Conclusion hypothèse n°1 :
Dans L'Homnivore, Claude FISCHLER (2001, p.100) évoque
un élargissement et une socialisation des goûts alimentaires
influencés directement par les pairs. Il reprend les termes de DUNCKER
qui parle de modifications des préférences alimentaires sous
l'effet de « suggestion sociale » ayant un effet d'autant plus
marqué en étant entouré d'individus « dominants
» ou avec nos amis. De ce fait, la qualité alimentaire, les choix
alimentaires, l'imitation des proches et le partage familial sont des facteurs
qui, par l'influence des pairs et de la famille vont engendrer une modification
des préférences alimentaires chez les adolescents pour le groupe
du lait et des produits laitiers et les conduire à revoir leurs
préférence gustative par une évolution des goûts
marquée à cet âge.
Hypothèse n°2 : La différence de
genre redistribue l'évolution des choix alimentaires vis à vis
des produits laitiers en fonction de critères esthétiques et
corporels et de normes diététiques.
Comme vu en partie 1 (Cf Partie 1, Chapitre 1 : Le domaine de
l'adolescence, 2.4- La différence de genre), des
stéréotypes liés au sexe persistent et cette
différence devient d'autant plus marquée à l'adolescence.
Suite à la puberté les adolescents connaissent des changements
corporels qui bouleversent leur estime de soi. Les filles ont tendance à
avoir une estime de soi moindre que les garçons et les
préoccupations relatives à leur apparence physique deviennent
plus importantes. Ajouté à cela, l'image sociétale
normée de la femme et de l'homme, les jeunes sont de plus en plus
amenés à devoir surveiller leurs choix alimentaires pour se
conformer aux standards exigés et codifiés par la
société d'aujourd'hui. La modification des nouveaux choix
alimentaires adoptés a-t-elle une répercussion sur la
consommation de lait et de produits laitiers ?
? Image corporelle et perception physique
Les adolescents interrogés sont tous d'accord sur la
question : la préoccupation liée à l'image corporelle est
un sujet qui a de l'importance aujourd'hui. Et si il a autant d'importance,
c'est parce la société tient un rôle majeur dans le
façonnage de l'image attendue d'eux :
« c'est la société, c'est le culte du
corps » (LG, entretien exploratoire n°2),
« c'est vrai qu'il y a un certain poids de cette
image corporelle qui pèse dans nos sociétés »
(CH, entretien exploratoire n°3).
La société impose des idéaux de
beauté :
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« il faut être beau, il faut être mince
» (LG, entretien exploratoire n°2),
et bien qu'ils peuvent être irréalistes et
exagérés, les jeunes pensent devoir s'y conformer :
« Il faut que je sois fine et jolie » (LG,
entretien exploratoire n°2).
Les soucis pondéraux semblent être leurs plus
grandes inquiétudes :
« Il ne faut pas faire trois tonnes sinon tu es moche
» (LG, entretien exploratoire n°2),
« Maintenant, on y pose un certain regard sur ces
gens qui sont trop gros ou trop maigres [...] Je pense qu'un mec obèse
dans les rues de France il ne passe pas inaperçu [...] Tout le monde va
dire « regarde comme il est gros » » (CH, entretien
exploratoire n°3).
D'autre part, nous serions plus intransigeants avec les filles
qu'avec les garçons à ce niveau-là :
« quand tu es une fille tu as plus de pression. Les
cheveux, le maquillage, la poitrine, les fesses, le ventre » (LG,
entretien exploratoire n°2).
Autant d'exigences que l'on n'attend pas du garçon. Homme
et femme représentent deux images différentes. Comme
explicité en cadrage théorique, selon les adolescents, l'homme
doit être fort et viril et se caractérise par son
côté macho. La femme quant à elle représente la
sensualité et la féminité. De ce fait, on tolère
que le garçon ait plus de formes, en signe de force, il ne doit pas
être chétif :
« un mec, si il est un peu gros c'est pas très
grave, au contraire, vaut mieux ça qu'il soit tout gringalet là.
Un mec ça doit être costaud, pas tout maigrichon » (LG,
entretien exploratoire n°2).
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Alors que les filles, pour représenter l'idéal
féminin, doivent faire attention à leur poids :
« Si on a du gras sur le ventre, on va dire «
ohlala mon dieu, non mais t'as vu son ventre, ses bourrelets, sa cellulite et
tout » » (LG, entretien exploratoire n°2).
Et pour les adolescents, cette pression sociale est
véhiculée par les médias qui sont accusés d'avoir
un rôle « destructeur » (LG, entretien exploratoire
n°2). Ils diffusent une image svelte de la femme :
« souvent l'image de la femme est réduite
à ses formes et souvent ce sont des formes assez fines » (CH,
entretien exploratoire n°3).
