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La fratrie

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par Thibaut GOSSET
Paris SUD - faculté Jean Monnet - droit, économie, gestion - Master II mention droit privé fondamental 2013
  

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CHAPITRE II : La consistance de la fratrie en droit

94. La fratrie est soumise à un ensemble de règles qui lui sont propres, et détachées du rapport de filiation qui unit ses membres à un même parent. Pourtant, elle reste définie par le droit et les sciences humaines comme l'ensemble des enfants issus d'un ou deux auteurs communs. Une contradiction réside donc dans le fait de détacher la fratrie de la filiation dans son régime, tout en l'y rattachant dans sa définition. Or, la multiplication des recompositions familiales commande une réflexion nouvelle sur la consistance de la fratrie et impose de vérifier si les distinctions entre les différentes fratries sont justifiées au vu de la nature des liens qui fondent leur régime.

En effet, à travers le régime juridique des rapports fraternels, il est possible de déterminer ce qui justifie de traiter telles personnes en frères et soeurs ou en simple proches. Le fondement des règles régissant la fratrie révèle les particularités de ce sous-ensemble familial : son caractère imposé, l'importance de la vie commune durant l'enfance, sa subsidiarité à l'égard des autres liens familiaux. Or, la filiation commune n'apparaît pas comme un élément déterminant de la qualification de frères ou soeurs. D'autres critères sont à prendre en compte, voire à substituer à celui de la parenté.

95. Aussi, le décalage entre les éléments de définition et l'existence d'un régime propre à la fratrie conduit-il à des traitements inégaux parfois injustifiés selon les différentes situations dans lesquelles peuvent se trouver des frères et soeur.

L'analyse des règles propres à la fratrie révèle la nature et l'origine des liens entre collatéraux (Section 1) et permet d'en déterminer l'étendue exacte, parfois en contradiction avec la définition que retient actuellement le droit positif (Section 2).

Section 1 : La nature des liens fraternels

96. Les normes et finalités attachées au rapport de germanité s'expliquent par la particularité des liens existant entre frères. Corrélativement, le corps de règles régissant la fratrie permet d'en déterminer l`étendue sans recourir à la seule référence à un parent commun. Le régime de la fratrie s'explique par le caractère imposé et vécu de ces liens (§1) et suppose d'accorder à la filiation commune des frères et soeurs une place moins déterminante dans la définition de cette institution (§2).

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La Fratrie

§1. Les caractères des liens fraternels

97. La fraternité est une situation subie. A l'opposé de l'alliance et de la filiation qui sont régies dans le but d'organiser volontairement l'avenir, la fratrie est ordonnée à partir d'une situation imposée (A) et tournée vers le passé (B).

A/ Des liens imposés

98. La fratrie se définit avant tout par son caractère imposé, ce qui la distingue d'autres institutions familiales que sont la filiation ou le mariage. « Fonder une famille est un acte de volonté »163 : les époux consentent à leur union, les parents désirent leur enfant. Lorsque cette volonté cesse, un divorce peut être demandé (C.civ., art. 229), un accouchement anonyme autorisé (C.civ., art. 326), une adoption prononcée avec le consentement des parents (C.civ., art. 348).

99. Un état subi - De toute autre nature, la fraternité est un état subi. La composition de la fratrie dépend de la volonté exclusive des parents, et il est impossible pour l'un de ses membres de la quitter. La fratrie impose « une forme irréductible de permanence »164.

La CEDH semble avoir fait de ce caractère un critère de distinction objectif justifiant une différence de traitement entre la fratrie et le concubinage165. Selon la Cour, concubinage et fratrie ne se différencient pas selon « la durée ou le caractère solidaire de la relation », mais en fonction de « l'existence d'un engagement public, qui va de pair avec un ensemble de droits et d'obligations d'ordre contractuel ». Ce critère est vivement critiqué, car l'absence d'engagement entre frère et soeur résulte justement de l'interdiction qui leur est faite de s'unir par le mariage ou toute autre forme de conjugalité166 : « l'origine des liens [serait] sans intérêt »167.

100. Il semble, bien au contraire, que l'origine des liens qui unissent les frères et soeurs importe. En effet, une chose est de vouloir s'assurer réciproquement une aide mutuelle ; une autre est d'avoir été unis par une filiation commune sans le souhaiter. La fratrie peut, dans ses effets, se rapprocher d'un concubinage mais, dans sa formation, elle s'en distingue par l'absence de choix du frère avec qui ces liens seront organisés.

101. Un régime justifié par son caractère subi - Ce caractère imposé confirme et explique la spécificité des règles applicables aux relations fraternelles. D'une part, la fonction d'éclatement de la fratrie répond au fait que les frères et soeurs n'ont pas décidé de leur union : le caractère subi de la fratrie im-

163 Jean CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 10e éd., 2007, p. 292

164 Annette LANGEVIN, « Frères et soeurs, les négligés du roman familial », dans La fratrie méconnue : liens du sang, liens du coeur (Brigitte CAMDESSUS), ESF Editeur, 1998, p. 19

165 CEDH, 29 avr. 2008, n° 13378/05, Burden c. RU ; JDW, 2007, chron. 5 p. 683 ; RTDH, 2009, p. 513, obs. J-P. MARGUE-NAUD ; JCP G., 2008, I. 167, chron. F. SUDRE ; RTD Civ., 2008, p. 459, obs. J. HAUSER

166 Jean-Pierre MARGUENAUD, « L'affaire Burden ou l'humiliation de la fratrie », art. cit.

167 Jean HAUSER, « Pacs et concubinage : liberté, égalité, mais pas de fraternité ! », art. cit.

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plique une unité imposée168, perpétuelle, et l'impossibilité de rompre le lien fraternel par un acte de volonté. Cette fonction n'a de raison d'être que si les membres de la fratrie sont unis contre leur gré et ne peuvent accéder à l'autonomie qu'en dépassant les liens indéfectibles qui les retiennent entre eux.

D'autre part, la subsidiarité de la fonction de solidarité s'impose également en raison du caractère subi de la fratrie. N'existant aucun acte de volonté à l'origine des liens fraternels ni devoir de reconnaissance entre collatéraux, il ne saurait exister d'obligation contraignante à la charge des frères et soeurs. Si, à l'inverse, l'union est choisie, la solidarité devient nécessairement contraignante, car née d'un engagement volontaire. Il appartient en revanche au législateur de favoriser ou non la fraternité par des règles exclusivement incitatives (cf. supra n° 77).

102. Un caractère original - La fratrie, subie, mais dont les effets ne dépendent que de la volonté des frères et soeurs, se distingue donc radicalement de l'alliance ou de la filiation qui naissent d'un choix délibéré mais d'où découle un statut impératif. Ainsi, il convient de distinguer : « la qualité et l'intérêt des liens qui se nouent entre germains relèvent pour une part, du mode électif. Il n'en demeure pas moins qu'être frère résulte en premier lieu d'une contrainte et non d'un libre choix »169.

103. Le caractère imposé de la fratrie explique donc en partie son régime et la distingue des autres institutions familiales. La spécificité de l'institution fraternelle résulte également de son rapport au temps.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault