2) Les déterminants de l'adolescent
2.1) Crise adolescente
L'adolescence est trop fréquemment associée
à l'idée de crise selon CLAES (1986, p.60). Pour TABORDA-SIMOES
Maria da Conceição, il s'agit d'une période «
marquée par des tensions et conflits inévitables ou par des
perturbations et inadaptations » mais qui se révèle
être de passage et nécessaires à l'équilibre
intérieur. Car « l'absence de ces signes constitue un bon pronostic
de déséquilibre intérieur ». Pour certains, c'est une
phase normale par laquelle passe l'adolescent et « l'idée mythique
de la perturbation normative de l'adolescent » s'installe (WEINER, 1995,
p. 8).
La crise adolescente est décrite comme la
résultante de deux phases (CUIN Charles-Henry, 2011) :
a) Premièrement l'auteur évoque un «
double processus de désobjectivation-subjectivation » au sein
duquel l'adolescent doit se défaire de ses anciens modèles
normatifs et doit en adopter de nouveaux en fonction de ce qui sera plus «
profitable pour lui ». Par exemple il se sépare des modèles
familiaux pour en rechercher de nouveaux. Cependant, ce processus
entraîne une anomie qui lui confère un caractère instable
et se traduit chez l'adolescent sous formes de problèmes
psychologiques.
b) Deuxièmement l'adolescent fait face à un
« double objectif d'intégration et de stratégie »
lorsqu'il rencontre des situations inconnues. Le premier type de conduite
consiste à identifier et intérioriser les normes pour y
adhérer et en retirer les bénéfices psychologiques et
sociaux qu'elles peuvent lui apporter. Toutefois, dans un second temps, il doit
parvenir à se détacher de celles qui l'empêchent
d'atteindre d'autres bénéfices. Pour se faire, il met en place
une stratégie de transgression des normes ou d'habilité à
les exploiter.
La maîtrise de ces deux phases s'opère en
fonction des expériences vécues par le sujet.
En outre, durant cette période de crise, ou de «
processus », « passage » ou « opération » tels
que préfèrent l'appeler moins péjorativement les
psychanalystes (BRACONNIER, MARCELLI, 1998 ; DOUVILLE, 2000 ; LESOURD, 2002 ;
RASSIAL, 1990, 1996, 2000), elle se construit autour de trois « cercles de
perturbations » (BRACONNIER, MARCELLI, 1998) : le cercle du corps, le
cercle du social et le cercle de la famille qui entrent en
conflictualité.
Sortir de l'enfance pour affronter l'adolescence n'est pas
chose aisée. « L'enfant est banni de son paradis et doit commencer
un long et pénible chemin d'ascension » (HALL, 1904, vol2, p.71).
Les adolescents traversent une phase de comportements instables et
imprévisibles. De nombreux traits de leur caractère sont
contradictoires et antagonistes. Mais « ils s'engagent avec enthousiasme
dans la vie de la communauté et, d'autre part, ils éprouvent un
désir tout puissant d'isolement » (FREUD, 1936, p.149-150). C'est
également un moment conflictuel avec la parentèle car les
adolescents ont un besoin d'indépendance, surtout vis-à-vis de
leur parents, qui s'accompagne de « sentiment d'isolement, de solitude et
de confusion » (BLOS, 1962, p.12).
Cependant certaines études et données empiriques
mettent en évidence le fait que tous les adolescents ne traversent pas
cette « crise » et pour la plupart d'entre eux l'adolescence n'est
qu'une période transitoire vécue plus ou moins facilement, sans
violence, rejet familial ou désordres psychologiques. «
L'idée de crise se révèle inappropriée pour
orienter la réflexion visant à identifier les caractères
spécifiques de l'adolescence » (TABORDA-SIMOES Maria da
Conceição, 2005).
18
2.2) Problèmes identitaires : stades de
développement d'Erikson
19
Pour Erikson, l'identité est la préoccupation de
l'adolescence. Il s'agit de :
« comprendre la manière dont l'individu parvient
plus ou moins facilement à construire une représentation
cohérente de lui-même, à partir de son histoire et en
envisageant ce qu'il souhaite devenir » (COHEN-SCALI Valérie et
GUICHARD Jean, 2008).
