B- La situation actuelle des biens fongibles
Désormais, fongibilité, individualisation et
revendication sont compatibles224 dans les procédures
collectives. Le législateur OHADA a renforcé la protection du
créancier réservataire à ce niveau. La
fongibilité
222 LAMY DROIT COMMERCIAL, op. cit., n°3774
223 Idem
224Marc Sénéchal, op. cit.,
p.51
76
étant opposable à la masse, le revendiquant peut
valablement porter sur un bien fongible.
L'AUS dispose à cet effet que « la
propriété réservée d'un bien fongible peut
s'exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens
de même espèce et de même qualité détenus par
le débiteur ou pour son compte »225.
L'opposabilité de la fongibilité à la procédure
collective est une innovation importante du législateur. Elle permet de
protéger davantage le réservataire. La jurisprudence en la
matière est abondante226 consolidant ainsi les
intérêts du propriétaire.
Cependant, le fait que l'action en revendication du
réservataire puisse porter sur n'importe quel bien du débiteur
peut soulever d'autres difficultés. C'est le cas lorsqu'une
pluralité de réservataires revendique le même bien
fongible. Lequel d'entre eux sera reconnu le véritable
propriétaire du bien ? Doit-t-on procéder par critère
d'antériorité, étant entendu que le plus ancien
créancier n'est pas forcément le véritable
propriétaire du bien.
Ces questions démontrent, que même si le
législateur OHADA a pris des mesures importantes afin que la
revendication des biens fongibles soit opposable à la masse, il n'en
demeure pas moins qu'elle n'est pas toujours aisée. Leur
individualisation demeure un problème difficile à
résoudre227.
225 Art. 75
226Com. 5 mars 2002, Bull. civ. IV, no 48, D. 2002,
AJ 1139, obs. A. Lienhard; CA Rouen, 4 avr. 1996, RJDA 1996, no 1543 ; CA
Paris, 26 juin 1998, D. 2000, somm. 69, obs. D. Mainguy ; CA Paris, 3 avr.
1998, D. 2000, somm. 69, obs. D. Mainguy, V. LAMY DROIT COMMERCIAL, op. cit.,
n°3774
227LAMY DROIT COMMERCIAL, op. cit.,
n°3775
77
CHAPITRE II : L'INCIDENCE DE LA REVENTE DU BIEN
RESERVE SUR LE DROIT DE REVENDICATION DU CREANCIER RESERVATAIRE
Dans la procédure collective de son débiteur, la
clause de réserve de propriété est la principale garantie
du propriétaire du bien réservé. A défaut d'obtenir
son paiement, il espère pouvoir reprendre ses biens, à la suite
d'une action en revendication ou d'une demande de restitution228.
En revanche, le bénéficiaire de la clause se
trouve dans l'impossibilité de revendiquer les biens s'il en a perdu la
propriété du fait de leur revente à un tiers de bonne foi
qui en est devenu propriétaire en application de l'article 2279 du code
civil. Mais, dans cette hypothèse, en pratique fréquente, il
résulte de l'article 78 de l'AUS qu'il peut revendiquer «la
créance du débiteur à l'égard du
sous-acquéreur lorsque le bien est vendu». Si cette revendication
du prix de revente aboutit, elle place le réservataire dans une
situation très avantageuse par rapport aux autres créanciers de
la procédure collective229.
Cependant, le report du droit du réservataire sur le
prix de revente bien réservé, le confronte à des questions
propres à ce nouvel objet. Sien vertu de la subrogation réelle,
il est créancier du sous-acquéreur, il n'en demeure pas moins que
celui-ci n'a de relations d'affaires qu'avec son fournisseur,
l'acheteur-revendeur du bien réservé. Cette situation n'est pas
sans incidence sur le droit du réservataire. La revendication de la
créance du prix de revente du bien réservé peut donc
s'avérer difficile pour le réservataire. La gravité de la
difficulté varie selon que le sous-acquéreur
228Le propriétaire d'un bien est en effet
dispensé de faire reconnaître son droit de propriété
lorsque le contrat portant sur ce bien a été publié
(Art.101-1 AUPCAP nouveau).
