INTRODUCTION GENERALE
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1. Contexte et justification de l'étude
Afin d'assurer un développement durable et
équitable, des Etats ont de plus en pris conscience de la
nécessité d'investir dans la pleine participation des hommes et
des femmes dans le processus de développement. La notion de « genre
et développement » est devenue, d'une part omniprésente dans
des discours politiques, de l'autre l'objectif prioritaire de plusieurs
stratégies et politiques de développement.
L'émergence de la problématique des rapports
hommes-femmes ne date pas de ce siècle. Cette problématique a
conditionné la conception de différentes approches visant
à traiter la situation de la femme dans le développement. En
effet, vers 1970 les tenants de ce domaine imaginèrent la
démarche d'Intégration des Femmes dans le
Développement, (IFD) avec comme objectif de rendre le
développement plus efficace et plus réel en faisant participer
les femmes aux processus existants. Ainsi, l'IFD prévoyait des projets
visant l'accroissement des revenus et la productivité des femmes de
même que l'amélioration des moyens dont elles disposent pour
s'occuper du ménage.
Par la suite, et avec l'influence de la décennie de la
femme (1975-1985), les années 1980 furent marquées par un
revirement d'attitude à l'égard d'un développement
équitable et durable. Ainsi, l'approche Genre et Développement
(GED) fut développée. Avec cette formule, les problèmes
des femmes ne sont plus perçus sur le plan de sexe (différences
biologiques entre hommes et femmes) mais plutôt sur le plan de genre,
c'est- à-dire des rôles sociaux, des relations entre hommes et
femmes. Le GED fait alors ressortir l'idée que, depuis plusieurs
siècles, les femmes ont été systématiquement
subordonnées et confinées à des rôles secondaires ou
inférieurs à ceux de l'homme. Or, l'IFD était
exclusivement focalisée sur les besoins pratiques des femmes et ne
tenait pas compte du contexte général des
inégalités. D'où la nécessité d'une
démarche qui permettrait aux femmes de donner suite plutôt
à leurs intérêts stratégiques et de susciter un
changement social.
Dans cette optique, partant du fait que le changement social
passe par un processus la socialisation, la garantie de l'éducation fut
dès lors retenue comme objectif prioritaire dans des programmes de
développement. A titre illustratif, l'éducation faisait l'objet
d'un des huit objectifs du millénaire pour le développement, et
elle sert de principal indicateur pour l'évaluation de l'autonomisation
de la femme pour les Nations Unies. Ensuite, plusieurs rencontres
internationales lui ont été dédiées. C'est le cas
de la
En fin, le gouvernement a élaboré et
lancé, en mars 2010, la Stratégie pour le développement de
l'Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel (EPSP),
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conférence mondiale sur l'éducation de 1990
ainsi que du forum mondial sur l'éducation de 2000.
En effet, la Conférence mondiale sur
l'éducation, organisée à Jomtien (Thaïlande, mars
1990), a affirmé la nécessité de faire appliquer le droit
à l'éducation et de répondre aux besoins éducatifs
de base dans le monde. La Déclaration sur l'Éducation Pour Tous
(EPT), issue de cette conférence, a fourni une vue large et
complète de l'éducation et du rôle qu'elle joue dans
l'autonomisation des individus et la transformation des sociétés.
Quant à lui, le «Forum Mondial sur l'éducation»,
organisé à Dakar (Sénégal, avril 2000), a conduit
les participants d'engager collectivement la communauté internationale
à tenir ses promesses et à réaliser l'éducation
pour tout citoyen dans chaque société. Pour y parvenir, six
domaines prioritaires étaient identifiés et
intégrés dans le document dénommé «Cadre
d'action de Dakar» : le VIH/SIDA, la petite enfance, la santé
scolaire, l'éducation des filles et des femmes, l'alphabétisation
des adultes, et l'éducation en situation de crise et d'urgence.
En République Démocratique du Congo, les efforts
du gouvernement ont été orientés vers cette tendance
générale. Malgré des guerres récurrentes que le
pays connait depuis 1997, le gouvernement congolais s'est engagé dans la
voie de l'égalité de sexe dans l'éducation. Le pays a
activement pris part aux différents forums précités; sa
Constitution, en son article 14, garantie l'égalité entre le sexe
dans l'éducation.
