autorité contractante
peut révéler des irrégularités sur plusieurs plans.
Les anomalies dont il est question ici peuvent dès lors être
structurées, à travers l'évaluation compromise des offres
(A) et l'attribution irrégulière des marchés (B).
A- Une évaluation compromise des offres
Au terme des dispositions des articles 35 du CMP
Sénégal174 et 1er du CMP
Togo175, on retient qu'une fois que les offres ont été
déposées par les candidats, la commission de passation des
marchés de l'autorité contractante concernée
procède à l'ouverture publique des plis et à
l'évaluation des offres qui ont été déposées
dans les délais contenus dans le dossier d'appel d'offres. Ces deux
phases concentrent cependant des manquements aux règles de transparence
à cette étape de la procédure car ce sont elles qui
détermineront respectivement la prise en connaissance du contenu des
offres techniques des candidats et leur conformité par rapport aux
spécifications du DAO de même que l'évaluation de leurs
offres financières.
Au Sénégal, le dernier rapport publié de
l'ARMP176 indique que la conduite de plusieurs processus
d'évaluation des offres est marquée par une absence de
formalisation dans les rapports d'évaluation et un contrôle
insuffisant de la conformité technique des offres aux
spécifications des cahiers de charges, en violation des dispositions de
l'article 59 du CMP relatif aux critères d'évaluation des
offres.
En outre, les opérations d'audit portant sur les
marchés passés par la Fondation Droit à la Ville font
état de graves manquements dans les activités de la commission et
dans celles de la cellule
174 « Au niveau de chaque autorité
contractante, sont mises en place une commission des marchés
chargée de l'ouverture des plis, de l'évaluation des offres et de
l'attribution provisoire des marchés ainsi qu'une cellule de passation
des marchés chargée de veiller à la qualité des
dossiers de passation des marchés ainsi qu'au bon fonctionnement de la
commission des marchés, dans les conditions fixées par
arrêté du Ministre chargé des finances après avis de
l'organe chargé de la régulation des marchés
publics.»
175 «Commission constituée par une
autorité contractante pour procéder à l'ouverture et
à l'évaluation des offres ; elle recommande, dans ses
conclusions, l'attribution ou non du marché ou de la
délégation ».
176 Rapport annuel 2014 de l'ARMP Sénégal.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 70
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
de passation177 des marchés de ladite
fondation. Aussi, la désignation du coordonnateur de la cellule de
passation des marchés comme membre du comité d'évaluation
des offres et membre de la commission de réception méconnait-elle
les dispositions de l'article 36 du code qui régit la composition de la
commission de passation des marchés des autorités
contractantes.
Rappelons à cet effet dans l'esprit du code et ce, pour
des questions de transparence, que les membres de la cellule de passation des
marchés et ceux de la commission de passation doivent être
désignés de manière distincte. Aussi a-t-il
été constaté que la commission des marchés ne s'est
pas réunie pour procéder à l'examen du rapport
d'évaluation, au mépris des exigences de l'article 39
alinéa 2 du code et du décret n°1048 du 27/07/2011.
Les anomalies variant dans leurs spécificités
d'une autorité contractante à une autre, mais demeurant communes
dans leur esprit général d'atteintes au principe de la
transparence, on constate une fois de plus dans la phase d'évaluation
des offres, une opacité de la définition des critères de
sélection, qui de ce fait rend le processus de sélection
subjectif plutôt qu'objectif.
En effet, les rapports d'évaluation de certaines
autorités contractantes ont été très sommaires.
C'est le cas de l'Agence Sénégalaise d'Electrification Rurale
(ASER) où les évaluations ont été faites uniquement
sur la base d'une comparaison des prix, en violation des articles 59 et 70 du
CMP alors qu'elles devaient se faire conjointement avec l'offre
technique178.
Pour d'autres autorités contractantes comme la SENELEC,
il a été constaté que le rapport d'évaluation des
offres ne précise pas la date d'approbation de deux des marchés
qu'elle a passés, pour le compte de l'année 2013.
