2.2. La gestion des espaces naturels et l'écologie
de la restauration
a. L'écologie de la restauration
La Trame verte et bleue s'attache à restaurer les
espaces naturels, afin de permettre une amélioration de la
biodiversité et de lutter contre les conséquences de la
fragmentation des habitats naturels. Cette entreprise correspond à
l'idéologie de l'écologie de la restauration. Il s'agit de «
réhabiliter ou de rétablir des espèces, des
populations et des systèmes dégradés ou condamnés
par les usages sociaux multiples des ressources naturelles accumulées
à travers l'histoire »346. L'écologie de la
restauration apparaît comme un domaine susceptible d'être
critiqué. En effet, l'application de cette idéologie ne peut pas
être la traduction pure et simple de normes biologiques, « il
s'agit inévitablement du produit d'une négociation sur la place
à accorder aux valeurs « naturelles » dans nos
sociétés contemporaines »347. De plus, il
existe un débat éthique qui interroge la légitimité
d'une intervention réparatrice et « la référence
à l'esthétisation de la nature qui conduit à une
hiérarchie des formes de spectacle qu'elle peut offrir
»348.
Le fait de renaturer un espace pose donc de nombreuses
questions. En effet, la restauration ne chercher pas à arrêter ou
empêcher un processus d'anthropisation, mais vise à
346 Jean-Louis Fabiani, « Ethiques et politiques de la
techno-nature », Revue européenne des sciences sociales, n°
118, pp. 5-18, 2000
347 Ibid.
348 Ibid.
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« remonter le cours du temps de l'anthropisation
à l'aide de dispositifs anthropiques »349. Robert
Elliot, dans l'article de référence Faking
Nature350 s'interroge sur la légitimité du
remplacement d'éléments de natures disparus ou très
fortement dégradés, et défend l'idée selon laquelle
la restauration « ne permet pas de retrouver la valeur naturelle ou la
naturalité de la nature, dans la mesure où le processus
perturbation/restauration, qui postule un certain type de
réversibilité, ne permet pas de retrouver la valeur naturelle ou
la naturalité de la nature existant antérieurement à la
modification d'un espace »351. La renaturation est donc un
processus d'anthropisation qui correspond à une représentation de
la nature, et ils ont un caractère d'artefact.
L'application de cette idéologie pose problème,
et Jacques Lecomte, président du programme du ministère de
l'environnement « Recréer la nature, réhabilitation,
restauration et création d'écosystèmes » lancé
en 1996 ajoute : « ce que j'ai voulu, c'est montrer à quel
point la liaison entre l'écologie fondamentale et la pratique de la
restauration pouvait être délicate »352. En
effet, « la re-création de la nature suppose un état de
référence. Or celui-ci ne peut être que subjectif. A quel
temps, à quelle histoire se reporte-t-on ? »353. La
restauration fait donc intervenir une série de controverses qui
s'attache à la question des représentations de la nature, et de
la légitimité de la renaturation. La définition de la
nature est le reflet des attentes sociales, et sa recréation peut
être biaisée car en décalage avec la réalité
d'un état initial. L'élaboration de la Trame verte et bleue du
Poitou Charentes a voulu « réinstaurer un bocage détruit
à cause du remembrement, pour un paysage plus champêtre. Mais
quand on interroge les habitants, on se rend compte qu'il n'y a jamais eu de
bocage ! La TVB correspond à un modèle culturel avec un paysage
bucolique de haies et de bocages »354. Pour Jacques
Lecomte, les politiques de renaturation sont donc dangereuse, « rien
d'irréversible ne doit être réalisé dans le milieu
naturel ».355
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