Psychanalyste et psychologue germano-américain, Erik
Erikson a entre autre publié trois ouvrages traitant de
l'identité : Enfance et société, 1959 puis Identité
et cycle de vie, 1959 et Adolescence et crise. La quête de
l'identité, 1972. Le développement identitaire devient plus
complexe à l'adolescence lorsque le jeune s'interroge sur ce qu'il est,
doit, ou va devenir en entrant dans le monde adulte. En sociologie, le terme d'
« identité » est couramment employé, alors qu'en
psychologie l'emploi du « soi » ou « concept de soi »
l'emporte.
o Les stades de développement
d'Erikson
Erik Erikson a élaboré huit stades du
développement psychosocial de l'individu qui s'étalent de
l'enfance à la vieillesse. A chaque stade de la vie correspond une
période, marquée par une crise significative, qui va contribuer
au développement du « Moi ». Une crise résulte de
l'interaction entre différents facteurs biologiques, sociaux et
environnementaux, qui se caractérise pour chacune d'entre elles par deux
axes spécifiques. Chaque crise doit se résoudre en trouvant un
équilibre entre ces éléments, pour ne pas compromettre le
développement du « Moi » et marquer un tournant dans notre
vie, qui en constituera les diverses étapes.
Les stades :
- Stade 1 : Confiance versus Méfiance (0-18 mois)
- Stade 2 : Autonomie versus Honte et Doute (18 mois-3 ans) -
Stade 3 : Initiative versus Culpabilité (3-6 ans)
20
- Stade 4 : Travail versus Infériorité (6-11
ans)
- Stade 5 : Identité versus Confusion des rôles
(12-18 ans)
- Stade 6 : Intimité versus Isolement (18-34 ans)
- Stade 7 : Générativité versus Stagnation
(35-65 ans)
- Stade 8 : Intégrité personnelle versus
Désespoir (> 65 ans)
L'adolescence correspond à la 5ème
étape, qui regroupe des sujets âgés de 12 à 18 ans
et qui correspond à une période qu'il caractérise de
conflit entre identité et confusion des rôles. Toutefois, pour
comprendre les comportements des jeunes, nous devons aussi nous
intéresser au stade précédent : le stade 4, travail versus
infériorité.
o Stade 4 : Travail versus Infériorité
(6-11 ans)
Ce stade est marqué par la période de
l'école, instance de socialisation et développement des
compétences de l'enfant. L'enfant sort de son monde de jeux pour entrer
dans un objectif de réussite scolaire. Il est sérieux,
coopératif et studieux mais à la fois rebelle et
désobéissant pour montrer son indépendance. Il prend
conscience du monde qui l'entoure et considère la notion d'individu.
Au cours de ce stade, l'enfant cherche à se prouver
ses compétences et ses capacités. Il se demande s'il est capable
ou incapable. Et pour répondre à ses interrogations, les parents
et les instituteurs ont un rôle important. Erikson décrit un
ressenti de compétences chez l'enfant s'il est valorisé et au
contraire un sentiment d'infériorité s'il se sent
dévalorisé, ce qui contribue à forger son
identité.
o Stade 5 : Identité versus Confusion des
rôles (12-18 ans)
Des problèmes identitaires surgissent lors de ce
5ème stade. En quête d'identité, l'adolescent est
préoccupé par la façon dont il est perçu. Il s'agit
d'une période déterminante dans son développement
psychosocial. C'est un carrefour critique pour lui entre « la personne
à être » et « la personne que les autres
21
voudraient que je sois ». Différentes
modalités du personnage s'offrent à l'individu et il endosse des
rôles :
- Le personnage comme rôle social : le « devoir
être » d'un « moule social » - Le personnage comme
idéal : le « vouloir être » de l'individu
- Le personnage comme masque : le « paraître » ou
cacher consciemment aux autres ou à soi-même ce que l'on est
- Le personnage comme refuge : se convaincre soi-même,
se rassurer sur sa propre valeur
L'adolescent se questionne sur les rôles futurs qu'il
pourrait avoir au sein de la société et tente diverses
expériences pour se forger une identité personnelle. Il est
influencé par les groupes de pairs et doit s'accommoder à la
pression sociétale, mais il doit pouvoir prendre ses distances par
rapport aux normes et valeurs conventionnelles et établir son propre
système de valeurs. Il développe une certaine confiance en lui
grâce à son ego surdimensionné qui contribue aussi à
la construction de son identité.
