§2. La fonction de solidarité de la
fratrie
77. La solidarité caractérise, semble-t-il,
l'ensemble des rapports familiaux, à travers, notamment, l'existence
d'obligations alimentaires (C.civ., art. 205 et s.). En revanche, la fratrie
semble ignorer tout devoir de secours et d'assistance, alors que,
paradoxalement, y est attaché un idéal de fraternité.
Cette fraternité n'est en effet pas à rechercher en termes
d'obligation mais de faculté (A), ce qui la distingue d'autant des
autres formes de solidarité familiale (B).
A/ Les moyens étendus de la
fraternité
78. Si le Code de 1804 ne traite de la fratrie qu'incidemment
au titre des empêchements à mariage, il l'ignore absolument
s'agissant de l'obligation alimentaire. Cette indifférence a
été vivement critiquée par les auteurs classiques,
indignés que « le Code laissât par son silence un
individu terrassé par la destinée mourir de faim sur le seuil du
foyer de son frère aussi indifférent que favorisé par la
vie »128. En réalité, le droit organise une
réelle solidarité entre frères et soeurs, en leur
permettant d'agir, de s'abstenir, ou de consentir des sacrifices au profit de
celui dans le besoin129.
125 Philippe CAILLE, « Fratries sans fraternité
», art. cit. p. 11
126 Brigitte CAMDESSUS, La fratrie méconnue : liens du
sang, liens du coeur (dir.), ESF Editeur, 1998, p. 11
127 Dominique FENOUILLET, Droit de la famille, Dalloz,
2e éd., 2008, p. 4
128 Julien BONNECASE, La philosophie du Code Napoléon
appliquée au droit de la famille, op. cit., p.109
129 Valérie BOUCHARD, « De la solidarité en
ligne collatérale », LPA, 30 août 2001, n° 173,
p. 4
79.
28
Facultés d'abstention - En premier
lieu, le droit pénal prévoit un ensemble d'immunités au
profit de certains membres de la famille afin de leur permettre de secourir
leurs proches sans engager leur responsabilité130. Notamment,
les frères et soeurs sont dispensés de dénoncer celui qui
a commis une infraction (CP, art. 434-1)131. Mieux, le frère
ne peut être poursuivi pour recel de malfaiteur (CP, art.
434-6)132 ni pour aide au séjour d'un étranger en
situation irrégulière (CESEDA, art. L.622-4)133.
Ainsi, ce pouvoir d'abstention du frère, pouvant aller jusqu'à
héberger un délinquant ou un étranger en situation
irrégulière en toute impunité, traduit une forme de
fraternité reconnue et encouragée par le droit ; « la
solidarité familiale [l'emporte] sur les nécessités de
l'ordre public en ce domaine »134.
80. Facultés d'action - En
deuxième lieu, la solidarité fraternelle se manifeste par un
rôle actif de soutien des frères et soeurs. Une partie peut, par
exemple, être assistée par son frère devant le Tribunal
d'instance (CPC, art. 828). Mieux, les collatéraux ont la
possibilité de participer aux mesures de protection de leur frère
(C.civ., art. 449 al. 2, 456 al.2)135, d'exécuter certaines
mesures d'assistance éducative (C.civ., art. 375), de s'opposer à
une déclaration d'abandon (C.civ., art. 350) et même d'adopter
leur frère mineur en cas de décès des parents. L'adoption
fraternelle est alors favorisée par la jurispru-dence qui admet une
dérogation à l'écart d'âge de 15 ans exigé
entre l'adoptant et l'adopté136.
Le principe de non séparation de la fratrie repose
également sur cette fonction de solidarité : le maintien d'une
communauté de toit est présumée bénéfique
à l'enfant puisqu'il ne connaît d'exception que si
l'intérêt de ce dernier commande une séparation (cf.
supra n° 57).
L'aîné majeur pourrait même se voir
accorder l'hébergement de ses cadets, sur le fondement de l'article
373-3 du Code civil, en cas d'inaptitude des parents à les
recueillir137.
