La souveraineté de l'état en période de conflits déstructurés.( Télécharger le fichier original )par Paul Mystère Léonnel NTAMACK BATH Université de Douala - Master II Recherche Droit international public 2010 |
CHAPITRE I :UN AFFAIBLISSEMENT DE LA SOUVERAINETE DE L'ETAT INHERENT A L'ETAT DE BELLIGERANCE « La question de l'existence d'un conflit armé est encore plus fondamentale dans le cadre d'un conflit [déstructuré] impliquant la participation des groupes armés d'opposition que dans celle d'un conflit international classique en raison de l'absence systématique de déclaration de guerre »125(*). Eu égard à la nature des conflits de l'ex-Yougoslavie par exemple, la jurisprudence du TPIY a eu l'occasion de préciser les conditions dans lesquelles le degré de violence atteint le seuil requis. Dans l'affaire Tadic, la Chambre d'appel est ainsi arrivée à la conclusion suivante126(*) : « [U]n conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée [...] entre les autorités gouvernementales et les groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat. Le droit international humanitaire s'applique dès l'ouverture de ces conflits armés et s'étend au-delà de la cessation des hostilités [...] dans le cas de conflits internes, sur l'ensemble du territoire sous le contrôle d'une partie, que des combats effectifs s'y déroulent ou non »127(*). L'article 8 du statut de Rome précise, quant à lui, que les dispositions relatives aux crimes de guerre s'appliquent « aux conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d'un Etat les autorités du gouvernement de cet Etat et des groupes armés organisés ou des groupes organisés entre eux »128(*). Dans une série importante d'affaires, le TPIY a établi un faisceau d'indices nécessaires à l'établissement de l'existence d'un conflit qui dépasserait les violences sporadiques129(*). Aucun de ces indices n'est suffisant ou essentiel dans l'établissement de l'existence du conflit armé : les indices incluent le nombre, la durée et l'intensité des confrontations individuelles, le type d'armes ou d'autre équipements militaire utilisé, le nombre et le calibre des munitions utilisées, le nombre de personnes participant et le caractère des forces engagées prenant part au conflit, le nombre de pertes, le degré de destruction du matériel et le nombre de civils fuyant la zone de conflit130(*). Ainsi, tous ces indices permettent d'opérer, le constat selon lequel, les conflits déstructurés une fois qu'ils se déroulent au sein de l'Etat, le fragilisent et l'affaiblissent. La montée de la violence incontrôlée des belligérants participe de l'effondrement des structures étatiques (section 1), conduisant au contrôle des groupes rebelles des parties du territoire de l'Etat (section 2). SECTION I : L'EFFONDREMENT DES STRUCTURES ETATIQUESLes limites territoriales de l'Etat ne sont pas le lieu du déroulement des affrontements armés dans la mesure où, l'Etat moderne se différencie de l'état de nature de Thomas HOBBES, ou de la jungle dans lesquels c'est la loi, du fort qui règne. Du fait de la souveraineté, l'Etat édicte des normes pour une vie sociale pacifique, et au sein duquel les faibles sont protégés par la loi, de l'arbitraire ou de la barbarie des forts. En revanche, la souveraineté de l'Etat est relativisée par les conflits déstructurés qui se caractérisent par l'affaiblissement des structures étatiques entraînant par conséquent l'absence de respect des règles juridiques de l'Etat et aussi, l'absence de cohésion sociale et d'unité nationale. De plus, dans de telles circonstances, certaines contestations internes, font subir à l'autorité gouvernementale une crise de légitimité et d'effectivité telle (Angola, Mozambique) qu'elle ne dispose plus d'un appareil suffisant pour assurer les missions régaliennes de l'Etat131(*) (Paragraphe 1) et la protection de la population ( Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : UNE INCAPACITE DE L'ETAT A REMPLIR SES MISSIONS REGALIENNESA cause de l'effondrement des structures de