B/ La signification de l'éclatement de la
fratrie
72. La fonction d'éclatement de la fratrie ne
démontre aucunement son inexistence ; au contraire, elle définit
une institution autonome.
73. Communauté d'intérêts
- D'une part, elle révèle l'existence
d'intérêts communs entre les frères et soeurs que le droit
se doit de prendre en compte chaque fois qu'ils nuiraient à
l'efficacité de la règle en cause. Les rapports affectifs qui
existent entre frères et soeurs sont, notamment, contraires à la
finalité du mariage qui est de fonder une famille nouvelle et
incompatibles avec l'impartialité exigée pour l'exercice de
certaines fonctions. Ainsi, nombre d'empêchements reposent sur la
présomption d'une communauté d'intérêts, affectifs
ou pécuniaires, au sein de la fratrie122. Le
témoignage du frère ne peut être recueilli sous serment en
matière pénale (CPP, art. 335 et 448) ; les liens de
fraternités entretenus avec une des parties sont une cause de
récusation du personnel judiciaire ou des jurés (CPP, art. 291).
Contrairement à la prohibition du témoignage des descendants,
fondés sur l'existence d'un lien de subordination, l'interdiction repose
en ligne collatérale sur la partialité présumée du
frère, qu'il veuille nuire ou protéger la personne
poursuivie123.
74. Dès lors que cette communauté affective ou
économique se heurte à l'autonomie de chaque frère et
soeur, le droit organise des empêchements et incompatibilités de
tout ordre. En revanche, lorsque ces liens ne portent aucune atteinte aux
finalités de la règle en cause, ils sont pris en compte dans
l'intérêt des membres de la fratrie, comme l'illustre la
faculté de prouver par tout moyen les obligations contractées
entre frères, en raison de l'impossibilité morale de produire un
écrit124. Les règles qui organisent la
séparation des frères et soeurs, loin de nier l'attachement qui
existent entre eux, traduisent la communauté affective qui les unit et
la combattent chaque fois qu'elle heurte l'ordre social.
75. Une mise en concurrence inédite -
D'autre part, l'organisation d'une concurrence loyale entre frères et
soeurs constitue une fonction inédite parmi les différentes
institutions familiales. En effet, la
122 René MAURICE, « Les effets de la parenté
et de l'alliance en ligne collatérale », art. cit.
123 Yves MAUSEN, « La famille suspecte. Liens familiaux
et motifs de récusation des témoins à l'époque
médiévale », dans Leah OTIS-COUR, Histoires de famille,
Cahiers de l'institut d'anthropologie juridique, juil. 2012, n° 33,
p. 161
124 CA Grenoble, 12 avr. 1967, D. 1967, p. 496, RTD
Civ., 1967, p. 814, obs. J. CHEVALLIER
27
La Fratrie
fratrie est caractérisée par deux sentiments
opposés de complicité et de rivalité, d'association et de
jalousie125. Elle favorise la construction individuelle de l'enfant
tout en constituant son premier réseau de lien social fondé sur
un mimétisme spontané, oscillant entre ressemblance et
individualisation des frères et soeurs, rapprochement et
éclatement126. Ces relations n'ont d'équivalents ni
dans l'alliance, où toute volonté d'indépendance est
exclue là où les époux cherchent à s'unir, ni dans
la filiation, caractérisée par une inégalité
naturelle entre enfants et parents. La fratrie doit ainsi faire face à
deux impératifs antagonistes : elle doit, d'une part, allouer une part
égale de ressources économiques et affectives à chacun de
ses membres et, d'autre part, veiller à favoriser le
développement de chaque identité en son sein. Elle ne peut donc
se contenter de prévoir sa disparition future : elle doit l'organiser.
Or, parmi les fonctions traditionnellement attachées à la
famille127, composée sommairement du couple et des enfants,
la régulation des rapports de concurrence entre frères et soeurs
est le plus souvent ignorée.
76. Le corps de règles impératives
attachées à la fratrie afin d'organiser la séparation et
la mise en concurrence des frères et soeurs est sans équivalent
au sein de la famille. En outre, cette fonction d'éclatement est
complétée par l'organisation d'une solidarité
particulière confirmant l'autonomie de l'institution fraternelle.
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