B/ Le rôle des liens vécus dans la
construction de la fratrie
118. Effets d'une fraternité vécue
- Les liens affectifs ont, dans la construction de la fratrie, un
rôle déterminant et ils permettent soit de consolider la fratrie
de sang, soit de s'y substituer : « le vécu des enfants montre
que le lien fraternel ne peut se rabattre sur la filiation
génétique »182.
119. La durée de vie commune des frères et
soeurs influence nécessairement les liens qu'ils entretiendront par la
suite. Plus les liens auront été intenses durant l'enfance, plus
la fratrie restera unie et solidaire (Annexe
4). Ainsi, « une longue vie commune dans
l'enfance entraîne des relations plus suivies entre germains
»183.
L'existence d'une affection réciproque entre
frères et soeurs est juridiquement reconnue s'agissant de l'allocation
de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi
en raison du décès de l'un d'eux184 : l'indemnisation
dépendra alors nécessairement de la force des liens existant
entre la victime directe et son frère. Les liens vécus
renforcent, ici, la fraternité issue d'une filiation déjà
établie.
178 Annette LANGEVIN, « Frères et soeurs, les
négligés du roman familial », dans La fratrie
méconnue, op. cit. p. 19
179 Vivien ZALEWSKI, Familles, devoirs et gratuité,
Thèse, L'Harmattan, 2004, p. 205
180 Pascal BERTHET, Les obligations alimentaires et les
transformations de la famille, op. cit., p. 86, n° 141
181 Req., 3 avr. 1882, D. 1882, I. 250 ; George RIPERT,
La règle morale dans les obligations civiles, op.
cit., p. 389
182 Samira BOURHABA, « Singularité et
multiplicité des relations fraternelles », CCTF, janv.
2004, n° 32, p. 23, spéc. p. 28
183 Emmanuelle CRENNER, et alii, « Le lien de
germanité à l'âge adulte », art. cit.
184 Jacques BRAUD, « L'indemnité
réparatrice des blessures et de la mort : pour l'unité »,
JCP G., 1971, chron. 2372, spéc. n° 34 ; rappr.
Crim., 2 mai 1952, JCP, 1952, II. 7354
120.
38
Mieux, ces liens de fait devraient également suffire
à identifier la fratrie. Puisque la filiation n'est pas
déterminante de la fraternité, a contrario, la
qualité de frère semble pouvoir résulter de seuls liens de
fait185, tels que l'union des parents ou le placement dans une
même famille d'accueil. En réalité, il ne s'agit pas
d'asseoir la définition de la fratrie sur un choix réciproque des
frères et soeurs, qui serait contraire à son caractère
subi, mais de prendre en compte la proximité qui existe de fait entre
les enfants ayant vécu sous un même toit pour corroborer une
filiation juridique, voire la suppléer.
121. Absence d'effets d'une fraternité non
vécue - A l'inverse, l'absence de liens affectifs paraît
devoir exclure la qualification de frères et soeurs en dépit de
l'existence d'une filiation juridique commune. L'importance des liens
vécus justifie, notamment, la règle de non séparation de
la fratrie qui n'a pour objectif que de maintenir les liens de fait - une
communauté de toit - et non de protéger la filiation des
frères et soeurs. En l'absence de liens affectifs suffisants entre les
frères et soeurs, la séparation sera plus facilement admise par
le juge, qui traitera ces derniers comme des tiers186.
La parenté commune n'est là qu'un
critère secondaire, puisqu'elle n'implique pas nécessairement une
communauté de toit et que, à l'inverse, des enfants peuvent se
retrouver unis par leurs parents sans qu'il n'existe entre eux de liens de
consanguinité.
De même, la fonction d'éclatement de la fratrie
semble dépourvue d'utilité sociale lorsque les frères et
soeurs, bien qu'unis par une parenté commune, n'ont jamais vécu
ensemble. Réciproquement, il est possible de s'étonner qu'aucune
prohibition n'existe au sein des fratries de fait, unies dès la plus
jeune enfance par l'union de leurs auteurs187.
122. Ainsi, « c'est moins la place juridique dans la
parenté qui fait le frère ou la soeur que la
réalité des relations »188.
La fratrie désigne un ensemble de règles tendant
à l'éclatement et la solidarité spontanée entre
individus regroupés par des liens subis et orientés vers un
passé commun. Or, ce passé n'est pas nécessairement
constitué d'une filiation commune et peut désigner tout
événement qui a imposé aux frères et soeurs une
union de fait, important bien davantage qu'un lien de droit dépourvu de
toute effectivité189.
La remise en cause de l'importance de la patenté dans
la définition de la fratrie invite alors à discuter le postulat
selon lequel tous les enfants d'un ou deux mêmes parents, et eux seuls,
revêtent la qualité de frères.
185 Marcel RUFO, Christine SCHILTE, Frères et soeurs,
une maladie d'amour, Le Livre de Poche, 2003, chap. IX
186 CA Paris, 16 juin 1998, Dr. Fam., mars 1999, p.
17, note P. MURAT ; rappr. CA Rouen, ch. fam., 14 mai 2009, RG n°
08/01878, JurisData : 2009-003198 ; CA Nîmes, ch. civ. 2, sect. C, 28
sept. 2005, RG n° 03/03451, JurisData : 2005-285431
187 Didier GUEVEL, « La famille incestueuse », Gaz.
Pal., 16 oct. 2004, n° 290, p. 2
188 Agnès FINE, « Liens de fraternité
», IS, mai 2012, n° 173, p. 36, spéc. p.42
189 Nathalie CHAPON-CROUZET, « L'expression des liens
fraternels au sein des familles d'accueil : de la fratrie au groupe fraternel
nourricier », Devenir, mars 2005, vol. 17, p.261, spéc. p.
265
39
La Fratrie
|