Aussi, note-t-on une violation du principe
d'intangibilité des offres au niveau de l'Agence Nationale de
l'Aquaculture suite à un ajustement et non une correction d'erreur
arithmétique qui a été opéré sur l'offre
d'un soumissionnaire, pour la rendre conforme au dossier d'appel à
concurrences par la commission alors que cela n'était pas de son
ressort. Il en a été de même lors
177 Le rapport dénonce à cet effet une mise en
place tardive de la commission de passation des marchés violant ainsi
les dispositions de l'article 35 du CMP et de l'arrêté 12/783 du
26/12/2012
178 Cabinet d'audit Grant Thornton, Revue indépendante
de la conformité de la passation des marchés des autorités
contractantes du groupe 2 (Gestion 2014), Agence Sénégalaise
d'Electrification Rurale, Rapport définitif, Page 4.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 71
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
du processus de passation pour l'acquisition de deux
unités de fabrique d'aliments de poisson ou l'un des soumissionnaires a
apporté par lettre, des modifications sur son offre
financière.
En ce qui concerne le Togo, les phases d'ouverture et
d'évaluation des offres sont organisées sous la
responsabilité de la Personne Responsable des Marchés Publics,
assistée dans cette mission par une Commission de Passation des
Marchés Publics, chargée des opérations d'ouverture et
d'évaluation des offres et des propositions. Là encore, nous
avons relevé des irrégularités.
En effet à ce niveau de la procédure, le dernier
rapport de synthèse de l'ARMP portant sur les marchés publics
conclus au cours de l'année 2015, impute à certaines
autorités contractantes, un non-respect ou une interprétation
erronée des clauses des dossiers d'appel à la concurrence lors de
l'évaluation et la comparaison des offres. Ainsi ce rapport
déplore-t-il une violation du principe d'égalité de
traitement des candidats, déjà constatée lors de
l'évaluation des offres, notamment à travers la tolérance
pour des écarts graves commis par certains soumissionnaires et
l'austérité avec laquelle sont traités d'autres candidats
moins indélicats.
Par ailleurs, il a été rapporté que
certaines autorités contractantes ont déclaré conformes
certaines offres alors qu'elles ne l'étaient pas et inversement.
Toujours dans cette logique de mauvaise évaluation des offres, le
rapport de l'ARMP fait état d'un cas de déclaration d'une offre
anormalement basse sans que l'autorité contractante ait au
préalable pris le soin d'inviter le soumissionnaire à justifier
son prix comme l'exigent les dispositions de l'article 64 du code togolais des
marchés publics. En outre, il est fait mention d'un cas de rejet d'une
offre pour absence de la page de signature de la lettre de soumission alors
qu'elle y figurait.
Pour ce qui est des marchés passés par la
Société d'Administration de la Zone Franche (SAZOF) en 2013, en
plus de la non-obtention de l'avis de la commission de contrôle des
marchés publics sur le rapport d'évaluation des offres, il est
constaté que le rapport d'analyse des offres est signé mais ses
pages ne sont pas paraphées par les membres de la sous-commission en
charge de l'analyse des offres pour les 3 marchés179,
entrainant de ce fait un risque de non-contrôle sur la fiabilité
et la régularité de la procédure de contrôle.
179 Rapport de revue indépendante de la
conformité des procédures de passation, de contrôle et
d'exécution des marchés publics passés par la
Société d'Administration de la Zone France (SAZOF) au titre de
l'année 2013.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 72
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
Quant à la Société Togolaise de Eaux,
l'analyse de l'évaluation des marchés par elle passés par
AOO en 2013 montre que pour 4 des 7 marchés audités soit 57%, le
rapport d'analyse des offres n'a pas été soumis à
l'approbation de la commission de contrôle des marchés publics
(équivalent de la cellule de passation des marchés en droit
sénégalais).
Tous ces phénomènes susmentionnés,
témoignent d'un manque de transparence dans le processus
d'évaluation, et dont les causes pourraient dans un examen
antérieur sur la question, relever de la corruption des agents publics
ou du favoritisme au profit d'un des candidats. Somme toute, voilà
autant d'anomalies que d'incompréhensions qui d'une manière
significative compromettent la transparence dans le processus
d'évaluation des offres. Qu'en est-il alors de l'état de la
transparence au plan de l'attribution des marchés ?
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