Les filles attachent une importance à l'image des
standards de beauté mis en avant dans les magazines ou au travers des
publicités :
« Si on regarde les magazines ce sont des femmes
fines, aux cheveux longs » (LG, entretien exploratoire n°2),
« il y a beaucoup de publicités par rapport
aux maillots de bains des filles » (CH, entretien exploratoire
n°3).
Matraquées par les médias, elles deviennent
alors tracassées et obsédées :
« si tu veux être bien, il faut faire attention
à tout » (LG, entretien exploratoire n°2),
« il y a beaucoup d'obsessions pour les filles
d'être mince, d'avoir une belle ligne » (CH, entretien exploratoire
n°3).
Alors que le sociologue Erving GOFFMAN (1974), décrit
une ligne de conduite où il faut « garder la face » pour
s'assurer confiance et assurance et donner une image de soi valorisée
face aux autres individus, les filles poussées par
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l'envie de ressembler à ces diktats de la mode ou de la
beauté ont du mal à faire la distinction entre la beauté
réelle et la beauté irréelle et
stéréotypée.
Par ailleurs, c'est aussi l'intégration de cette «
norme de minceur » dans l'esprit des hommes et dans la
représentation qu'ils se font d'une belle femme qui incite d'avantage
les filles à chercher à refléter une image corporelle
svelte, pour séduire le sexe opposé :
« Il ne faut pas faire trois tonnes sinon tu es
moche. T'as pas de mari » (LG, entretien exploratoire n°2).
Pour garder le contrôle sur leur apparence physique, les
filles vont alors jouer du paramètre alimentation et effectuer des choix
alimentaires bien ciblés. Elles vont d'abord s'intéresser aux
facteurs santé de l'alimentation pour parvenir ensuite à la
« contrôler ».
? Importance du facteur santé et contrôle
alimentaire
Comme nous avons pu le voir précédemment, les
jeunes sont des amateurs de fast-food et de malbouffe en tout genre. Ils ont
une préférence pour les aliments gras et sucrés.
Cependant, ils semblent être de plus en plus attentifs aux facteurs
santé de l'alimentation. La recherche de l'idéale minceur
(d'avantage explicite chez les filles) y est, comme nous venons de le voir,
sans doute pour beaucoup.
Deux de nos trois adolescents interrogés rattachent la
qualité d'un « bon repas » à son équilibre
alimentaire. Et par équilibre alimentaire, ils entendent une
alimentation variée composée de : « légumes, viande
et féculents » (KM, entretien exploratoire n°1).
Lors de l'interrogation de nos jeunes, il a été
mis en évidence qu'ils sont sensibles aux questions nutritionnelles et
les deux filles (LG et CH) paraissent
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d'avantage concernées que le garçon (KM). Alors
que KM, à la question « Est-ce que tu es sensible aux questions
nutritionnelles ? » nous répond :
« Oui et non. Je m'y intéresse un petit peu plus
depuis l'année dernière.
Avant ce n'était pas trop ça. Après
l'appliquer pas forcément encore »,
les deux autres filles nous tiennent un discours plus aboutit
sur le sujet. LG nous ressort le fameux slogan : « Manger 5 fruits et
légumes par jour » et précise que :
« Manger des légumes, c'est très important
pour être en bonne santé »
CH (entretien exploratoire n°3) semble par ailleurs avoir
des solides connaissances en matière de nutrition et nous dit même
:
« Pour moi, équilibré
c'est-à-dire qu'il y a un bon rapport entre, on va dire les glucides,
les protéines et les lipides. Donc voilà, pas trop de lipides.
Mais que des bons lipides. Oméga 3 et oméga 6 et après je
garde les glucides à indice glycémique plutôt bas pour
éviter qu'ils se transforment rapidement en graisses en fait.
Voilà, je limite au maximum les sources à glucides à
indice glycémique rapide. Et puis des protéines de bonnes
qualités, animale, plus animale ouais. ».
Elle évoque également manger bio et
contrôler la qualité et la quantité de son alimentation
parce qu'elle ne veut pas « grossir ». Pour cela elle ne
fait : « pas d'excès dans les lipides comme dans les mauvais
sucres » et le dessert « ça va jamais être des
sucreries ». LG (entretien exploratoire n°2) aussi contrôle son
alimentation :
« j'évite de manger trop gras, trop sucré
».
