La protection du créancier réservataire dans le redressement judiciaire en droit OHADA des procédures collectives( Télécharger le fichier original )par Lou Gohi Mélanie SOUKO Université des Lagunes-CIDD - Master 2015 |
B- Les biens transformésEn se dessaisissant de son bien, un propriétaire ne prend pas seulement le risque de voir son bien incorporé, il l'expose aussi à une transformation suffisamment grave, empêchant ainsi sa revendication. La question de la transformation des biens réservés est une réalité à laquelle le créancier réservataire doit faire face lorsqu'il désire que son bien lui soit restitué. La transformation résulte d'une modification substantielle du bien. Le bien ne se trouve plus dans son état initial, non en raison de son incorporation mais du fait d'un changement inhérent au bien ou émanant de l'utilisation fait par le débiteur. Le nouvel acte uniforme relatif aux procédures collectives ne prévoit pas la situation des biens réservés transformés. L'AUS auquel il renvoie en matière de revendication des biens objet de réserve de propriété, n'en fait pas non plus cas. Ce silence des textes peut être compréhensible, la transformation des biens réservés étant délicate à déterminer et à définir. En effet, il s'agit très souvent de cas d'espèces198 tel que : le tissu transformé en vêtement, 198REINHARD DAMMANN, BENJAMIN GALLO, op. cit.,p.25 de caoutchouc transformé en pneumatique. C'est la raison pour laquelle, elle est organisée par la jurisprudence qui y est abondante199. En matière de revendication des biens transformés, la jurisprudence est formelle, « la revendication n'est pas possible en cas de transformation matérielle qui lui fait perdre sa nature c'est-à-dire lorsque ses caractères et ses propriétés ont été modifiés»200. Qu'en est-il lorsque la transformation du bien réservé est partielle? Ou encore lorsque la transformation résulte d'une évolution normale de la chose vendue avec réserve de propriété ? Cette problématique a été posée pour la première fois, semble-t-il, en 1984, à la Cour d'Appel de Rennes au sujet de la revendication de poussins « d'un jour » et de poulettes dites « démarrées »201. La Cour a refusé la revendication des poussins « d'un jour », qui ont été élevés par l'acheteur pendant plusieurs semaines. Elle a considéré qu'il y a eu transformation desdits poussins, même si cette transformation était conforme au processus naturel de l'évolution de la vie. À l'inverse, la Cour d'Appel de Rennes a admis la revendication de poulettes dites « démarrées », car celles-ci étaient âgées de vingt-et-une semaines au moment de la livraison. La Cour a considéré que qu'il y avait eu une simple croissance desdites poulettes qui n'a pas changé sa nature. Par la suite, la jurisprudence s'est montrée plus libérale en faveur du créancier revendiquant202. Ainsi, un viticulteur, qui avait livré des raisins à 199Com. 22 mars 1994, no 92-11.223 ; Cass. com., 27 mai 1986, n° 85-10.956 : Bull. civ. 1986, IV, n° 102.- CA Toulouse, 27 nov.1984 : D. 1985, inf. rap., p. 185, note J. Mestre ; Cass. com., 22 mars 1994, n° 92-11.223 : Bull. civ. 1994, IV, n° 121 ; D. 1996, p. 219, obs. F. Pérochon ; V. aussiRev. proc. coll. 1995, p. 206, obs. B. Soinne, V. REINHARD DAMMANN, BENJAMIN GALLO, op. cit.,p.25 200Com. 22 mars 1994, no 92-11.223, V. ibid. 201CA Rennes, 12 sept. 1984 : D. 1986, inf. rap., p. 169, obs. F. Derrida 202F. Pérochon, Entreprises en difficulté : LDGJ, 9e éd., 2012, n° 1426 69 70 une coopérative, a pu les revendiquer sous forme de vin en fin de vinification. La Cour de cassation française considérait que « l'incorporation des moûts les uns aux autres et le processus d'évolution et de vinification des récoltes apportées n'avaient pas transformé leur substance »203. Un arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation française204 s'inscrit dans le prolongement de cette jurisprudence. En l'espèce, les alevins livrés, puis revendiqués, ont été transformés en poissons de poids plus importants par engraissement. En effet, livrés en l'état de larves, ils ont acquis, au jour de l'ouverture de la procédure collective, un poids moyen de 292,21 grammes. Or un alevin peut être considéré comme ayant été transformé en une daurade royale commercialisable à partir d'un poids de 220 grammes. La Cour après avoir relevé que « le cycle de maturation d'un alevin est de l'ordre de dix-huit à vingt-quatre mois et qu'une daurade est commercialisable au poids de 220 grammes, correspondant à dix-huit mois environ de maturation », retient que « les alevins livrés entre dix mois et quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective, ont pris du poids, sans que cette prise de poids, en ait modifié la substance ». Etant entendu que l'exigence de l'existence du bien en nature a été supprimé par le législateur communautaire, peut-on en conclure que cela conduirait à la revendication des biens transformés? Si l'on se base sur le fait que, le droit OHADA ne fait plus obligation au propriétaire de 203Cass. com., 11 juill. 2006, n° 05-13.103 204 Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-14.844, P+B, Sté Aquanord c/ Sté Ferme marine du Douhet : JurisData n° 2014-012799 retrouver son bien « en nature » dans le patrimoine du débiteur avant de le revendiquer, la réponse doit être affirmative. Mais, cette affirmation pourrait entrainer d'autres conséquences importantes pour le débiteur défaillant. L'interprétation que les juges communautaires feront en la matière permettra certainement une meilleure compréhension de ces dispositions. Pour récupérer son bien, le revendiquant ne doit pas seulement établir que ce bien existe dans le patrimoine du débiteur, il doit l'identifier. Section 2: De l'identification du bien réservé dans le patrimoine du débiteur L'identification du bien réservé est une étape importante pour le propriétaire. Il s'agit pour lui de reconnaître son bien parmi les biens du débiteur. Cette épreuve peut être facile s'il arrive à individualiser son bien (Paragraphe 1) sans trop de difficultés. Les choses se compliquent lorsque ce bien est devenu une chose fongible dans le patrimoine de son débiteur. Comment reconnaître et identifier son bien parmi des biens fongibles ? C'est ce à quoi le réservataire doit faire face. La problématique des biens fongibles (Paragraphe 2) est toujours d'actualité même s'ils ne font plus obstacle205 à la revendication du propriétaire dans les procédures collectives. |
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