Bilan du fonctionnement de la Cour pénale internationale depuis sa création jusqu'à ce jour( Télécharger le fichier original )par Jacques NDJOKU WA NDJOKU Université libre de Kinshasa - Licence en droit option droit public 2013 |
e. EVOLUTION DU DROIT PENAL INTERNATIONALIci, les avancées faites par la Cour Pénale Internationale sur l'interprétation des formes de commission et de participation, y compris la tentative (§a) et le crime de guerre (§b) sont au grand jour d'une ampleur considérable sur le plan international. §a. les formes de commission et de participation, y compris la tentativeLa commission de l'infraction signifie la réalisation par l'auteur des éléments constitutifs qui la composent. L'auteur est celui qui a physiquement perpétré l'infraction, c'est celui qui a tué, celui qui a torturé ou celui qui a violé, par exemple. La commission individuelle de l'infraction vise ainsi avant tout une participation directe, personnelle, à la perpétration du crime. Le Statut de Rome prévoit différentes formes de commission et de participation à la commission d'un crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Il y a tout d'abord, le cas de celui qui commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable41(*). La Cour pénale internationale semble vouloir retenir ici, la notion germanique de « Täter hinter dem Täter42(*) », « d'auteur derrière l'auteur », lorsque l'auteur utilise une autre personne pour commettre le crime, qu'il contrôle la volonté de l'auteur direct, à l'image de la décision rendue sur la confirmation des charges contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui43(*). La Chambre est allée même plus loin, en retenant un critère qui lui semble particulièrement approprié en matière de crimes de masse, la commission par le moyen du contrôle sur une organisation, lorsqu'un dirigeant exerce un contrôle suffisant à faire en sorte qu'il y ait un respect automatique des ordres donnés. Cette automaticité distingue la responsabilité de l'auteur indirect de celle de l'auteur accessoire qui participe au crime en donnant un ordre. Le supérieur utilise l'exécutant comme un engrenage dans une immense machine pour obtenir le résultat criminel visé et c'est cette automatisation d'une organisation de grande ampleur qui fait que chaque exécutant puisse être remplacé par un autre en cas de défaillance ou d'échec. Le dirigeant exerce ainsi un contrôle à travers un système hiérarchique très strict ou par le biais d'un « régime intensif, strict et violent »44(*). Dans son premier jugement, la Cour pénale internationale a relevé ce qui suit contre Thomas Lubanga Dyilo : « 1270. La Chambre conclut au-delà de tout doute raisonnable que, de par les fonctions de Président et de commandant en chef qu'il a exercées à partir de septembre 2002, l'accusé était en mesure de modeler les politiques de l'UPC/FPLC et de diriger les activités des coauteurs présumés de ses crimes. Les structures établies en matière de transmission des rapports, les lignes de communication au sein de l'UPC/FPLC et les réunions et contacts étroits que l'accusé avait avec au moins certains des coauteurs présumés permettent de conclure qu'il a été tenu pleinement informé des faits tout au long de la période considérée, et qu'il a donné des instructions concernant la mise en oeuvre du plan commun. Thomas Lubanga apportait un concours personnel aux affaires militaires de l'UPC/FPLC, et ce, de diverses manières. Il participait à la planification des opérations militaires et tenait un rôle de premier plan en matière d'appui logistique, en veillant à ce que les troupes disposent d'armes, de munitions, de nourriture, d'uniformes, de rations militaires et d'autres produits. Le fait que d'autres coauteurs présumés, tels que Floribert Kisembo et Bosco Ntaganda, aient au quotidien davantage participé au recrutement et à la formation des soldats45(*), dont ceux de moins de 15 ans, ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle le rôle de Thomas Lubanga était essentiel à la mise en oeuvre du plan commun. En outre, l'accusé et d'autres chefs militaires étaient protégés par des gardes, dont certains avaient moins de 15 ans. Comme on l'a vu plus haut, l'emploi d'enfants comme gardes du corps au service des chefs militaires revient à les utiliser pour les faire participer activement à des hostilités. Le rôle de l'accusé au sein de l'UPC/FPLC et la relation hiérarchique qui le lie aux autres coauteurs, considérés en conjonction avec les activités qu'il a personnellement menées à l'appui du plan commun, telles que les meetings et les visites rendues aux recrues et aux troupes, poussent à conclure que le plan commun n'aurait pas pu être mis en oeuvre sans sa contribution. 