CHAPITRE I : L'existence de la fratrie en droit
38. L'existence de la fratrie en droit n'est pas certaine.
Les liens intrafamiliaux sont, le plus souvent, réduits aux rapports de
parenté ou d'alliance. Aussi, la fratrie n'est-elle définie que
par référence à une filiation commune ou la
prohibition d'une alliance entre ses membres69. A
première vue, « c'est par leurs parents que les enfants sont
unis »70. Dans d'autres cas, les frères et soeurs
seront assimilés à de simples proches.
39. Pourtant, les rapports fraternels ont une existence de
fait que le droit n'ignore pas. Ces rapports répondent à des
fonctions bien particulières que ne connaissent ni les parents, ni les
alliés. Dès lors, l'hypothèse peut être
formulée qu'il existerait des règles propres à la fratrie,
la distinguant de la pa-renté, de l'alliance ou du cercle des «
proches ». Ce corps de règles se différencierait des
autres rapports familiaux à la fois par son objet et par ses
fonctions.
40. En effet, l'organisation des rapports entre frères
et soeurs repose sur une égalité et une unité dont
certains aspects ne dépendent d'aucune autre institution familiale. Par
ailleurs, la vocation de la fratrie est de favoriser une solidarité
subsidiaire à celle des époux ou des parents ainsi que d'assurer
une indépendance suffisante entre ses membres pour qu'ils puissent,
à leur tour, fonder une famille. Or, ces fonctions sont biens distinctes
de celles qui caractérisent le couple ou la parenté.
La découverte de règles propres aux
rapports fraternels (Section 1) révèle ainsi les
fonctions particulières attachées à ceux-ci
(Section 2).
Section 1 : Les caractères autonomes de la
fratrie
41. Souvent, la fratrie est soit fondue dans les rapports de
parenté, soit assimilée aux liens entre proches. Il est donc
délicat d'identifier des règles propres à la fratrie.
Pourtant, dans les rapports entre frères et soeurs, existent des
règles détachées de toute référence à
la parenté commune des collatéraux et les distinguant de simples
proches. D'ordre extrapatrimonial plutôt que pécuniaire, ces
règles révèlent l'existence de la fratrie en droit,
à travers l'égalité (§1) et
l'unité (§2) de ses membres.
69 Elisabeth COPET-ROUGIER, « Alliance,
filiation, germanité », Sociétés
contemporaines, 2000, n°38, p.21
70 Gérard CORNU, « La fraternité.
Des frères et soeurs par le sang dans la loi civile », art.
cit.
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§1. L'égalité fraternelle
42. L'égalité régit l'ensemble des
rapports humains (DDHC, art. 1er), notamment familiaux71,
et non seulement la fratrie. Pourtant, l'égalité fraternelle
doit, en droit, remédier aux inégalités de fait qui
peuvent exister entre frères et soeurs (A) et constitue à ce
titre une règle propre à la fratrie (B).
A/ Les manifestations de l'égalité des
frères et soeurs
43. L'égalité fraternelle se manifeste à
travers les différents liens qui constituent la fratrie72 :
elle régit à la fois les rapports des frères et soeurs
à l'égard de leurs parents et entre membres de la fratrie.
44. Egalité des frères -
L'égalité des frères et soeurs à l'égard de
leurs parents est affirmée avec force par l'article 310 du Code civil :
« tous les enfants dont la filiation est légalement
établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs
rapports avec leur père et mère ».
45. Premièrement, les frères et soeurs
bénéficient de droits égaux. En dépit
d'infléchissements récents, l'égalité successorale
des collatéraux est toujours garantie par une réserve
héréditaire, interdisant aux parents d'avantager excessivement
l'un des frères (C.civ., art. 912 s.). En outre, toute
inégalité fondée sur la nature du lien de filiation a
été vigoureusement condamnée par la décision
Mazurek rendue par la CEDH le 1er février
200173. Malgré les « embarras philosophiques
»74 du législateur, l'inégalité qui a
longtemps frappé les enfants adultérins a été
abandonnée par la loi du 3 décembre 2001 (cf. supra
n° 25). L'égalité des frères prime
désormais l'intérêt de la famille
légitime75.
