B/ Les aménagements souhaitables de la notion
de fratrie
142. Le droit positif permet, de manière ponctuelle,
d'étendre aux quasi-frères des droits dont
bénéficient les frères. Aussi, serait-il souhaitable de
permettre à ceux qui concentrent l'ensemble des qualités de
frère, après les avoir qualifiés ainsi, d'être
soumis au régime y afférent, notamment, afin d'organiser entre
eux des rapports de concurrence pacifiés.
143. Les enjeux d'une redéfinition de la
fratrie - L'aménagement complet de la fratrie suppose une
double évolution : permettre au demi-frère d' « abolir
le passé »220 avec une fratrie qu'il n'a jamais
connue ; reconnaître l'existence d'une fratrie entre quasi-frères
élevés ensemble. Or, ces évolutions se heurtent aux
éléments-mêmes de définitions de la fratrie :
admettre la construction d'une fratrie entre
214 Agnès MARTIAL, S'apparenter. Ethnologie des liens
de familles recomposées, op. cit., p. 76
215 Paris, 18 mars 1850, DP. 1851. 2. 30 ; T. civ.
Versailles, 13 janv. 1892, S. 1892. 3. 92
216 Aude POITTEVIN, « Les liens dans les fratries
recomposées », art. cit. p. 15
217 CA Paris, 19 mai 1992, D. 1993, somm. 127 :
l'obligation d'entretenir l'enfant ne pèse pas sur le beau parent.
218 CA Reims, Ch. civ., sect. 2, 1er mars 2013, RG n° 12/
01804, 125, JurisData : 2013-00420
219 Irène THERY, Couple, filiation et parenté
aujourd'hui, La documentation française, 1998, 413 p.
220 Marie-Thérèse MEULDERS-KLEIN, Irène
THERY, Quels repère pour les familles recomposées ?,
op. cit. p. 16 s.
45
La Fratrie
quasi-frères ne doit pas en faire un état
choisi, tandis que la destruction d'une fratrie non vécue ne doit pas
entrer en contradiction avec l'orientation consubstantielle de la fratrie vers
son passé.
La reconnaissance en droit d'une fratrie de fait ne doit pas
non plus remettre en cause les liens de filiation respectifs de ses membres,
spécialement lorsque l'hébergement de l'enfant par le tiers,
parent des quasi-frères, n'avait vocation qu'à être
temporaire221.
Il ne faudrait pas que, sous couvert de la recherche d'une
adéquation entre le régime et le contenu de la fratrie, l'essence
de cette institution ou d'autres liens familiaux soit altérée.
Ces exigences impliquent la recherche d'un délicat équilibre
entre le rôle de la volonté des frères, l'aspect
nécessairement subi de leur état et l'intangibilité de
leur filiation.
144. Solutions écartées -
Dès lors, certaines solutions offertes par le droit doivent être
écartées, car elles conduiraient à
méconnaître le caractère imposé ou égalitaire
de la fratrie. Ainsi, l'adoption simple d'un quasi-frère créerait
un lien vertical entre adoptant et adopté, contraire à
l'égalité qui existe au sein de la fratrie. De même,
l'ouverture de partenariats civils aux frères et soeurs conduirait
à confondre fratrie et couple en niant à la fois le
caractère subi de cette première institution et la dimension
élective et affective de la seconde222. En outre, un tel
partenariat limiterait à deux le nombre de frères223.
Enfin, l'adoption du bel-enfant par le second membre du couple n'est pas plus
satisfaisante car elle risquerait de remettre en cause la fratrie biologique de
l'adopté qui peut conserver un rôle important224, et
ferait, là encore, dépendre le statut de frère d'une
volonté parentale contingente225.
145. Statut autonome de frère -
Aussi, dans le cadre des familles recomposées, « semblerait-il
possible et utile de créer un statut officiel [...] des fratries
»226 ou, du moins, d'en reconnaître l'existence en
droit. Une telle qualification devrait être accordée en fonction
des critères de définition de la fratrie, indépendamment
du lien de filiation des intéressés. Une union subie du fait du
couple de leurs parents ou du placement dans une famille
d'accueil227, une communauté de toit durable, dès
l'enfance228, l'absence de volonté de fonder un
couple, seraient autant d'éléments à prendre en compte.
