Paragraphe 2 : L'intérêt de l'octroi des
droits exclusifs
La place de la propriété intellectuelle dans le
droit de la concurrence se dévoile par son utilité
économique dans la sous-région. En effet, en toutes les
matières, la création nouvelle, technologique ou commerciale,
occupe une place de choix. Ces domaines où l'on crée des valeurs
immatérielles, qui comptent parmi les secteurs d'activités les
plus rentables dans les économies modernes, nécessitent une
attention particulière. Si la propriété intellectuelle
permet de stimuler la concurrence (A), la notion de monopole légal qui
en découle, devrait être réappréciée (B) pour
dissiper les doutes.
A. La propriété intellectuelle comme
stimulateur de la concurrence
Il s'agit d'examiner le « rôle concurrentiel »
de la propriété intellectuelle. A priori, on est
tenté de considérer le monopole légal
conféré par ces droits comme des instruments de restriction par
nature, à la libre concurrence. Les droits de propriété
intellectuelle ont pour terrain unique le commerce et l'industrie, pour but le
ralliement et l'attachement d'une clientèle et pour objet un droit
exclusif d'exploitation. Faisant suite à ces considérations, une
doctrine253 posa qu'en réalité, ils constituent «
un
253 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété
industrielle, op. cit. p. 28.
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aiguillon » au développement de la concurrence.
D'une part, ils exhortent et récompensent la recherche et la
création et permettent au rival de différencier ses produits ou
services auprès de la clientèle. Cette situation lui permettra de
développer un fonds de commerce sans se soucier des perturbations
économiques qu'admettraient les confusions intentionnelles ou
involontairement créées.
D'autre part, l'existence d'un produit ou d'une technique
nouvelle protégée sur le marché commun incitera la
concurrence à rechercher et développer des techniques plus
compétitives et des produits plus attractifs en vue de stimuler le
progrès. A titre particulier, les signes distinctifs créent
pareillement un élément d'estimation et de choix, permettant
ainsi au consommateur de distinguer les meilleures entreprises selon la
qualité et le prix.
La marque est un aiguillon dans la concurrence254.
En effet, il est important de reconnaitre que les droits intellectuels
représentent des moteurs pour la survie de la concurrence et de la
croissance économique à moyen ou à long terme. Un
marché sans incitation à l'innovation technique, ni
système de différenciation des protagonistes, est en
réalité un marché non compétitif255.
Plus encore, à analyse d'un rapport de l'OCDE256, il ressort
que l'octroi d'un brevet n'implique en soi une puissance de marché ou
une position de force. Il y a pratiquement toujours des techniques
substituables à celles qui couvrent les droits de
propriété industrielle. D'une manière
générale, il faut admettre avec l'OCDE, que «
l'idée bien ancrée selon laquelle il y a conflit entre le
droit de la propriété intellectuelle et la politique de
concurrence doit être remise en question. Les droits de
propriété intellectuelle comme les droits afférents
à d'autres formes de propriété, sont indispensables au
fonctionnement d'une économie de marché concurrentielle (...) il
est à présent préférable de permettre à un
innovateur de s'approprier la rente inhérente à l'innovation,
puisque cela apparait comme la garantie la plus sûre pour assurer la
concurrence et la croissance à long terme ».
254 De MELLO (X.), « Marques et fonctionnement
concurrentiel des marchés », Gaz. Pal., 1992, 16 et 17 octobre
1992, doct., p.24.
255 C'est typiquement le défaut des systèmes de
corporation.
256 OCDE, « Politique de concurrence et
propriété intellectuelle », Paris 1989, pp. 119-121.
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C'est suivant cette logique qu'une doctrine257
soulève intelligemment l'idée que « la perspective du droit
exclusif d'exploiter stimule la recherche appliquée », celle-ci
largement soutenue par les interventions des pouvoirs publics. N'ajouta-elle
pas que si la propriété industrielle confère un droit
exclusif d'exploiter, il s'agit en fait de conférer à son
titulaire le pouvoir d'exploiter à l'abri de toute concurrence. Il
revient donc à ce dernier d'organiser la jouissance de ce droit
exclusif. Au minimum, l'exploitant peut escompter ses bénéfices
grâce au monopole, pouvoir fixer ses prix à un niveau tel qu'il
rembourse les frais de recherche antérieurs ; et même, la
recherche devant être continue, il s'appliquera à financer la
recherche postérieure à l'application de son droit.
Eu égard à ce qui précède, on se
demande bien quel est le sens réel du monopole conféré par
un droit intellectuel.
B. La redéfinition de la notion de monopole
couvert par le droit de propriété intellectuelle
Dans la réappréciation de la notion de monopole
en matière de brevets, la doctrine258 pense que prise dans un
sens concurrentiel, elle doit être nuancée. Si l'on adopte une
conception étroite du marché, le produit ou le moyen
breveté satisfait à un besoin et ne trouve pas de
véritable substitut dans la concurrence, puisqu'il assure un
résultat spécifique d'une façon particulière. La
communauté a intérêt à ce que cette technique soit
d'accès et d'exploitation ouverts autant que possible, en même
temps qu'elle a intérêt à encourager la recherche. Ce qui
explique l'idée que le droit de propriété intellectuelle
rétrocède un monopole légal qui restreint clairement la
concurrence, mais concorde avec l'encouragement du titulaire. La concurrence va
donc permettre à rechercher une alternative en vue d'atteindre un
résultat similaire, « un meilleur produit pour satisfaire un
même besoin ou un perfectionnement ». Le droit exclusif
d'exploiter supprime ou modifie la concurrence (notamment la
257 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la
libre concurrence en droit positif camerounais, Thèse de Master,
Université de Dschang, juin 2011, pp.42-43.
258 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété
industrielle, op. cit. p. 30.
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concurrence par les prix) ; mais il laisse subsister et il
renforce même, une autre forme de concurrence, la concurrence par
l'innovation259.
Bien plus, sachant tout de même que le droit exclusif
d'exploiter ne sacrifie pas l'intérêt de la
société260, les entreprises concurrentes du
monopoleur, trouvant une certaine voie barrée pour elles par l'existence
d'une création intellectuelle, si elles veulent soutenir victorieusement
la compétition, sont contraintes de rechercher le progrès dans
d'autres voies. Même dans le cas où n'existe pas encore de brevet
ou de signes distinctifs pour certains objets, l'industrie est obligée
de continuer à travailler à son développement, de
perfectionner les machines et les procédés utilisés, car
chacun doit craindre qu' un autre ne vienne le faire et monopoliser, pour une
période correspondante à la durée du brevet, de la marque
ou de dessin ou modèle dans le domaine d'activité
correspondant.
La puissance publique assure donc la protection des droits
intellectuels qui permettent aux innovateurs de disposer d'un monopole
temporaire sur leurs inventions. La délivrance d'un monopole
légal sur une durée déterminée et sur un produit
ciblé en échange de la publication des spécifications de
ce produit constitue l'instrument essentiel d'encouragement à
l'innovation.
On retient dès lors que certaines limitations aux
principes de libre circulation et, par identité de raisons, de libre
concurrence, sont admissibles dès lors qu'elles sont justifiées
par la préservation des droits de propriété intellectuelle
en faisant de l'innovation le « cheval de bataille ». Cette
préservation ne saurait être effective si elle n'était
complétée par un système de protection convenable.
259 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la libre
concurrence en droit positif camerounais, op. cit. p.
45.
260 Ibid,
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