§2. L'évolution possible de l'étendue
de la fratrie
135. Lorsque la fratrie est ignorée par le droit,
certains mécanismes permettent d'aménager les relations existant
entre personnes se prétendant frères. Or, ces aménagements
ne doivent pas remettre en cause la nature de la fratrie, notamment son
caractère imposé. Pour concilier le régime de la fratrie
avec son étendue réelle, le droit n'offre que des moyens
limités (A), ce qui commande la création d'un statut autonome de
frère (B).
A/ Les aménagements possibles de la notion de
fratrie
136. Le juge dispose de certaines prérogatives lui
permettant d'accorder aux quasi-frères un statut comparable à
celui de frères par le sang et de limiter les effets d'une fratrie
purement biologique. L'extension du régime de la fratrie reste cependant
incomplète.
137. Extension de la fraternité -
S'agissant de la fonction de solidarité de la fratrie, le juge a la
charge de protéger la fratrie de fait lorsqu'il constate que les liens
tissés entre les enfants vivant sous un même toit correspondent
à ceux que noueraient des frères et soeurs par le sang. Ainsi,
alors que l'article 371-5 du Code civil ne trouverait pas à s'appliquer
entre quasi-frères, le juge peut, sur le fondement de l'article 373-3,
déterminer la résidence de l'enfant chez le mari de sa
mère décédé202. Sera alors garantie
l'unité d'une fratrie de fait unissant l'orphelin et les enfants du
conjoint survivant, dépassant les règles de droit commun de la
dévolution de l'autorité parentale203.
De même, le juge saurait accorder un droit de visite et
d'hébergement au beau-parent (C.civ., art. 3714), tout
spécialement pour maintenir les liens existant entre l'enfant et ceux de
son beau-parent204. Plus généralement, l'exigence
selon laquelle « le mineur doit être maintenu dans son milieu
actuel »
201 Marcel RUFO, Christine SCHILTE, Frères et soeurs,
une maladie d'amour, op. cit.,, p. 27
202 Civ. 1re, 18 déc. 1990, D.
1990, chron. 56, J. HAUSER, D. 1991, p. 433, obs. J. MASSIP ;
rappr. CA Colmar, ch. 5, sect. B, 5 oct. 2004, RG n° 03/01884,
JurisData : 2004-267456
203 Dorothée BOURGAULT-COUDEVYLLE, « Les relations
de l'enfant avec d'autres personnes que ses père et mère »,
art. cit. ; Maryline BRUGGEMAN, « Les familles recomposées
: le(s) tiers et l'enfant », AJ Fam., p. 294
204 CA Pau, Ch. 2, sect. 2, 14 sept. 2010, RG n° 09/01945,
JurisData : 2010-028725
43
La Fratrie
(C.civ., art. 375-2) devrait être
interprétée largement pour permettre de protéger de tels
liens de faits205, à l'occasion du prononcé d'une
mesure d'assistance éducative.
138. En outre, rien n'interdit aux quasi-frères de se
consentir des libéralités, puisqu'aucune réserve n'existe
en ligne collatérale et que la fiscalité y serait
égale206. De même, l'obligation naturelle d'assistance
et de secours qui existe entre frères pourrait très
aisément être étendue aux quasi-frères, puisqu'elle
ne repose que sur un devoir moral, indifférent aux rapports de droit qui
lient ses sujets207. La fonction de solidarité de la fratrie
peut donc en grande partie être étendue aux
quasi-frères.
Les lois des 4 mars 2002 et 23 juin 2006 ont par ailleurs
accru les possibilités de transmission de biens au sein des familles
recomposées, en permettant notamment d'inviter les enfants du conjoint
à une donation-partage conjonctive. En renonçant
simultanément à toute action en réduction, les membres de
la quasi-fratrie peuvent ainsi s'entendre pour que chacun d'eux
reçoivent la même part des parents non communs208.
C'est ainsi la faculté de renonciation qui serait étendue aux
quasi-frères.