Seraient frères ceux qui, unis ou non par un lien
de filiation commun, auraient été regroupés dès le
plus jeune âge et auraient vécu ensemble durant une période
continue et suffisamment
221 Anne-Marie LEROYER, « L'enfant confié à un
tiers : de l'autorité parentale à l'autorité familiale
», RTD Civ. 1998 p. 587
222 Jean-Marc FLORAND, Karim ACHOUI, « Vers un nouveau
modèle d'organisation familiale : le contrat d'union civil »,
LPA, 9 avr. 1993, n° 43, p.11 ; rappr. CEDH, 29 avr.
2008, n° 13378/05, Burden c. RU ; préc.
223 Yves LEMOINE, « Mignonne allons voir si le Pacs ...
», Libération, 2 déc. 1998
224 Brigitte CAMDESSUS, « Adoption et fratrie »,
CCTF, janv. 2004, n° 32, p. 135, spéc. p. 137
225 Marie-Thérèse MEULDERS-KLEIN, Irène
THERY, Quels repère pour les familles recomposées ? op.cit.,
p. 132 et s.
226 Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Famille
éclatées, familles reconstituées », art.
cit.
227 Nathalie CHAPON-CROUZET, « L'expression des liens
fraternels au sein des familles d'accueil », art. cit., p.274
228 Sur l'effet du temps dans la construction des liens
familiaux dans une famille d'accueil ; Maryline BRUGGEMAN, « Droit au
respect de la vie familiale d'une famille d'accueil : le temps est assassin
», obs. sur. CEDH, 17 janv. 2012, n° 1598/06, Kopf et Liberda c/
Autriche, Dr. Fam., 2012, comm. 44
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longue pour faire naître entre eux des liens
affectifs justifiant à la fois la facilitation d'une solidarité
spontanée et la nécessité d'organiser la rupture loyale de
ces liens.
La qualification des frères, et donc de la fratrie, ne
pourrait résulter que d'une simple reconnaissance par le juge et non
d'un choix constitutif, contrairement au modèle de l'affrèrement,
plus proche d'une adoption229. Au vu de ce statut, le juge pourrait
étendre de manière générale - et non ponctuelle -
les droits des frères et soeurs à l'ensemble de la fratrie, de
sang ou non, à l'exclusion de ceux liés à la filiation
(succession en ligne directe, nom de famille, etc.).
146. Cette évolution ne serait que la suite logique de
la réforme du 3 décembre 2001230. En admettant qu'une
affection égale existe entre frères germains et
demi-frères, le droit successoral a pris acte du pluralisme qui existe
parmi les fratries : le législateur ne peut hiérarchiser
l'affection des frères ni déterminer quelles fratries
méritent telle qualification au regard du critère
inopérant de la filiation.
Dès lors, il convient d'achever cette évolution
en qualifiant de frères ceux qui vivent comme tels. Le régime de
la fratrie étant avant tout permissif, il reviendrait alors à
chaque frère de moduler les effets de la fraternité à
l'égard des collatéraux avec lesquels il n'existe aucun lien
vécu, comme cela est déjà permis entre frères
germains et demi-frères.
* *
*
147. Conclusion du chapitre second -
Découvrir l'existence de caractères et fonctions propres
à la fratrie permet d'en révéler les
éléments de définition. Dans sa qualification comme dans
son régime, la fratrie peut être détachée de la
filiation. Dès lors, limiter le statut de frères aux enfants d'un
ou deux auteurs communs ne correspond plus aux critères de
définition de la fratrie, reposant essentiellement sur une union subie
et tournée vers le passé.
S'agissant des fratries juridiquement reconnues, la Loi se
refuse à établir une hiérarchie entre demi-frères
et frères germains, sur le fondement d'une présomption
d'affection liée à la filiation. Elle postule donc une stricte
égalité des frères germains, utérins et
consanguins, laissant à chacun le choix d'exercer ou non les
prérogatives attachées à cette qualité.
En revanche, le droit ignore toujours les quasi-fratries. Or,
les quasi-frères doivent, à certaines conditions, tenant
notamment à une vie commune durant l'enfance, recevoir la qualité
de frères. Les moyens qu'offre le droit pour étendre aux
quasi-frères le régime de la fratrie étant insuffisants,
c'est donc à la reconnaissance d'une qualification autonome de la
fratrie qu'il faut désormais tendre.
229 Philippe-Antoine MERLIN, Répertoire universel et
raisonné de jurisprudence, 4e éd., 1784, tome
Ier, v° « affrèrement »
230 Nicole PETRONI-MAUDIERE, « Transmettre dans les familles
recomposées », art.cit.
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La Fratrie
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