Section 2 : L'étendue des liens fraternels
123. Par ses caractères vécus, imposés,
la fratrie peut être détachée de la référence
classique au lien de parenté partagé par ses membres. Cette
nouvelle définition impose de vérifier si l'étendue
actuelle de la fratrie est justifiée alors qu'elle reste définie
en droit par l'existence d'une filiation commune. Or, tandis que la
convergence des fratries utérines, consanguines et germaines conduit
à une mise à l'écart critiquable des quasi-fratries
(§1), le droit positif ne permet d'aménager que de
manière imparfaite des rapports de fraternité lorsqu'ils sont
ignorés par la loi (§2).
§1. La justification imparfaite du cantonnement de la
fratrie
124. Fratries germaines, consanguines et utérines sont
parfaitement assimilées par le droit. En revanche, en l'absence de
filiation commune, les rapports entre quasi-frères sont ignorés.
Si l'assimilation des demi-frères aux frères germains semble
justifiée (A), la mise à l'écart des fratries de fait
n'est pas toujours pertinente (B).
A/ La convergence des fratries germaine, consanguines
et utérine
125. Assimilation des fratries - Il n'a
jamais été contesté que les enfants issus d'un seul auteur
commun reçoivent la qualité de frères. Toutefois, les
droits des demi-frères ont longtemps été moindres que ceux
des frères germains. Notamment, le privilège du double lien
affectait la vocation successorale des frères utérins et
consanguins (cf. supra n° 50) et le principe de non
séparation avait d'abord été jugé inapplicable au
groupe des demi-frères pour des considérations d'ordre
pratique190.
126. Cette différence de traitement entre
frères germains et demi-frères semble aujourd'hui
dépassée.
Il est généralement admis que les
empêchements à mariage s'appliquent indifféremment selon
que les collatéraux sont issus d'un ou deux auteurs
communs191. En outre, la jurisprudence a rapidement étendu
l'application de l'article 371-5 du Code civil aux
demi-frères192, sous réserve de la possibilité
matérielle de réunir la fratrie sous un même toit - ce qui
vaut également pour les frères germains193. De
même, la dévolution d'un même nom aux frères et
soeurs se heurte aux mêmes obstacles de fait, qu'ils aient un ou deux
parents communs. Enfin, la réforme du 3 décembre 2001 accorde des
droits successoraux égaux aux frères, quel que soit le nombre de
leurs auteurs communs (cf. supra n° 51).
Ces quelques exemples démontrent l'assimilation
parfaite des frères germains aux frères utérins et
consanguins. L'existence d'un parent commun suffit à unir les enfants et
oriente naturellement leur
190 Jacques MASSIP, « La loi du 30 décembre 1996
», art. cit.
191 CA Rouen, 23 févr. 1982, D. 1982, IR. p. 211,
rappr. Req. 28 nov. 1877, DP. 1878, I. 1209
192 CA Paris, 7 mai 2003, Dr. Fam., 2003, comm. 144,
A. GOUTTENOIRE, RTD Civ., 2003, p. 494, obs. J. HAUSER ; Civ.
1re, 19 nov. 2009, D. 2010, p. 1904, chron. A. GOUTTENOIRE,
P. BONFILS
193 Dorothée BOURGAULT-COUDEVYLLE, « Les relations
de l'enfant avec d'autres personnes que ses père et mère »,
Droit et Patr., 2000, p. 85
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union vers leur origine commune, passée. Elle satisfait
alors aux critères d'identification de la fratrie ; dès lors, peu
importe que la fratrie s'articule autour d'un ou deux auteurs.
127. Limites de l'assimilation - Cependant,
si l'assimilation des fratries germaines, utérines ou consanguines se
conçoit aisément lorsque les enfants sont élevés
sous un même toit, il est moins certain que l'existence d'un unique
auteur commun suffise à expliquer l'application du régime de la
fratrie194. Il est en effet douteux que l'éclatement de la
fratrie doive être encouragé et organisé par le droit ou
qu'une solidarité spontanée puisse naître entre des
demi-frères qui n'ont jamais vécu ensemble195. La
fratrie est alors réduite au partage d'une filiation biologique,
à laquelle le droit ne fait pas toujours produire d'effet (cf.
supra, n° 111).
Or, les frères qui n'ont, du fait de la
séparation de leurs parents, jamais vécu ensemble, ne partagent
pas de passé commun intrinsèque à la fratrie. Leur union
ne pourrait résulter que de la volonté de se regrouper,
d'organiser un avenir commun ; il ne s'agirait alors pas seulement de
déterminer la qualité des liens fraternels, mais de les nouer.
Les rapports ainsi envisagés seraient donc voulus et tournés vers
l'avenir, ce qui caractérise bien plus un couple qu'une fratrie.
128. Aménagements des fratries de droit
- Il semble donc discutable d'assimiler totalement les
demi-frères aux frères germains, lorsqu'ils n'ont jamais
cohabité. Toutefois, le principe d'égalité -
universelle - ferait obstacle à un traitement
différencié à l'égard des demi-frères en
raison du défaut de cohabitation : il serait inconcevable de limiter la
vocation des demi-frères à la succession de l'unique auteur
commun, droit attaché à la filiation et non à la
fraternité.
129. En revanche, les fonctions spécifiquement
attachées à la fratrie peuvent être aménagées
de telle sorte qu'elles ne concernent que certains frères. Le droit
offre là aux demi-frères les moyens suffisants d'avantager ceux
avec lesquels ils entretiennent des liens de faits corroborant leur lien de
filiation commun, notamment grâce à l'absence de réserve en
ligne collatérale. Si la qualification de frère pourrait
être discutable, elle n'entraîne aucune difficulté
sérieuse s'agissant de ses effets. Face à la diversité des
fratries de sang, une fois l'égalité instituée par la loi,
la volonté semble le meilleur moyen de faire correspondre les droits des
frères à la réalité des liens vécus, comme
le postule la Loi du 3 décembre 2001 (cf. supra n° 51).
130. A l'inverse, de réelles complications surviennent
lorsque ces facultés demeurent fermées à des personnes
juridiquement tierces vivant comme frères.
194 En 1999, si 39,2 % des enfants séparés d'un
parent avaient des demi-frères, seuls 21,9 % vivaient effectivement avec
eux. De plus, 20 % des adolescents (13-17 ans) ignoraient la situation de leur
second parent, et donc ne pouvaient connaître leurs éventuels
demi-frères. La proportion diminue avec l'augmentation de l'âge
des enfants lors de la séparation des parents ; Catherine
VILLENEUVE-GOKALP, « La double famille des enfants de parents
séparés », Populations, 1999, n° 1, p. 9
195 Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Famille
éclatées, familles reconstituées », D. 1992,
p. 133 ; rappr. CA Rouen, ch. fam., 14 mai 2009, RG n° 08/01878,
JurisData : 2009-003198
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La Fratrie
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