En plus, toujours pour réduire les
inégalités entre les sexes, le pays a lancé la
stratégie nationale genre. Dans le cadre de cette stratégie, un
groupe de travail genre (GTG) a été mis en place non seulement au
niveau du gouvernement central, mais aussi dans des provinces. Ce GTG comprend
les représentants de tous les ministères ; l'objectif de cette
stratégie étant d'intégrer la dimension genre dans tous
les secteurs de la vie publique. Sur terrain, des points focaux genre ont
été placés dans des divisions. Ils jouent des rôles
de conseillers en matière de genre dans leurs domaines
spécifiques. Mais à l'état actuel, il n'existe pas des
référentiels officiels pour l'analyse genre dans les
différents domaines. Les points focaux genre sont aussi, pour la plus
part, faiblement formés sur l'analyse de la dimension genre. Cette
lacune pourrait évidement avoir un impact sur l'appréciation de
l'équité qui, comme cela se vit au quotidien, risque d'être
réduite à la parité.
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stratégie visant l'accroissement de l'accès, de
l'équité et de la rétention ainsi que
l'amélioration de la qualité de l'enseignement.
Toute cette mobilisation en faveur de l'éducation et de
l'égalité de sexe eut comme effet positif l'amélioration
de l'accès à l'éducation aussi bien pour les filles que
pour les garçons. Le taux net de scolarisation est passé, entre
2005 et 2011, de 87 à 97 % au primaire, et de 62 à 75 % au
secondaire2 ; le rapport entre les sexes indique qu'en 2015, l'on
comptait globalement à l'école primaire 97 filles contre 100
garçons. La disparité, en défaveur des filles, devient
plutôt profonde au fur et à mesure que le niveau de
l'éducation augmente.
Cependant, ces efforts n'ont pas contribué à
l'accroissement de l'équité entre les sexes. Les
disparités entre garçons et filles restent élevées
en ce qui concerne le taux d'achèvement à tous les niveaux de
l'enseignement, le taux de scolarisation au secondaire et le taux de
décrochage scolaire.
Pour preuve, en février 2013 le Ministère de
l'EPSP a publié le rapport d'une enquête nationale menée
sur les enfants et adolescents en dehors de l'école. Ce rapport montre
que 28,9% des enfants et adolescents âgés de 5 à 17 ans
sont en dehors de l'école, c'est-à-dire non scolarisé
(31,7% des filles contre 26,5% des garçons); et que cette proportion est
beaucoup plus élevée en milieu rural qu'aux centres urbains (33,4
% contre 20%). Le rapport révèle aussi que 6 ans après
l'entrée à l'école, 16,6 % des filles et 12,1% des
garçons abandonnent les études. L'écart devient profond
à 12 ans après l'entrée à l'école où
38,8% pour les filles quittent l'école contre 30,7% pour les
garçons. De manière brute, il est clair que les abandons
scolaires chez les garçons sont également inquiétants.
Toutefois, si ceux-ci ont la possibilité de regagner l'école
après une certaine période, il n'en est pas le cas pour certaines
filles, surtout celles qui décrochent pour être rendues grosses
(27,5 %3). Les règlements de certaines écoles, surtout
celles mises sous la coordination des confessions religieuses, ne donnent pas
la possibilité aux «fille-mères» de regagner les
études. Cette situation devient d'autant inquiétante que la plus
part des écoles des milieux ruraux sont organisées par les
confessions religieuses. La pratique elle-même n'est pas respectueuse des
dispositions contenues dans la convention relatives aux droits de l'enfant
ainsi que dans la constitution du pays.
Ainsi, au moment où la RDC s'investit dans la voie de
l'égalité des sexes et de l'autonomisation de la femme, il est
important que les actions menées soient pertinentes.
2Cfr Annuaire EPSP 2009-2010
3 Cfr résultat de nos enquêtes
menées dans les Uélés (une zone rurale)
4UNESCO (opcit)
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Elles doivent traiter les vrais causes et facteurs des
inégalités. C'est cet appel qui justifie la
nécessité d'une recherche sur le pourquoi de l'absence de
l'équité dans l'éducation en RDC malgré tant
d'engagements. Car, comme nous allons le démontrer dans ce travail,
l'équité constitue le gage de l'autonomisation.