Ce contrôle alimentaire résulte comme nous venons
de le voir plus haut, de préoccupations corporelles et d'une obsession
pour la minceur chez les filles. Mais
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il résulte également d'une norme
sociétale qui s'est créée entre les filles et les
garçons : une fille ça mange moins qu'un garçon ! Et si,
lorsqu'on leur pose clairement la question « Est-ce qu'une fille doit
moins manger qu'un garçon » ils ne répondent pas
explicitement, ils ne réfutent pas non plus l'idée du
stéréotype. Ils sont unanimes pour dire que :
« Déjà de base une fille a besoin de
moins de calories qu'un homme donc logiquement oui elle devrait moins manger
qu'un homme [...] Naturellement elle mange moins qu'un homme » (CH,
entretien exploratoire n°3).
Cependant, on ne peut tout de même pas pour eux affirmer
qu'une fille a le devoir de moins manger qu'un homme :
« Voilà après elle ne DOIT pas moins
manger qu'un homme. Elle doit manger à sa faim en premier lieux
» (CH, entretien exploratoire n°3),
Mais ils sont aussi d'accord pour dire qu'une fille qui
mangerait plus qu'un garçon serait vue d'un mauvais oeil aux yeux des
gens :
« J'ai rarement vu des filles qui mangeaient autant
qu'un garçon mais c'est un peu mal vu ouais. » (KM, entretien
exploratoire n°1),
« Des fois les gens sont là, ils me disent
« tu manges tout ça », mais moi je suis gourmande alors euh
voilà. Genre ils sont choqués. » (LG, entretien
exploratoire n°2),
« Mais c'est un peu mal vu de manger plus qu'un
garçon quand même
(rires). »(CH, entretien exploratoire n°3).
Ainsi, manger autant voir plus que le sexe opposé pour
une fille pourrait être dérangeant et la pousser à
contrôler d'avantage son alimentation. Comme évoqué plus
haut, parce que l'image de l'homme est associée à la force, la
virilité et la
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puissance, il peut manger une ration plus importante que la
femme. Et dans la tête des filles, manger plus qu'un garçon semble
se traduire par :
« les garçons mangent beaucoup hein alors
ça voudrait dire qu'on mange aussi beaucoup I » (CH, entretien
exploratoire n°3)
Et pour respecter à leur tour l'image de la femme
établie par la société, fine, élégante et
féminine, certaines filles font preuve de prudence lorsqu'elle mange en
présence de garçons et surveille d'avantage leur assiette, quitte
à se restreindre sur les portions :
« Mais moi j'ai des amies genre qui disent « non
mais devant lui ça ne se fait pas de manger comme ça, si je mange
trop blablabla ». Elles ont peur de passer pour des grosses, du coup elles
mangent moins. » (LG, entretien exploratoire n°2).
KM, le garçon que nous avons interrogé nous
donne une réponse en faveur de ce cliché et introduit ce qui
effraie les filles si elle mange plus qu'un garçon : le statut
pondéral à avoir :
« elles ont moins besoin de manger que nous
normalement à la base. Après tout dépend de sa forme
physique. On va dire que si elle est « fine » je pense
pas que ça pose de problème. Maintenant si
c'est une femme assez imposante et qui mange plus qu'un homme, moi j'aurais
tendance à lui dire
« arrête de manger et va courir »
(rires) (KM, entretien exploratoire n°1).
La notion de contrôle alimentaire se répercute
sur les produits laitiers surtout au niveau de la consommation de fromage. Les
filles ont souvent évoqué le fait de qu'il ne faut pas manger
trop gras et le fromage est un aliment riche en graisses qui restreint sa
popularité aux yeux de la gente féminine :
« On va dire que le fromage il y a beaucoup de
lipides hein, c'est plus gras que les autres [produits laitiers] [...] Depuis
que j'ai commencé un régime
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pour avoir on va dire une masse graisseuse moindre du coup
je ne consomme quasiment plus de fromage » (CH, entretien
exploratoire n°3),
« le fromage c'est plus gras que le lait. [...] Faut
pas trop en manger » (LG, entretien exploratoire n°2).
A l'inverse, KM (entretien exploratoire n°1) a «
carrément augmenté » sa consommation fromagère.
Le lait et les yaourts eux, sont associés aux facteurs
santé :
« c'est bon pour la santé, c'est plein de
calcium » (LG, entretien exploratoire n°2),
« j'ai toujours cette image en tête que pour
moi ça forge les os » (KM, entretien exploratoire
n°1),
Et lorsque l'on demande aux jeunes de nous donner trois mots
pour qualifier le lait et les produits laitiers dans leur globalité on
retrouve entre autres les termes : santé, nutrition, croissance,
calcium, os.
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