l'Etat, l'autorité exécutive n'est plus capable de maintenir l'ordre et la sécurité publics (A) sur l'ensemble du territoire132(*). Dans d'autres cas, la désintégration politique (B) va jusqu'à une véritable vacance du pouvoir, l'autorité exécutive disparaissant du moins momentanément (Libéria, Sierra Leone, ...)133(*) et Somalie. A- Une incapacité du maintien de l'ordre et de la sécurité publicsC'est lors de crises graves affectant des pays comme l'Angola, le Libéria, la Sierra Leone, le Rwanda, la Somalie, la République Démocratique du Congo, l'Afghanistan, le Soudan, qu'il convient de dégager les critères juridiques de failed states134(*). Tous ces pays réunissent en effet à des degrés divers les conditions nécessaires et suffisantes pour consommer leur défaillance135(*) : ignorant les modes pacifiques de dévolution du pouvoir et patrimonialisé par la main mise d'un clan ou d'une ethnie sur ses rouages essentiels, l'Etat potentiellement défaillant s'y présente d'abord comme une réalité politico-administrative insaisissable, une addition d'appareils ankylosés et gangrenés dissimulant des comportements prédateurs ou criminels mais incapable de remplir les fonctions régaliennes et l'intérêt public les plus élémentaires136(*). C'est aussi il faut le relever, la contestation violente d'une légitimité déficiente par des communautés ne partageant aucun sentiment commun d'appartenance qui précipite au premier chef la défaillance de l'Etat137(*) et par ricochet l'affaiblissement de la souveraineté de ce dernier. Cette situation conduit à n'en point douter à la désintégration politique due à l'invisibilité du pouvoir de l'Etat. * 125 Svetlana ZASOVA, « L'applicabilité du droit international humanitaire aux groupes armés organisés », in Jean-Marc SOREL/Corneliu-Liviu POPESCU, (Dir.), La protection des personnes vulnérables en temps de conflit armés, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 71 * 126 Ibid., p. 72 * 127 Ibid., voir TPIY, affaire Tadic, arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, 2 octobre 1995, §70 * 128 Ibid., voir statut de Rome de la Cour Pénale Internationale CA/CONF/183.9), 17 Juillet 1998, art 8, §2, al. f). * 129 Svetlana ZASOVA, « L'applicabilité du droit international humanitaire aux groupes armés organisés », op.cit., p. 73 * 130 Ibid., voir TPIY, Le Procureur C. Dusko Tadic, IT-94-1-T, Jugement, 7 mai 1997, §§143, 146, 565 ; Le Procureur C. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic, Esad Landzo (affaire « Celebici »), IT-96-21-T, Jugement, 16 novembre 1998, §§182-187, 129-139, 190-192 ; Le Procureur C. Daric Kordic et Mario Cerkez, IT-95-14/2, Arrêt, 17 décembre 2004, §§334-340 ; Le Procureur C. Sefer Halilovic, IT-01-48, 16 novembre 2005, Jugement, §§161-173 ; Le Procureur C. Fatmir Limaj, Haradin Bala, Isak Musliu, IT-03-66-T, Jugement, 30 novembre 2005, §§135-167 ; Le Procureur C. EnverHad Lihasanovic, Mehmed Alagié, Amir Kubura Kubura, Jugement, §§20-25 ; Prosecutor V. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj, Lahi Brahimaj, IT-04-84-T, Judgement, 3 april 2008, §§90-99 (en anglais). * 131 Jean-Denis MOUTON, « Retour sur l'Etat souverain à l'aube du XXIe siècle » ; in Etat, société et pouvoir à l'aube du XXIe siècle, Mélanges en l'honneur de François BORELLA, Presses Universitaires de Nancy, 1999, p. 320 * 132 Ibid., pp. 320-321 * 133 Ibid. * 134 Gérard CAHIN, « L'Etat défaillant en droit international : quel régime pour quelle notion ? », in Droit du pouvoir, pouvoir du droit, Mélanges offerts à Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 180 * 135 Ibid. * 136 Gérard CAHIN, « L'Etat défaillant en droit international : quel régime pour quelle notion ? », op. cit., p. 180 * 137 Ibid., pour une illustration « africaine », voir G. CAHIN, « Les Nations Unies et la contestation d'une paix durable en Afrique », in R. MEHDI (Dir.), La contribution des Nations Unies à la démocratisation de l'Etat, Paris, Pedone, 2002, pp. 133-159. |
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