229Marc Sénéchal,op. cit.,
p.68
78
est in bonis230(Section
1) ou qu'il se trouve en procédure collective (Section
2).
Section 1 : La difficile mise en oeuvre de la
revendication du prix chez le sous-acquéreur in
bonis
Par la revente du bien réservé par le
débiteur, le réservataire est subrogé dans les droits ce
dernier. Le sous-acquéreur ne saurait valablement évoquer
à son égard les exceptions qu'il aurait soulevées contre
l'acheteur-revendeur231.
L'inopposabilité des exceptions du
sous-acquéreur relève de la volonté légitime du
législateur de préserver la situation d'exclusivité du
réservataire. Cependant, cette protection se trouve très souvent
fragilisée dans la pratique, en raison des difficultés de
recouvrement de la créance auxquelles le réservataire doit faire
face (Paragraphe 1). D'autres contraintes se
révèlent lorsque le sous-acquéreur bénéficie
d'une sûreté grevant le bien initialement vendu avec une clause de
réserve de propriété à l'acheteur-revendeur
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les difficultés dues aux
modalités de recouvrement de la créance du prix de
revente
La bonne foi du sous-acquéreur fait obstacle à
la revendication du bien réservé par le créancier
réservataire. En revanche, il lui est permis de revendiquer le prix de
revente de ce bien232. Cette solution résultait de l'ancien
AUPCAP qui prévoyait en son article 103 alinéa 4 qu'« en cas
d'aliénation de ces marchandises et objets mobiliers, peut être
revendiqué,
230 Idem
231 Carole SOUWEINE, op. cit., p.2621
232Idem
79
contre le sous-acquéreur, le prix ou la partie du prix
dû si celui-ci n'a été payé ni en valeur, ni
compensé en compte courant entre le débiteur et le
sous-acquéreur ». Cet article posait les conditions dans lesquelles
la revendication du réservataire était impossible.
Le nouvel AUPCAP par contre, ne reprend plus les conditions
sus-évoquées. L'AUS de son côté, se contente juste
de dire qu'en cas de revente du bien réservé, le
réservataire a droit au prix de revente qui devait revenir au
débiteur. Qu'en est-il si le prix a déjà été
payé ou compensé par le sous-acquéreur ? Comment
interpréter ce silence du législateur OHADA ? S'agit-il d'un
oubli, ou ce silence traduit que le sous-acquéreur qui a
déjà valablement payé doit le faire deux fois? Opter pour
la thèse de l'oubli est la meilleure des solutions pour le
sous-acquéreur. Le cas échéant, ce dernier, qui ne peut
déjà pas soulever les exceptions qu'il aurait normalement
soulevées dans son contrat avec son débiteur, serait
sévèrement désavantagé.
En tout état de cause, si le législateur OHADA
reste silencieux sur la question, la jurisprudence en la matière est
abondante233, et cette dernière s'aligne sur la thèse
de l'ancien AUPCAP. L'on ne saurait occulter l'hypothèse des paiements
effectués par le sous-acquéreur, car, il est admis que, de la
même façon qu'il n'est pas interdit à l'acheteur de
transformer les marchandises, ce qui prive pourtant le réservataire de
la possibilité de les revendiquer, il ne lui est pas interdit
d'encaisser la créance de leur prix de revente234. Ces
paiements pourraient altérer la situation du réservataire et
faire ainsi obstacle à son droit. Ces difficultés
résultent souvent de la date
233Com. 17 mars 1998, Bull. civ. IV, no 108, JCP E
1998, p. 1398, no 13, obs. Ph. Pétel, Dalloz Affaires 1998. 803, obs.
V.-A. R., D. 2000, somm. 75, obs. D. Mainguy,in,Carole SOUWEINE, op.
cit., p.2621
234M. Cabrillac et B. Teyssié, obs. RTD com.
1988. 267, n° 9, ibid.
80
du paiement effectué par le sous-acquéreur
(A). En outre le réservataire pourrait se retrouver en
conflit avec d'autres créanciers de l'acheteur-revendeur sur la
même créance (B).
|