Titre 2 : Le Forçage du contrat ou l'atteinte
à la volonté des parties
Les parties sont libres de s'engager mais si elles
s'engagent, elles doivent se tenir à leur engagement, la loi y contribue
en conférant une force à l'engagement valablement formé.
L'art. 96 du C.O.C.C. pose un principe sacro-saint selon le lequel :
«Le contrat légalement formé crée entre les
parties un lien irrévocable». Ce qui implique donc que «
ce la volonté commune a fait, seul la volonté commune peut la
défaire ».
Ceci a pour conséquence que seules les parties au
contrat, mais d'une manière conjointe, peuvent défaire ce
qu'elles ont fait. Autre conséquence : le contrat et son contenu
s'impose
non seulement aux parties mais aussi au juge, dans
le sens, qu'il ne peut pas le dénaturer ; le juge en somme est au
service du contrat.
Cependant il peut arriver que le contrat soit mal
rédigé qu'il soit équivoque ambigu obscure ou
imprécis à telle enseigne que chaque partie en a une lecture, une
compréhension différente, mais aussi elles peuvent rester
silencieuses et dans ce cas le juge va devoir se livrer à une
interprétation de ce dernier.
C'est à partir de ce moment que l'on porte atteinte
à la volonté des parties dont Josserand parle de «
forçage du contrat » car la recherche artificielle de la
volonté des parties va être délaissée laissant place
à la charge des parties de nouvelles obligations non contenues dans le
document contractuel.
Etant donné que le forçage du contrat est un
produit de la jurisprudence selon la doctrine, c'est dans cette optique que
l'étude de ce présent titre passera tour à tour à
un aperçu sur la théorie du forçage du contrat (chapitre1)
et au forçage du contrat effectué par le juge (chapitre2).
Chapitre1 : Un aperçu sur le forçage du
contrat
Il arrive parfois que le contrat légalement
formé rencontre des difficultés qui peuvent entrainer sa
paralysie dans son exécution.
Théorisé par la doctrine, exposé par les
lois et usages ; et mis en oeuvre par le juge, le forçage du contrat
écarte la volonté des parties tout en amenant le juge à
rétablir l'équité entre les contractants.
Dès lors, il appartiendra à ce dernier de combler
les lacunes des parties de diverses manières. Cet aperçu sur le
forçage du contrat nous conduira à examiner son fondement
(section1) et sa portée (section2).
Section1 : Les fondements de la théorie du
forçage du contrat
La théorie du forçage du contrat a
été présentée par la doctrine comme étant
une interprétation du contrat qui vise à encadrer la
volonté des parties.
De ce fait, elle tire son origine de la jurisprudence, des
lois et usages dans lesquels le juge parvient parfois difficilement à
rétablir l'ordre contractuel.
Pour mieux étaler les fondements de cette
théorie, voyons d'abord ses sources (§1) avant de voir les effets
pernicieux du dirigisme contractuel (§2).
§1 : Les sources de la théorie du
forçage du contrat
Cette théorie est une création purement
jurisprudentielle qui est intervenue pour combler le vide du fait du silence
des parties sur certains points du contrat.
Dans ce cas, pour essayer de savoir ce qu'aurait dit les
contractants s'ils ne s'étaient pas abstenus, le juge pourra se
référer à l'usage et à l'équité.
Ainsi, nous nous accentuerons sur cette création
d'ordre jurisprudentielle (A) ainsi qu'aux autres sources
précitées (B), pour mieux analyser les sources de la
théorie du forçage du contrat.
· Le forçage du contrat : une création
purement jurisprudentielle
« La théorie du forçage du contrat est due
à un arrêt de la Cour de cassation en date du 21 novembre 1911. En
l'espèce, il s'agit d'un voyage en bateau, un passager fut blessé
et demanda réparation du préjudice à la compagnie maritime
qui l'avait transporté. Dans le contrat de transport, une clause
prévoyait une compétence d'attribution impérative au
tribunal de Marseille pour régler les difficultés nées de
l'exécution du contrat. Le problème consistait dans le fait de
savoir si l'indemnisation du dommage corporel causé à la victime
lors du transport, et sur laquelle le contrat était resté
silencieux, était une obligation contractuelle. Pour résoudre ce
litige, la Cour de cassation va considérer dans son Attendu de principe
et sous le visa de l'article 1134 du code civil, que « l'exécution
du contrat de transport comporte pour le transporteur l'obligation de conduire
le voyageur sain et sauf à destination ». Le juge s'octroie le
pouvoir de créer une nouvelle obligation non contenue dans la convention
sous couvert du silence des parties et de sa compétence en
matière d'interprétation. En l'espèce, seule une clause
mentionnait une éventuelle compétence du tribunal Marseillais en
cas de dommage. Mais les motifs et modalités de réparation
n'avaient pas été évoqués par les parties. Le juge
chargé de l'interprétation du contrat de transport a donc
créé de sa propre initiative une nouvelle obligation : conduire
le transporté sain et sauf à destination. Le transporteur
garantit la sécurité de ses passagers et s'il ne le fait pas, sa
responsabilité sera engagée et le transporté n'aura pas
à prouver une faute ».
· Les autres sources de la théorie du
forçage du contrat
Certes, cette initiative a été critiquée
par la doctrine puisque la Haute juridiction avait pour habitude de se
réfugier derrière la volonté des parties. Mais lorsque
celle-ci n'est pas exprimée, il faut remédier aux lacunes et
répondre aux besoins des parties en rendant la solution la plus juste.
Il a alors recours à la méthode dite subjective qui se fonde sur
la référence à des notions telles que l'utilité
sociale du contrat et ce que commande la justice. De
ce fait, on peut observer qu'il existe un « contenu
essentiellement variable, suivant les usages, les moeurs, les habitudes du
commerce juridique ».
Les articles du C.O.C.C., qui renvoie à la bonne foi
lui seront également utiles. En cas de silence du contrat, le juge
s'arroge le droit d'en déterminer le contenu qui n'avait pas
été envisagé par les parties. Il associe des obligations
à certains contrats en se référant à d'autres
sources : la loi, les usages ou l'équité.
|