§2. L'origine des liens fraternels
110. Les critères de définition de la fratrie
semblent être naturellement réunis du fait de l'existence d'une
parenté commune. Pourtant, il apparaît rapidement que la
qualité de frère n'est pas indissociable de la filiation (A) et
dépend également des liens de fait qui existent au sein de la
fratrie (B).
170 Véronique DAVID-BALESTRIERO, « L'unité de
la fratrie », art. cit.
171 Sophie DEVILLE, Marc NICOD, Réserve
héréditaire-Réduction des libéralités,
Répertoire Dalloz, 2012, n° 4
172 Cons. const., n° 2012-249 QPC, 16 mai 2012 ;
Constitutions, 2012, p. 474, chron. X. BIOY, E. RIAL-SEBBAG ;
RDSS, 2012, p. 851, obs. P. LOHEAC-DERBOULLLE
173 A l'inverse, en ligne directe, l'égalité
entre enfants à naître et nés est strictement garantie.
Ainsi, un enfant né après que ses frères ont
représenté leur auteur commun indigne ou renonçant
à la succession d'un ascendant pourrait obtenir au décès
de cet auteur la part à laquelle il aurait eu droit s'il était
né à la date de la représentation (C.civ., art. 754).
174 Philippe CAILLE, « Fratries sans fraternité
», art. cit., p. 13
36
A/ Le rôle de la filiation dans la construction
de la fratrie
111. Filiation et fratrie - De
manière évidente, la filiation commune aux frères et
soeurs justifie certaines règles qui leur sont applicables. Les
dérogations admises s'agissant des dons d'organes entre vifs au profit
des frères et soeurs (cf. supra n° 82) s'expliquent par la
compatibilité immunologique des donneur et receveur, découlant de
leur même parenté biologique.
En dehors de ces hypothèses où le lien de sang
est une condition patente, la place de la filiation biologique ou juridique ne
semble pas devoir recevoir l'importance que certains y attachent175.
Il arrive que l'existence d'une filiation commune ne suffise pas à
justifier l'existence d'une fratrie, et que, réciproquement, la fratrie
découle de liens non juridiques.
112. Filiation et éclatement - D'une
part, la fonction d'éclatement de la fratrie se justifie par l'existence
de liens susceptibles d'entraver l'émancipation des frères et
soeurs (cf. supra n° 73). Certainement, l'existence d'une
parenté commune peut faire présumer de tels liens, subis et
tournés vers une généalogie passée : le lien entre
fraternité et parenté semble si naturel qu'il n'est pas
discuté.
113. Toutefois, le droit n'accorde pas toujours une place
déterminante à la filiation biologique des frères et
soeurs. En effet, en dépit de l'existence d'un patrimoine
génétique identique, les enfants issus de mêmes dons de
gamètes ne peuvent établir leur filiation à l'égard
du donneur commun (C.civ., art. 311-19). Il en découle que les enfants
issus de mêmes dons, biologiquement frères et soeurs, sont
traités par le droit comme des tiers. La situation est inédite,
car le droit a toujours maintenu les empêchements à mariage entre
frères et soeurs biologiques, après une adoption
plénière (C.civ., art. 356) ou lorsque l'établissement de
leur filiation se heurtait à des obstacles de droit (C.civ., art.
342-7). Désormais, au hasard des rencontres, il se peut que les enfants
issus du même géniteur entretiennent des relations qui seraient en
principe qualifiées d'incestueuses176.
L'évolution des techniques d'assistance
médicale à la procréation rend donc la parenté
biologique impropre à justifier la prohibition de l'inceste et, plus
généralement, la fonction d'éclatement de la
fratrie177. Cette fonction semble se justifier bien davantage par
les rapports de fait existant entre frères et soeurs que par lien
juridique qui, lorsqu'il est purement abstrait, ne crée aucun obstacle
à l'autonomie des collatéraux : la filiation n'y est pas
déterminante.
114. Filiation et solidarité -
D'autre part, la fonction de solidarité dépend peu du lien de
parenté commun aux frères et soeurs. Cette fonction
résulte, en majorité, de facultés offertes aux
frères et soeurs
175 Véronique TARDY, « Les fraternités
intrafamiliales et le droit », art. cit.
176 Didier GUEVEL, « La famille incestueuse », Gaz.
Pal., 16 oct. 2004, n° 290, p. 2, spéc. n° 24
177 Agnès FINE, « Liens de fraternité
», IS, mai 2012, n° 173, p. 36, spéc. p.42-43
37
La Fratrie
en cas de défaillance des débiteurs
légaux d'obligations alimentaires, le frère se présentant
comme une « "réserve" face au manque ou à
l'adversité qui affaiblirait la famille »178.
115. La fonction de solidarité de la
fratrie repose sur la carence de la famille à laquelle appartiennent les
frères aidant et aidé179. Selon le principe de
subsidiarité (cf. supra n° 90), la justification de la
fraternité réside donc dans l'existence d'une obligation
d'assistance de la famille défaillante à l'égard du
frère dans le besoin et l'appartenance du frère aidant à
cette même famille180. Or, cette appartenance à une
même famille peut résulter d'une parenté reconnue ou non
juridiquement.
Un enfant légitime pourrait ainsi entretenir l'enfant
incestueux de son père en cas de défaillance de ce dernier. Le
frère aidé serait effectivement lésé par la carence
du parent, débiteur d'une obligation natu-relle181, et le
frère aidant appartiendrait incontestablement à la famille du
défaillant. Seraient caractérisées les conditions de mise
en oeuvre de la fraternité, en dépit de l'absence d'une fratrie
juridiquement reconnue. Là encore, la filiation juridique est
indifférente au régime de la fratrie.
117. Certainement, le critère de la parenté
commune est déterminant dans l'attribution de qualité de
frère. Toutefois, il n'apparaît ni exclusif, ni impératif,
et doit être corroboré, voire suppléé par d'autres
données plus factuelles.
|