§2. L'unité fraternelle
53. L'unité de la fratrie repose avant tout sur la
soumission de l'ensemble de ses membres à une même autorité
parentale. Pourtant, la fratrie ne saurait être réduite à
une communauté de toit, un nom de famille unique et une vocation
successorale de second ordre. L'unité fraternelle, principalement
extrapa-trimoniale (A) révèle, à certains égards,
une communauté indépendante de la lignée (B).
A/ L'expression de l'unité de la fratrie
54. Absence d'unité patrimoniale -
L'unité patrimoniale de la fratrie est limitée. Notamment, la
vocation successorale des collatéraux est écartée par les
droits des descendants et du conjoint et limitée par ceux des parents.
Il est impossible d'y voir la trace d'un patrimoine fraternel, pendant du
patrimoine lignager qui demeure l'« effet le plus tangible de la
parenté »94. De même, les immunités
familiales relatives aux infractions contre les biens ne
bénéficient qu'aux parents et alliés, et non aux
frères95. Le cantonnement de ces règles
dérogatoires, justifiées classiquement par l'idée d'une
indivision familiale, marque bien l'absence de toute unité patrimoniale
au sein de la fratrie.
55. Manifestations de l'unité
extrapatrimoniale - L'unité de la fratrie se manifeste de
manière remarquable dans ses dimensions extrapatrimoniales. Cette
unité est tout d'abord exprimée à travers
l'identité de nom des frères et soeurs96.
Malgré le libre choix du nom par les parents, il est prévu que le
premier nom « choisi vaut pour les autres enfants communs »
(C.civ., art. 311-21). Les cadets portent donc - en principe (cf. infra
n° 60) - le même nom de famille que leur aîné
germain, extériorisant ainsi leur appartenance à une fratrie
unique.
56. Par ailleurs le logement des frères et soeurs
reste généralement commun (C.civ., art. 108-2). En cas de rupture
du couple parental, la Loi du 30 décembre 199697 a
organisé un principe de non séparation des frères et
soeurs (C.civ., art. 371-5). Ce « pâté d'écolier
alourdi d'un pavé de sénateurs »98, a
été largement critiqué pour son inconsistance et pour les
blocages qu'il risquerait d'engendrer face à la nécessaire
individualisation de l'éducation de l'enfant. Souffrant de nombreuses
exceptions, il n'ajouterait rien au droit positif qui prenait en compte,
dès avant 1996, l'intérêt pour l'enfant de ne pas
être séparé de ses frères et soeurs99. En
outre, la possible séparation de la fratrie a été
confirmée par la suite, en dépit de l'entrée en vigueur de
la loi nouvelle100, « inutile et mal venue
»101. Pourtant, il est
94 Jean CARBONNIER, Droit civil, Tome II (La
famille, l'enfant, le couple), PUF, 21e éd., 2002, p.
67
95 Pierre MOUSSERON, « Les immunités
familiales », RSC, 1998, p. 291, spéc. p. 293
96 Jacques MASSIP, « Incidences de
l'ordonnance relative à la filiation sur le nom de famille »,
Dr. Fam., 2006, étude n°8 ; Fanny VASSEUR-LAMBRY, «
Le nom de famille : réforme achevée ou casse-tête en
perspective », RJPF, 2005, p. 2
97 Jacques MASSIP, « La loi du 30
décembre 1996 », art. cit. ; Thierry REVET, «
Autorité parentale : loi n° 96-1238 du 30 décembre 1996
», art. cit. ; Pierre MURAT, « La loi du 30 décembre
1996 », Dr. Fam., mars 1997, p. 4 ; Isabelle CORPART, « La
séparation du couple parental et le choix de la résidence de
l'enfant », Recherches familiales, 2005, n°2, p. 69
98 Gérard CORNU, Droit civil. La
famille, Domat (Droit privé), 9e éd., 2006,
n° 75, p.162
99 Civ. 2e, 2 juil. 1982, Rep.
Defrénois, 1982, p. 992, obs. J. MASSIP
100 CA Paris, 7 mai 2003, Dr. Fam., 2003, comm. 144,
note A. GOUTTENOIRE-CORNUT
22
également rappelé en droit européen,
s'agissant du droit d'asile des mineurs isolés, que, « dans la
mesure du possible, les fratries ne sont pas séparées
»102. Bien que la règle apparaisse davantage comme
une incitation plus qu'une véritable prescription, elle consolide le
principe découvert en 1996 en dépit des critiques qui avaient
été formulées à son encontre.
57. Enfin, la jurisprudence protège le droit pour tout
locataire d'héberger ses frères et soeurs, même majeurs,
nonobstant toute clause contraire du bail103. Or, la Cour de
cassation ne se réfère plus à la notion de «
proches », mais bien aux « membres de la famille
». L'unité de la fratrie se trouve alors renforcée et
distinguée des rapports qui unissent les proches.
La CEDH précise également que le droit à
mener une vie familiale normale (Conv. EDH, art. 8 §1) implique la
protection des rapports entre frères et soeurs ; un détenu ne
saurait être éloigné de sa fratrie sans raisons
objectives104. Dans le même esprit, le Conseil d'État,
par un arrêt rendu en Assemblée, le 19 avril 1991, a
rappelé que l'article 8 de la Convention s'oppose à l'expulsion
d'un étranger n'ayant aucune attache avec son pays d'origine et ayant en
France la charge de sa fratrie105.
58. Résumée à une communauté de
toit durant l'enfance, l'unité de la fratrie pourrait, certes,
être critiquée pour son inconsistance. Cependant, cette
unité se manifeste à bien d'autres égards106,
attestant de la réalité et de la vigueur du principe.
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