139. Extension des interdits - Concernant la
fonction d'éclatement, il convient de ne pas figer les
empêchements à mariage en prohibant l'alliance entre enfants de
parents mariés. La solution serait contraire au reflux
général des empêchements209 et ne correspondrait
pas à la situation où les quasi-frères ont
été unis à un âge avancé210. En
revanche, le juge pourrait, selon la théorie de l'apparence,
étendre ces empêchements aux seuls quasi-frères ayant
été élevés dès leur plus jeune âge
comme des frères211, sur le modèle des
empêchements existants entre créanciers et débiteurs de
subsides (C.civ., art. 342-7). Sans que leur parenté ne soit
juridiquement reconnue, enfants et créanciers de subsides d'une
même personne sont assimilés, dans ce cas, à des
frères.
L'exemple, résiduel, montre que le droit admet
l'extension du régime prohibitif de la fratrie à ceux qui, sans
lien de filiation commun, sont assimilables à des
frères212. Volontairement, le « législateur
n'a pas posé avec clarté la frontière entre le licite et
l'illicite »213 : l'étendue et la force des
interdictions varient, laissant à la règle morale une place au
moins aussi importante que le droit dans la détermina-
205 Cependant, le « milieu actuel »
désigne en principe la famille biologique de l'enfant, et non sa famille
d'accueil ; Civ. 1re, 4 juil. 1978, bull. n° 249 ;
Civ. 1re, 14 févr. 1990, bull. n° 47
206 Hugues FULCHIRON, « La transmission des biens dans les
familles recomposées », Rép. Defrénois,
1994, p. 833
207 CA Paris, ch. 11, 25 avr. 1932, JCP, 1932, 607, note
H. Mazeaud
208 Nicole PETRONI-MAUDIERE, « Transmettre dans les familles
recomposées », art.cit.
209 CEDH, 13 sept. 2005, Dr. fam. 2005, n° 234,
note A. GOUTTENOIRE, M. LAMARCHE
210 Agnès MARTIAL, S'apparenter. Ethnologie des liens
de familles recomposées, Editions de la MSH, 2003, p.100
211 Didier GUEVEL, « La famille incestueuse », art.
cit.
212 Marie LAMARCHE, Jean-Jacques LEMOULAND, Mariage.
Conditions de formations, Répertoire Dalloz, 2010, n° 353 ;
Philippe Antoine MERLIN, Répertoire universel et raisonné de
jurisprudence, 4e éd., 1821, tome quatrième, p.
552, v° « empêchements » ; l'auteur faisant
également le rapprochement avec les empêchements existants entre
l'enfant baptisé et la famille des ses parrains et marraines ;
rappr. Anita GUERREAU-JALABERT, « Sur les structures de
parenté dans l'Europe médiévale », Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations, 1981, n° 6,
p. 1028, spéc. p. 1035
213 Annick BATTEUR, « L'interdit de l'inceste, principe
fondateur du droit de la famille », RTD Civ., 2000, p. 759
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tion des empêchements à mariage214. La
jurisprudence a d'ailleurs pu prendre l'initiative d'étendre les
empêchements à mariage en se fondant sur une parenté non
établie mais notoire215.
140. Extension de la concurrence fraternelle
- La fonction de concurrence est celle dont la transposition aux
quasi-frères est la plus délicate216.
Du fait de leur parenté distincte, les
quasi-frères risquent de se voir allouer des ressources
pécuniaires et affectives inégales, ce qui rompt
l'égalité nécessaire à une libre concurrence dans
le développement de chaque membre de la fratrie217. Le juge
pourrait alors intégrer dans les charges du mariage l'entretien et
l'éducation des enfants non communs, garantissant l'attribution de
ressources égales aux enfants des époux, indépendamment de
leur parenté218. Or, le mécanisme ferait
dépendre le régime de la fratrie de la situation matrimoniale des
parents, ce qui contredirait l'autonomie de cette institution. Il ne semble
donc pas satisfaisant de faire reposer le statut de la quasi-fratrie sur la
situation du beau-parent, laquelle se heurte déjà à des
difficultés inextricables219.
141. Le droit permet donc d'attacher aux enfants
regroupés dès leur plus jeune âge par l'union de leurs
parents des effets proches de ceux qui découlent d'une fratrie de droit.
Toutefois, des obstacles demeurent et rendent imparfaits les
aménagements actuellement possibles : dès lors que le droit ne
permet pas d'établir un régime satisfaisant au sein des
quasi-fratries, seule une redéfinition de la fratrie peut permettre une
prise en compte effective des rapports entre quasi-frères.
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