A l'inverse, un manque de confiance en soi peut avoir des
répercussions sur la formation de son identité. De plus c'est une
période marquée par d'importants changements physiques et
pubertaires. Le stade 5 d'Erikson revoit au 4ème stade
d'évolution de la sexualité infantile décrit par Freud
(FREUD, trois essais sur la théorie de la sexualité, 1923) : le
stade génital. L'individu éprouve un plaisir lié à
la zone génitale et révèle son identité sexuelle.
L'inquiétude qu'il peut ressentir, liée aux transformations
physiques qui se produisent chez lui peuvent lui poser problème dans sa
quête identitaire. Il doit accepter sa nouvelle image et les
répercussions qu'elle peut avoir sur ses relations avec autrui. D'autre
part, les blessures que l'adolescent a pu subir dans son passé peuvent
altérer sa recherche d'identité et l'établissement de son
système de valeurs. Le « Moi » doit s'adapter à tous
les changements qui bouleversent cette période et certaines situations
peuvent
22
être similaires aux stades précédents,
engendrant la réapparition de conflits anciens. Par exemple le conflit
avec la nourriture que l'on rencontre lors de la petite enfance refait surface
lors de l'adolescence et perturbe le rapport à la nourriture de
l'individu : TCA (troubles du comportement alimentaire), perception de certains
aliments troublée, modèles alimentaires et dimension symbolique
modifiée, etc.
Pour Erickson, « Le processus d'adolescence est
achevé lorsque l'individu a subordonné ses identifications de
l'enfance à un nouveau mode d'identification, accompli grâce
à une absorption du social et à un apprentissage
compétitif, avec et parmi ses pairs de même catégorie
d'âge ».
2.3) Influence du groupe de pairs
Les groupes de pairs sont des agents de socialisation
(MONTOUSSE Marc & RENOUARD Gilles,2012). Ce sont des groupes d'amis qui
partagent des centres d'intérêts communs et des valeurs et des
normes similaires. Ils prennent une place considérable lors de
l'adolescence, qui s'articule autour d'un mouvement d'émancipation
familiale et de création de liens avec les pairs, faisant évoluer
la vie sociale de l'individu.
En effet, les groupes de pairs détiennent un rôle
majeur dans les processus de socialisation de l'adolescent. Ils constituent
pour lui une référence qui permet de partager les mêmes
expériences, le même dialogue et une meilleure
compréhension de l'un et de l'autre. C'est l'occasion d'entreprendre des
activités sociales avec des personnes plus ou moins du même
âge et de se sentir exister en appartenant à un groupe.
L'adolescent est en quête de reconnaissance qu'il trouve aux
côtés de ses semblables tels que les pairs pour évoluer. Il
se construit auprès de personnes significatives et s'affecte un nouveau
statut auquel s'assignent de nouveaux rôles.
Les pairs aident l'adolescent dans sa construction
identitaire. « L'emprise de la famille laisse place à celle du
groupe d'amis » (LORIERS Bénédicte, 2012).
23
L'adolescent s'identifie à ses amis et cherche à
leurs ressembler, à faire comme eux. Selon Marie-josé AUDEREST et
Jean-Blaise HELD (2010, p.13), « il donne l'impression d'être
influençable et sans personnalité », mais cela contribue au
développement de soi et s'estompera au fur et à mesure, lorsqu'il
trouvera son identité propre et développera ses opinions
personnelles. Comme disait Philippe VAN MEERBEEK (2007) :
« L'adolescence est surtout et avant tout l'âge de
la vie où l'inconscient se lit à livre ouvert : c'est le stade du
homard, écorché vif, sans protection et à la merci des
inconscients de tous et de l'inconscient collectif. »
Les critères d'intégration ou de rejet à
un groupe de pairs tiennent compte de l'âge, du sexe, de l'apparence
physique, de l'ethnicité, etc. Par ailleurs, l'adolescent accorde une
place importante au regard d'autrui et sa popularité peut
également influencer son inclusion ou non au groupe.
