Paragraphe 2 : Une procédure particulière
quant à l'exécution des
décisions
La saisine des organes leur permet d'examiner la cause en vue
de prendre évidemment des sanctions, déterminées de
façon acrobatique (A). Celles-ci doivent être appliquées en
principe aux Etats et l'on n'ignore que sur ce point particulier, l'application
des décisions à leur encontre se heurte à des
difficultés (B).
A. La détermination complexe des sanctions
encourues
L'article 10 du Règlement n°4/99 stipule que :
« Les infractions sont poursuivies conformément aux dispositions du
Règlement n°1/99... ». Ce texte traitant de plusieurs
pratiques commerciales, on est davantage fixé par l'article 8 du
Règlement n°4/99 qui nous rappelle que les entreprises en situation
de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles
régissant les pratiques anticoncurrentielles notamment à celles
relatives à l'abus de position dominante. Se référant
à ces dernières, on constate que le législateur
opère une fois de plus par renvoi aux ententes prohibées à
l'exception de conditions relatives à l'obligation de
notification130.
Le chapitre 1 du Titre IV du Règlement n° 1/99
traite des sanctions des ententes prohibées. Ces sanctions visent les
entreprises mises en cause et les personnes physiques qui y ont
énergiquement participé. On se pose alors la question de savoir
comment transposer cette disposition en cas de pratiques monopolistiques
abusives ? En se reportant par la suite au Règlement n° 4/99, il
est clair que ce sont les Etats qui sont visées. Cette option facile du
législateur n'est-elle pas critiquable dans la mesure où les
ententes illicites et les abus de monopoles légaux regorgent des
contextes qui leur sont propres ? On peut sans doute avancer la raison que les
sanctions pécuniaires sont commandées à l'encontre des
Etats au nom et pour le compte des entreprises intervenues dans les
transactions excessives. Et pour les peines d'emprisonnement, doit-on
objectivement les exclure dans le cas d'espèce ? La raison de ce
35
130 Article 42 du Règlement n°1/99.
36
questionnement est qu'il est inconcevable d'envisager qu'une
personne à qui l'Etat a accordé des droits exclusifs se voit
infligée une peine d'emprisonnement. A plus forte raison, l'infraction
des personnes physiques en matière des interventions publiques en
Afrique centrale est d'une telle complexité que l'on peut avoir des
doutes sur son caractère réel131.
En matière d'aide d'Etats, le débat ne se pose
pas de la même façon ; en droit communautaire, l'État
membre qui octroie l'aide est le destinataire des mesures adoptées par
la Commission132. Si donc, il était fait grief plutôt
aux droits exclusifs accordés aux entreprises, on conclurait de la
même façon dans le cadre des monopoles légaux sachant que
l'irrespect par l'administration des règles de concurrence est aussi
susceptible d'engager sa responsabilité133.
Quoi qu'il en soit, la Commission pourrait infliger une
amende134 dont le montant ne peut dépasser 5% du chiffre
d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise monopolistique
dans le marché commun au cours du dernier exercice clos, sur les
produits litigieux ou, 75% du bénéfice réalisé au
cours de l'opération prohibée. A défaut d'exécution
spontanée, les astreintes de 100 000 à 5 000 000 de francs CFA
par jour de retard, à compter de la date fixée sans la
décision, qui viendront en majoration pour contraindre les
concernés à s'exécuter.
131 TECHIOTSOP (C.), op. cit., p. 102.
132 BLUMANN (C.), Contrôle des aides d'État et
droit des tiers, Montchrestien, Paris, 2003, p. 325.
133 L'arrêt de la Cour d'appel administrative de Paris
du 14 juin 2010 concernant la Fédération française de
football.
134 La qualification des amendes en droit communautaire a
soulevé un débat doctrinal. Pour les uns, considérant que
les pratiques interdites constituent de véritables infractions
comprenant des éléments légal, matériel et moral et
que l'amende répond à la définition de la peine dans sa
fonction rétributive, « les textes qui nient la qualification
pénale usent un raisonnement purement verbal » ou «
constituent une fiction » ( RIGAUX (J), Trib. 1973, 56 ; LOMBOIS,
Droit Pénal International, Paris, Dalloz, 2e
éd. 1979, n°161 ; LEGROS, CDE 1980, P.222 et 236-237). Pour les
autres, les amendes communautaires sont exclusivement administratives car la
qualification pénale supposerait que les Etats ont
transféré une partie de leur souveraineté (VANDERSANDEN
CDE, 1971, 38 et s. ; GASSIN, in Etudes offertes à Alfred JAUFFRET,
1974, p. 338). Controverse relevée par ABOMO (M.L.), Les
particularismes et les zones d'ombre de la répression des pratiques
anticoncurrentielles dans la zone CEMAC, JP n°70, avril-mai-juin
2007, p. 111. A notre sens, par souci de conciliation, les amendes
communautaires peuvent être appréhendées comme des
sanctions administratives pénales.
37
B. Le problème de l'efficacité des mesures
de contrainte
Le recouvrement des amendes et astreintes
bénéficie des mêmes sûretés et
privilèges que celui des créances fiscales135.
Toutefois, on s'interroge quand même sur les facilités
d'exécution pour évoquer ici certains moyens de défense
automatique reconnus aux Etats. Ce doute se renforce encore plus lorsqu'on lit
dans le Traité révisé de la CEMAC que : «les
décisions qui comportent, à la charge des personnes autres que
les Etats, une obligation pécuniaire, forment titre exécutoire
»136. Qu'en est-il donc de celles qui interpellent les Etats ?
Cette question reprécise une inquiétude déjà
soulevée par une doctrine137 sur le caractère
politique du recours contre le refus d'exécution par un Etat
concerné des exhortations du CRC.
L'article 30 de l'Acte uniforme OHADA portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d'exécution dispose à cet effet que : «
l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas
applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité
d'exécution ». L'Etat est la personne morale par excellence
jouissant d'une telle immunité.
En outre, en prévoyant que les directives ou
décisions appropriées peuvent être adressées aux
Etats membres pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux
prohibitions édictées à l'article 8 et leur demander d'y
mettre fin, le législateur CEMAC ne fournit pas les garanties effectives
en vue de leur exécution. La venue d'une jurisprudence communautaire en
la matière pourra résoudre un certain nombre de
problème.
En attendant les « textes
spécifiques138 », on pourrait s'appuyer sur l'article 51
du Traité CEMAC qui institue un prélèvement automatique
sur le compte ouvert
135 Article 31 paragraphe 2 du Règlement n°1/99.
136 Article 45 alinéa 1 du Traité.
137 NJEUFACK TEMGWA (R.), Le renouveau du cadre
institutionnel-décisionnel au sein de la CEMAC, vers une
communauté plus dynamique ?, Annales de la FSJP, Université
de Dschang, T.8, 2004, p.170.
138 L'article 4 paragraphe 2 du Traité
révisé de la CEMAC apporte sans toute fois régler le
problème, une piste de solution en prévoyant que : « En cas
de manquement par un Etat aux obligations qui lui incombent en vertu du droit
communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue de prononcer
les sanctions dont le régime sera défini par des textes
spécifiques ».
38
par chaque trésor national auprès de la BEAC
lorsque l'Etat n'a pas effectué les versements auxquels il est
astreint.
A notre avis, les entreprises publiques ou privées
auxquelles l'Etat accorde des droits exclusifs, intervenant dans le
marché et se livrant à des activités commerciales, doivent
être traitées comme les autres et répondre de leurs actes
sans que l'on invoque le couvert des Etats. C'est en cas de défaillance
qu'on pourrait recourir à ces derniers, tenus d'apporter leurs concours
à la réalisation des objectifs de l'Union Economique en adoptant
toutes mesures internes propres à assurer l'exécution de leurs
obligations. Car en réalité, la libre concurrence permet
d'appréhender l'impact d'une décision publique sur le
marché des opérateurs économiques, dont elle ne doit ni
entraver le bon fonctionnement ni placer l'un des opérateurs en
situation de développer une pratique
anticoncurrentielle139.
Aussi, doivent-ils s'abstenir de toute mesure susceptible de
faire obstacle à l'application de la Convention de l'UEAC et des actes
juridiques pris pour sa mise en
oeuvre140.
*
* *
Le législateur CEMAC interdit donc aux monopoles des
pratiques abusives qu'il a fallu apprécier sur le plan communautaire
avant de voir que la répression ne se définit pas aisément
comme en matière de pratiques commerciales prohibées. Les
difficultés seront en partie réglées s'il était
institué un régime de répression propre aux monopoles
légaux dont l'état actuel des choses confirme que c'est « un
domaine
139 NICINSKI (S.), LOMBARD (M.), GLASER (E.),
Actualité du droit de la concurrence et de la
régulation, ADJA, L'Actualité juridique, Dalloz,
n°12/2011, 4 avril 2011, p. 649.
140 Idée tirée de l'article 10 de la Convention de
l'UEAC.
soustrait à tout contrôle efficace
»141. La jurisprudence communautaire ne s'est malheureusement
pas encore prononcée sur la question, ce qui laisse encore planer des
doutes. Une autre solution existe néanmoins et pourrait constituer,
selon le cas, une arme efficace : c'est la théorie des «
facilités essentielles ».
39
141 MBOGNING KENFACK (J.S.), op. cit. p.88.
CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA
THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES
|
40
Les « facilités essentielles »
désignent des actifs qui sont généralement détenus
par des monopoleurs qui dominent donc des marchés en amont et qui sont
essentiels pour accéder à un marché aval, actuel ou
potentiel (produit nouveau)142. C'est la circonstance
particulière d'un monopoleur, auteur d'un blocus, invoquant un droit de
propriété sur des équipements essentiels. Tel est le cas
des ports (monopole du gestionnaire sur le marché amont des
infrastructures, accès indispensable sur le marché aval du
transport143), des aéroports144 et même des
infrastructures ferroviaires145. La théorie des «
facilités essentielles » trouve son origine en droit
américain de l'antitrust, plus précisément dans la
décision United States v. Terminal Railroad de 1912.