Il est certes vrai que l'autonomisation ne peut pas être
uniquement atteinte grâce l'équité dans l'éducation
; elle nécessite le recours aux autres domaines tels la santé,
l'économie, la justice, etc. Ce travail se focalise sur
l'éducation étant attendu que c'est elle qui est le principal
porteur du changement social. En plus, plusieurs expériences ont
prouvé l'efficacité de l'éducation dans la promotion de
l'équité et de l'autonomisation.
Dans une publication réalisée en 2011, l'UNESCO
mentionne un exercice de modélisation des acquis conduit par HANUSHEK et
all. dans 50 pays entre 1960 et 2000. Cette étude a
démontré qu' «une année de scolarisation
supplémentaire pourrait augmenter les revenus d'un individu de 10 % et
la moyenne annuelle du Produit Intérieur Brut de 0,35% ».
L'étude ajoute que de manière générale, le
bénéfice économique pour les individus et les
sociétés apparait plus élevé dans les pays à
bas revenu que dans les pays à haut revenus, et plus observés
également pour l'enseignement secondaire ou supérieur. Sur ce
point, l»Internationale de l'Education' ajoute que seuls des citoyens
éduqués peuvent espérer la croissance économique
(inclusive) et cela nécessite, aujourd'hui plus que jamais, une
égalité d'accès à une éducation de
qualité.
Dans le même sens, le Programme des Nations Unies pour
le Développement signale qu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les
personnes vivant dans une famille dont le chef n'a pas reçu
d'éducation formelle représentent plus de 50 % des pauvres, et
qu'en République de Serbie, le niveau de pauvreté dans ces
familles est trois fois plus élevé que la moyenne
nationale4. Il ne faut également pas ignorer que, avec plus
de compétences, les filles sont plus compétitives sur le
marché de travail et peuvent aspirer à des emplois mieux
rémunérés.
En fin, en réduisant l'isolement social des femmes,
l'éducation renforce leurs capacités d'organisation et de
mobilisation. Elle leur permet de développer leur capital social ainsi
que des aspirations et l'aptitude à prendre des décisions.
Dans ce sens, en 1997, ZUNIGA a partagé, dans une
publication de l'UNESCO
(1997), l'expérience du `Projet multinational de
l'éducation et de travail de l'organisation des Etats
américains PME/OEA' mis en place par la Colombie. Ce projet
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a permis de doter les femmes de ce pays des capacités
à assumer efficacement les rôles de reproduction, de production et
de direction.
Cependant, l'éducation ne constitue toujours pas un
moteur pour l'autonomisation de la femme. Elle peut, dans certaines
circonstances, en constituer des blocages. L'éducation peut par exemple
être utilisée pour assoir la domination de l'homme sur la femme.
Ainsi faut-il garder une vigilance sur les règles qu'elle transmet.
Car, ne l'oublions pas, l'école est le reflet des
pratiques sociales dominantes. Ainsi, au lieu de favoriser un changement des
comportements discriminatoires, l'éducation peut se transformer en
reflet des pratiques discriminatoires de la société et
perpétuer l'injustice entre hommes et femmes. Par exemple, dans leurs
propos ou illustrations des faits sociaux, les enseignants peuvent,
inconsciemment, reproduire des pratiques discriminatoires plutôt que d'y
réfléchir.
En plus, étant entendu que l'éducation ne se
limite pas à l'école, les enfants peuvent recevoir de leurs
parents une socialisation sexiste. Certes, dès les jeunes âges,
les enfants reçoivent de leurs parents des valeurs, convictions et
cultures. Ces valeurs, qui peuvent s'avérer discriminatoires, seraient
transmises, consciemment ou inconsciemment, aux travers des échanges que
les parents ont avec les filles et les garçons, des jouets qu'ils leur
offrent, des comportements qu'ils acceptent et des règles qu'ils
imposent aux enfants de tel ou tel autre sexe.
En conclusion, l'éducation peut constituer un levier
important à l'autonomisation de la femme. Mais cela dépend des
actions développées pour atteindre ce but. Les stratégies
visant l'autonomisation de la femme et se focalisant uniquement sur les aspects
quantitatifs de l'éducation produisent très peu d'impact sur
l'égalité de sexe.
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