81. Ces prérogatives d'ordre extrapatrimonial sont
complétées par des facultés d'aide et d'assistance
pécuniaire. Certes, il n'existe en ligne collatérale aucune
obligation alimentaire138, mais la jurisprudence a reconnu de longue
date l'existence d'une obligation naturelle entre frères et soeurs,
traduisant une forme de solidarité spontanée139. Par
ailleurs, si la famille collatérale semble délaissée par
le droit des successions, elle est fortement encouragée par le droit
fiscal à s'entraider au moyen de libéralités.
130 Pierre MOUSSERON, « Les immunités familiales
», RSC, 1998, p. 291 ; Théo HASSLER, « La
solidarité familiale confrontée aux obligations de collaborer
à la justice pénale », RSC, 1983, p. 437
131 Solution étendue au délit de non obstacle (CP,
art. 223-6) ; Crim., 7 nov. 1990, RSC, 1991, p. 569, obs. G.
LEVASSEUR
132 Jean-Pierre DELMAS SAINT-HILAIRE, « "Vrai" et "faux"
recel de malfaiteur », RSC, 2004, p. 645
133 Michel REYDELLET, « Les délits d'aide à
l'étranger en situation irrégulière », D,
1998, p. 148
134 Jean-Pierre DELMAS SAINT-HILAIRE, « "Vrai" et "faux"
recel de malfaiteur », art. cit.
135 Nathalie PETERKA, « La famille dans la réforme de
la protection juridique des majeurs », JCP G, 2010, p.33
136 CA Paris, 10 févr. 1998, JCP G., 1998, II.
10130, note C. PHILIPPE, Dr. Fam., 1998, n°83, note P. MURAT
137 CA Papeete, ch. civ., 25 sept. 1997, JurisData :
1997-055551
138 Laurence MAUGER-VIELPEAU, « Les sujets et l'objet de la
dette alimentaire », LPA, 24 juin 2010, n° 125, p. 21
139 Req., 5 mars 1902, D. 1902, I. 220, S. 1902, I. 312 ;
Req., 7 mars 1911, D. 1913. I, 404 ; CA Paris, ch. 11, 25 avr. 1932,
JCP, 1932, 607, note H. Mazeaud ; et arrêts cités dans
George Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4e
éd., 1949, p. 375 ; Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en
droit civil français, PUAM, 2009, 679 p. 532
29
La Fratrie
L'article 796 O ter du Code général des
impôts exonère de droit de mutation à cause de mort la part
de succession du frère âgé de plus de 50 ans ou en
situation de handicap et vivant depuis au moins cinq ans avec le de
cujus. Le droit fiscal favorise ainsi les transmissions de biens aux
frères et soeurs dans le besoin, les libéralités
revêtant là un caractère alimentaire
prédominant140. L'obligation de secours purement naturelle se
traduit alors par la facilitation des transmissions du patrimoine à
cause de mort. Le frère pourrait alors, si les circonstances le
justifient, revêtir la qualité de « personne à
charge », au sens de l'article L. 361-4 du Code de la
sécurité sociale141.
82. Faculté de renoncement - En
dernier lieu, le droit permet aux collatéraux, et à eux seuls, de
consentir certains sacrifices au profit de leurs frères et soeurs dans
le besoin. Ainsi, le droit prévoit des dérogations très
strictes à l'interdiction pour tout mineur ou majeur
protégé - vivant - de consentir à des dons d'organes (CSP,
art. L. 1231-1 s.), concernant au premier chef les frères et
soeurs142. Par ailleurs, les collatéraux peuvent renoncer
à toute action en réduction des libéralités
consenties à un de leur cohéritier au cas où celles-ci
excèderaient la quotité disponible (C.civ., art.
929)143. Le mécanisme de la renonciation anticipée
à l'action en réduction permet donc à la fratrie de
consentir un sacrifice au profit de l'un des siens, sur l'initiative des
ascendants concernés.
86. En dépit de l'absence de toute obligation
alimentaire entre frères et soeurs, la solidarité fraternelle,
reconnue et encouragée par le droit, ne peut être
négligée et constitue une composante majeure des relations
collatérales.
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