La « Terminal Railroad Association » avait été
assignée par les Etats Unis parce que, jouissant d'un monopole par le
contrôle des ponts ferroviaires, elle en refusait l'accès aux
sociétés ferroviaires rivales. La Cour suprême a par
conséquent, considéré que les ponts ferroviaires
étaient des facilités devant être mises à la
disposition des concurrents qui en font la demande à tarifs raisonnables
et non discriminatoires. Cette théorie a été reçue
par la jurisprudence européenne à propos d'une affaire Oscar
Bronner qui est aujourd'hui la décision de référence
d'application de la théorie ou, à tout le moins, celle qui pose
les critères d'application générale plus
stables146. Son
142 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., p. 377.
143 V. Déc. 21 décembre 1993, Port de Robby
et Sea Containers : JOCE n°55, 25 février 1995 ; Déc.
16 mai 1995, Irish Continental Group, Rapport 1995, p. 126.
144 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroports de
Paris, Aff. T. 128/98 : Rec. CJCE 2000, II, p. 3939.
145 V. Déc. 23 août 2003, GVS-FS, JOUE
n° L. 11, 16 janvier 2004. Au Cameroun, en vertu du Décret
n°99/058 du 19 mars 1999 portant approbation de la Convention de
concession de l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la
Société CAMRAIL, les rails sont utilisés exclusivement par
la dite société, constituant ainsi des installations essentielles
pour l'accès à un compétiteur dans le transport
ferroviaire.
146 EVRARD S-J, Essential Facilities in the EU : Bronner
and Beyond, Colombia Journal of European Law, Vol.10, 2004 cité par
THOMAS SERTILLANGES (J-B), La théorie des facilités
essentielles en droit de la
41
application a été par la suite consacrée
dans la célèbre affaire Magill rendue en 1995, dans
laquelle le juge communautaire a eu à poser qu'un élément
autre qu'une infrastructure physique tel qu'un droit de propriété
intellectuelle puisse être considéré comme une
infrastructure essentielle147.
Cette théorie repose sur l'idée selon laquelle
lorsque l'accès à une ressource est essentiel pour pouvoir
opérer sur le marché dérivé, le propriétaire
peut, dans certaines circonstances, être obligé de garantir
l'usage à d'autres opérateurs148. Certaines conditions
doivent donc être cumulativement observées pour que le refus
d'accès aux installations ou infrastructures détenues par
l'entreprise monopolistique soit qualifié d'abusif en droit de la
concurrence (section 1). Ces conditions réunies permettront de mettre en
oeuvre cette théorie dont l'efficacité doit être
démontrée (section 2).
SECTION 1 : LE CONTENU DE LA THÉORIE DES
FACILITÉS ESSENTIELLES
Dès l'apparition de la théorie, la jurisprudence
européenne en a fait sienne. Nombre de décisions149
ont été rendues en ce sens avec des critères
évoluant au vu de chaque espèce. Si les unes concernent les
détenteurs des droits de propriété intellectuelle, les
autres, pour la plupart, s'appliquent aux monopoles légaux disposant
d'une ressource stratégique. Celle-ci étant la clé
d'accès à un marché secondaire. Toutes ces
décisions indiquent des conditions d'application de la théorie.
Cependant,
propriété intellectuelle, approche et
perspectives à la lumière de l'affaire Microsoft,
Mémoire de Master, Université Paris- Ouest, Nanterre la
Défense, Octobre 2008, p.16.
147 CJCE, 6 avril1995, RTE et ITV C/ Commission (Magill TV
guide), Aff. C. 241 et 242/91 : Rec. CJCE 1995, I, p.2265 concernant la
détention des droit d'auteur sur les grilles de programmes TV.
148 Par exemple au Cameroun, la CAMTEL, qui est le fournisseur
local provisoire d'accès au segment spatial, est tenu en principe de
partager ce dernier avec d'autres opérateurs qui souhaitent exercer dans
la télécommunication.
149 CJCE, affaire Magill précitée ;
CJCE, 29 avril 2004, IMS Health c/ Commission, Aff. C. 418/01, Rec. I,
5039 ; TPICE, 16 décembre 1999, Micro Leader Business c/ Commission
: Rec. CJCE, II, p. 3989 ; Déc. 14 janvier 1998, Flughafen
Frankfurt am Main, JOCE n° L. 72, 11mars 1998 ; CJCE, 5 octobre
1998, Volvo c/ Veng, Aff. 238/87 : Rec. CJCE 1998, I, p. 6211.
42
la synthèse de toutes ces exigences se retrouve
formulée dans l'arrêt MCI v. AT&T de 1983 de la cour
d'appel du 7e circuit aux Etats Unis. A l'analyse, on distingue les
conditions relatives au titulaire de la facilité (paragraphe 1) et
celles liées à la nature de la ressource proprement dite
(paragraphe 2).
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