46. Deuxièmement, l'égalité gouverne les
devoirs de la fratrie envers ses auteurs. A ce titre, l'enfant supporte une
obligation alimentaire envers ses parents dans le besoin (C.civ., art. 205). En
présence d'une pluralité d'enfants, aucune hiérarchie
n'existe au sein de la fratrie mais il est à craindre qu'un enfant -
notamment l'ainé - supporte la majorité, sinon
l'intégralité de cette charge76. Pragmatique, la Cour
de cassation a admis que le descendant qui s'était investi davantage que
ses collatéraux puisse exercer une action subrogatoire contre ses
frères et soeurs77, afin de rétablir
l'égalité en devoir au sein de la fratrie.
71 Jacques MASSIP, « Liberté et
égalité dans le droit contemporain de la famille »,
Rép. Defrénois, 1990, p. 149
72 Gérard CORNU, Droit civil. La
famille, Domat (Droit privé), 9e éd., 2006,
n° 66, p.143
73 CEDH 1er févr. 2000, n°
34406/97, Mazurek c. France, D. 2000, 332, note J. THIERRY,
ibid. 626, chron. B. VAREILLE, GAJC, 12e
éd., 2007, n° 99, RDSS, 2000, 607, obs. F. MONEGER ;
RTD civ., 2000, 11, obs. J. HAUSER ; ibid. 429, obs. J-P.
MARGUENAUD ; ibid. 601, obs. J. PATARIN ; rappr. CEDH, gde
ch., 7 févr. 2013, n° 16574/08, Fabris c. France, JCP
G., act. 2013, p. 425, obs. F. SUDRE, Gaz. Pal., 21 mars 2013,
n°80, p. 11
74 Jean CARBONNIER, « Isaac et Ismaël
demi-frères », dans Mélanges Sassi Ben Halima,
Tunis, CPU, 2005, p. 3
75 Marc NICOD, « La vocation successorale de
l'enfant adultérin », LPA, 30 sept. 2002, n°195, p.
29
76 René SAVATIER, « Peut-on
récupérer en droit sur ses frères et soeurs les soins et
impenses faites pour ses parents ? », Rep. Defrénois,
1963, p. 549, art. 28419
77 Civ. 1re, 21 juin 1989,
bull. n° 245 ; recours auquel a été substituée
une action en enrichissement sans cause contre la succession ; Civ.
1re, 12 juil. 1994, JCP N., 1995, II, p. 1658, note A.
SERIAUX, Rep. Defrénois, 1994, p. 1516, art. 35950, note R.
SAVATIER, Rep. Defrénois, 1996, p. 842, art. 36363, obs. B.
GELOT, Dr. Fam., oct. 1999, p. 4, obs. D. GRILLET-PONTON
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La Fratrie
47. Egalité entre frères - Les
frères et soeurs sont également assurés d'une certaine
égalité dans leurs rapports réciproques. Là encore,
il s'agira d'une égalité en droits, à travers une
égale vocation des collatéraux à la succession du
frère ou de la soeur décédé (C.civ., art. 744). De
plus, tout rapport hiérarchique est exclu entre frères et soeurs,
comme l'illustre l'absence de circonstance aggravante des crimes sexuels commis
contre un collatéral. Malgré une tentative
avortée78, le droit pénal n'incrimine pas l'inceste en
tant que tel ; seule est prise en compte l'autorité dont pourrait
profiter un parent pour commettre une agression sexuelle ou un viol contre un
membre de sa famille (CP, art. 222-24, 222-28 et 227-27)79.
L'aggravation des peines a donc pour fondement la situation de
supériorité de l'auteur, et non le caractère amoral de la
relation80.
Exclure toute circonstance aggravante à l'encontre de
celui qui abuse de son frère ou de sa soeur revient donc à
postuler une égalité de principe dans les rapports fraternels.
Seule la preuve d'une autorité de fait de l'auteur sur la victime
permettra d'aggraver la peine qui lui sera infligée81.
48. Ainsi, les frères et soeurs jouissent d'une
stricte égalité en droits et en devoirs à l'égard
de leurs parents et dans leurs rapports réciproques. Or, cette
égalité n'est pas inédite et régit l'ensemble des
rapports humains. Que le fratricide ne soit pas davantage sanctionné
qu'un « meurtre ordinaire »82 (CP, art. 221-4) semble priver
la fratrie de toute consistance ou y assimiler l'humanité
entière. L'ambiguïté étymologique du terme de fratrie
(cf. supra n° 8) rejaillit ainsi sur son régime.
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