1271. Considérées dans leur ensemble, les preuves montrent que l'accusé et les coauteurs présumés de ses crimes, en particulier Floribert Kisembo, le chef Kahwa et Bosco Ntaganda, travaillaient ensemble, et que chacun d'eux a apporté au plan commun une contribution essentielle qui a abouti à l'enrôlement, à la conscription et à l'utilisation d'enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités. 1272. Au vu des preuves examinées plus haut, la Chambre est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé a apporté une contribution essentielle au plan commun au sens de l'article 25-3-a. ». Le deuxième cas de figure retenu par le Statut de Rome engage la responsabilité de celui qui ordonne, sollicite ou encourage la commission d'un tel crime, dès lors qu'il y a commission ou tentative de commission de ce crime46(*). Ceci appelle l'analyse des formes de responsabilité pénale individuelle au sein de structures hiérarchiques militaires ou civiles. Le Statut réglemente chacune des deux situations, de manière légèrement différente l'une de l'autre. En ce qui concerne le chef militaire, ou toute autre personne faisant effectivement fonction de chef militaire, il est responsable des crimes commis par les personnes placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas suivants : · Premièrement, il savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes, et ; · Deuxièmement et cumulativement, il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites47(*). En ce qui concerne les autres supérieurs hiérarchiques civils, les conditions sont les mêmes, avec cette précision que les crimes commis doivent être liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs48(*). Les formes de complicité sont décrites de manière très large, puisqu'elles couvrent tout ce que fait l'auteur en vue de faciliter la commission d'un tel crime, apporte son aide, son concours ou toute autre forme d'assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission, ou bien qu'il contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d'un tel crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le cas, soit viser à faciliter l'activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l'exécution d'un crime relevant de la compétence de la Cour, soit être faite en pleine connaissance de l'intention du groupe de commettre ce crime (Statut de Rome, art. 25, §3, lit. c et d.). La commission conjointe d'une infraction amène à l'analyse de l'entreprise criminelle commune, issue de la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie49(*). Sans pouvoir entrer ici dans tous les détails de cette construction complexe, relevons que les éléments en sont, selon le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, les suivants : une pluralité de membres, un but commun, une participation à l'entreprise, la forme élémentaire résidant dans l'intention partagée par tous les coauteurs du crime, la forme systématique relevant du camp de concentration, la forme élargie allant au-delà du but commun, élargissant la forme de l'infraction au dol éventuel. C'est cette dernière forme qui est la plus contestée50(*). La tentative est également incriminée pour la première fois dans le Statut de Rome. Elle est définie comme le fait de tenter de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un commencement d'exécution mais sans que le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. A ces formes, s'ajoutent les crimes de génocide et d'agression. S'agissant du crime de génocide, le statut réprime spécifiquement le fait d'inciter directement et publiquement autrui à le commettre. S'agissant du crime d'agression, les dispositions de l'article 25 du Statut ne s'appliquent qu'aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État51(*). * 41 Statut de Rome, art. 25, §3, lit. a. * 42 Hugo von Grotius « Le droit de la guerre et de la paix » Traduction Jean Barbeyrac, p.1724. * 43 Voir CPI, ICC-01/04-01/07, Affaire Le Procureur c/Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Situation en République démocratique du Congo - Chambre préliminaire I, décision du 30 septembre 2008, §487. * 44 Idem, §§498-518. * 45 Voir, p. ex., T-179-Red2-ENG, page 63, lignes 1 à 3 (P-0014) ; T-125-Red2-ENG, page 52, lignes 6 et 7 (P-0041) ; T-189-Red2-ENG, page 17, lignes 15 à 20 (P-0016) ; T-189-Red2-ENG, page 29, lignes 16 à 25, page 30, ligne 24 à page 31, lignes 4 et 19, et page 35, ligne 25 à page 36, ligne 2 (P-0016). * 46 Statut de Rome, art. 25, §3, lit. b. * 47 Statut de Rome, article 28, lit. a. * 48 Idem, article 28, lit. b. * 49 TPIY, Arrêt Tadic II, du 15 juillet 1999. * 50 Olivier de Frouville, Droit international pénal, Pedone, Paris, 2012, pp. 355-376. * 51 Idem, pp. 398-417. |
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