« Aux yeux des adolescents, la popularité
correspond au fait d'être visible, d'avoir du prestige et un statut
élevé et d'être socialement central et dominant. Selon la
perspective sociométrique, être populaire correspond plutôt
au fait d'être aimé et apprécié par les autres. Il
s'agit là de deux concepts distincts. » (POULAIN François,
2014).
La popularité est un élément important
pour l'adolescent de son système social. Elle s'organise en une
hiérarchie sociale au sein de laquelle prédominent les
adolescents les plus populaires, qui vont déterminer les normes du
groupe, influencer les autres membres et décider de qui fera partie ou
non du groupe. Pour être populaire, il faut se différencier des
autres (sens de l'humour, apparence physique, richesse, activité
sportive, etc.) (POULAIN François, 20145), mais sans
5 POULAIN François, Université du
Québec à Montréal, Les relations entre pairs à
l'adolescence
24
pour autant sortir des normes conventionnelles au risque
d'engendrer une perte de lien social qui peut conduire à l'exclusion du
groupe.
Enfin, l'adolescent durant sa construction identitaire adopte
de nouvelles normes qui sont celles établies avec son groupe de
pairs.
2.4) La différence de genre
Bien que les sociétés aient évolué
au fil des décennies, les stéréotypes liés au genre
semblent avoir persistés. Dès l'adolescence, on retrouve une
image sexuée du garçon et de la fille. Comme l'évoque le
pédopsychiatre Philippe JEAMMET :
« C'est le propre de la puberté de marquer la
différence entre les sexes. Les adolescents ne sont pas très
sensibles à l'égalité des sexes car cela remet en cause le
changement qui est en train de s'imposer à eux ».
Selon les adolescents interrogés par Ipsos Santé
pour le forum adolescences 2010, la femme représente la
sensualité et la féminité ainsi que la maternité,
la sensibilité et la gérante des tâches
ménagères. L'homme se caractérise par sa virilité,
son côté macho et son travail.
Il apparaît également qu'entre filles et
garçons, chez les adolescents, une différence de perception et
d'estime de soi s'établit en fonction du genre. L'étude «
Perceptions de soi à l'adolescence : différences entre filles et
garçons » (SEIDAH Amélie, BOUFFARD Thérèse,
VEZEAU Carole, 2004) s'est notamment concentrée sur cinq domaines que
sont la compétence scolaire, sociale, athlétique, l'apparence
physique et les relations sentimentales.
Pour les besoins de mon mémoire, nous nous pencherons
sur le domaine de l'apparence physique. Il s'agit du domaine de perception de
soi ayant le plus de corrélation avec l'estime de soi. En effet, avoir
une bonne perception de soi renvoie
25
à une plus forte estime de soi : « Les jeunes qui
ont des attitudes positives envers leur apparence physique ont tendance, plus
que ceux qui ont des attitudes négatives, à avoir une estime de
soi générale élevée » (SEIDAH Amélie et
Al. 2004). En règle générale, les jeunes sont
préoccupés par leur image corporelle, tant au niveau de leur
taille que de leur poids. Mais on note une plus grande satisfaction physique
chez les garçons comparé aux filles. L'exposition
médiatique des standards de beauté idéalisés
à outrance tient sa part de responsabilité dans la satisfaction
plus restreinte des filles vis-à-vis de leur apparence physique. Il faut
rappeler également que les changements physiques qui s'opèrent
chez les garçons sont plus avantageux que chez les filles. Les
garçons gagnent en masse musculaire alors que les filles gagnent en
masse grasse et sont plus sujettes à prendre du poids, ce qui ne les
encourage pas à réexaminer à la hausse la perception
qu'elles ont de leur physique. Les résultats d'une étude
américaine suggèrent que l'estime de soi grandit chez les
garçons âgés de 14 à 23 ans, alors qu'à
l'inverse elle décroit chez les filles et plus particulièrement
à l'âge de 18-23 ans.
Cependant il faut retenir que les garçons ont tendance
à surestimer leurs compétences. Les filles elles portent un
regard plus sévère et critique que les garçons sur
elles-mêmes (BOLOGNI et al. 1996) lorsqu'elles doivent
s'autoévaluer et sont plus en proie aux doutes quant à l'image
corporelle qu'elles renvoient.
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