B/ Des liens tournées vers le passé
104. Contrairement à la parenté et à
l'alliance reposant sur la volonté d'organiser l'avenir d'une famille en
création, la fratrie se constitue au regard d'une situation
passée sans appréhender son futur.
105. Orientation de la fratrie vers son passé
- D'une part, la fratrie n'organise pas son avenir, mais au contraire,
les modalités de sa séparation. Il ne s'agit aucunement de
prévoir quels seront les rapports à venir des frères et
soeurs mais de favoriser la rupture pacifiée des liens présents.
Le rapport au temps est radicalement opposé à celui
qu'entretiennent la parenté ou l'alliance, ayant pour finalité la
transmission d'un capital patrimonial et moral à une descendance
potentielle.
106. D'autre part, les règles permettant
l'unité de la fratrie ne concernent que les membres existants au moment
où elles s'appliquent. Notamment, le principe de non-séparation
des frères et soeurs ne tend pas à regrouper la fratrie, mais
à éviter la séparation de ceux qui sont unis à la
date de désunion des parents. Il n'est aucunement exigé, lors de
la naissance d'un enfant, que celui-ci soit rattaché au parent
hébergeant le reste de la fratrie. Ce qui est recherché, c'est le
maintien d'une communauté de vie exis-
168 Gérard CORNU, Droit civil. La famille, Domat
(Droit privé), 9e éd., 2006, n° 75, p.
162
169 Monique BUISSON, La fratrie, creuset des paradoxes,
L'Harmattan, 2003, p.59
35
La Fratrie
tante et présumée protectrice, et non la
réunion d'une fratrie au fur et à mesure de la naissance des
cadets170.
107. Enfin, la fonction de solidarité de la fratrie
peut s'exercer au préjudice des frères et soeurs à venir,
là où la réserve héréditaire interdirait
à un parent de priver un enfant futur de toute vocation successorale
à venir en avantageant ses enfants déjà
nés171. Le mécanisme de la réduction des
libéralités permet de protéger la filiation à
venir, d'éviter qu'un parent trop généreux ne porte
atteinte aux droits de sa descendance future. A l'inverse, en
privilégiant ses collatéraux existants, un frère peut
exhéréder ceux à naître sans qu'ils puissent
remettre en cause les libéralités ainsi consenties. La
fraternité ne se soucie donc pas du sort des frères et soeurs
à venir ; elle est attirée par le seul groupe des
collatéraux existants.
108. Distinction entre fratrie actuelle et future
- Toutefois, l'existence d'un traitement différencié
entre aînés et cadets a été contestée.
L'article L. 1241-1 du Code de la santé publique n'autorise ainsi le
prélèvement de cellules du cordon à destination d'une
personne déterminée qu'au profit de l'enfant ou de ses
frères et soeurs atteints, au moment de sa naissance, d'une pathologie
susceptible d'être guérie grâce à l'utilisation de
ces cellules. Manifestement, « en privant les enfants à
naître [..] de toute possibilité de bénéficier d'une
greffe [..] alors que cette faculté est ouverte aux enfants malades de
la même fratrie, ces dispositions seraient contraires au principe
d'égalité ».
Saisi de la question172, le Conseil
constitutionnel a estimé la distinction entre les enfants nés et
à naître objectivement justifiée au vu de la
finalité de la règle en cause. Le Conseil valide ainsi la
distinction entre fratrie existante et fratrie à venir, confirmant
l'attrait de cette institution pour son passé173.
109. « Le lien de fratrie [..] est involontaire,
tourné vers le passé, promis à une dissolution
»174. La relation entre ces caractères et
l'existence d'une parenté commune aux frères et soeurs n'est
toutefois pas évidente et mérite d'être
précisée.
|