Paragraphe 1 : L'analyse du régime de limitation
du législateur CEMAC
Il ressort clairement de l'article 8 du Règlement
n° 4/99 relatif aux pratiques étatiques que les entreprises en
situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles
régissant les pratiques anticoncurrentielles sous réserve des
limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de
sécurité et de santé publique (A). Toujours est-il que
pour être admises, elles doivent remplir certaines conditions (B).
176 L'article 9 de la Charte des investissements CEMAC admet
que les Etats accordent à l'investissement étranger le même
traitement qu'à l'investissement national, sauf motif d'ordre public, de
sécurité ou de santé publique.
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A. Les limitations non économiques
Ces différentes limitations, malgré leurs
objectifs consubstantiels, présentent toutefois chacune des
particularités.
1- L'ordre public
L'ordre public désigne une notion particulariste d'un
Etat ayant pour effet de rejeter toute règle qui entrainerait la
naissance d'une situation contraire aux principes fondamentaux de droit
national. L'ordre public dont il s'agit est celui qui est susceptible
d'être invoqué discrétionnairement par chaque Etat membre
pour la protection de ce qu'il estime être ses intérêts
essentiels ou ceux de sa population177. C'est une limite à la
liberté contractuelle comme à la libre concurrence. On peut
d'emblée se poser la question de savoir comment est ce qu'une entreprise
en situation de monopole peut échapper aux normes concurrentielles pour
des raisons d'ordre public ou de moralité publique ? Est ce que cela
implique pour autant qu'elle se livre à des activités non
marchandes ?
Pour répondre à cette question, il convient de
retenir d'abord que l'article 1 du Règlement n° 1/99 définit
l'entreprise comme toute personne physique ou morale du secteur public ou
privé, exerçant une activité à but lucratif. Par
application, on en déduit que ces activités du monopoleur
légal, considéré ici comme un opérateur
économique, sont des activités commerciales. Il est donc question
de démontrer qu'une activité commerciale peut échapper,
pour les raisons évoquées ci-dessus, à la concurrence.
L'ordre public justifiant le non conformisme aux règles
du marché est un problème national et varie d'un Etat à un
autre. Chacun définit ses principes d'intérêt
général et pour les respecter, décide de laisser
fonctionner certains monopoles. Il n'est pas nécessaire qu'une
réglementation soit assortie de sanctions pénales pour relever
la
177 DUTHEIL de la ROCHERE (J.), Droit communautaire
matériel, op. cit., p. 46.
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notion d'ordre public178. La
généralité du concept la rend finalement proche de celui
d'«intérêt public » dans la mesure où l'ordre
public désigne les institutions et les normes fondamentales qui sur tous
les plans gouvernent la vie d'une nation. Il n'est donc pas facile de vouloir
procéder à une qualification des activités qui entrent
dans ce cadre. Contextuellement, seule « l'utilité que
présente l'activité » et l'incapacité d'être
« assurée par des entreprises dans les conditions de marché
»179 permettrait aux autorités communautaires d'accorder
l'immunité ainsi prévue.
Très proche de l'ordre public, la moralité
publique sera une dérogation à la libre circulation des
marchandises par la prise en compte de la nécessité d'adapter les
règles commerciales aux valeurs intrinsèques partagées par
les peuples de la sous région.
La porosité des frontières des Etats membres a
donc poussé le législateur communautaire à ériger
la notion d'ordre public, qui semble plus générale et «
apparait quasiment toujours avec ses deux petites soeurs jumelles que sont la
sécurité et la santé publiques »180.
2- La sécurité et la santé
publiques
En ce qui concerne particulièrement les
préoccupations de sécurité et de santé, les Etats
peuvent être amenés à déroger aux règles
générales de l'Union économique et de la politique
commerciale commune afin de prendre des mesures de protection qui s'imposent.
Les domaines dans lesquels les entreprises monopolistiques peuvent
opérés sont variés : les produits
pharmaceutiques181, le monopole public de la production
nucléaire, les produits chimiques182, les boissons
alcoolisées et même les
178 CJCE, 13 mars 1984, Prantl, Aff. 16/83 : Rec.
1299.
179 GOLDMAN (B.), LYON -CAEN (A.) et VOGEL (L.), Droit
commercial européen, 3e éd., précis
Dalloz, 1994, n° 957.
180 POILLOT-PERUZZETTO (S.), « Ordre public et droit
communautaire », D, 1993, Chr. 180 : cité par NJEUFACK TEMGWA
(R.), Thèse précitée, p.116.
181 Le cas d'une réglementation nationale qui
réserve aux pharmacies un monopole pour la commercialisation des laits
transformés du premier âge : CJCE, 29 juin 1995, Commission c/
Grèce, Aff. 391/92 : Rec. I, 621.
182 CJCE, 27 juillet 1996, Brandsma, Aff. 293/94 : Rec.
I- 159.
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tabacs183. En l'absence des règles
harmonisées, les Etats membres de la communauté peuvent
décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la
santé publique et la manière de l'atteindre184.
La tâche paraîtrait moins ardue si le Conseil des
Ministres établit une liste exhaustive et régulièrement
mise à jour de maladies et d'incidents
sécuritaires185. Le cas contraire, cette situation serait
susceptible d'entraîner un abus de la part des autorités
nationales. Cependant, il est à noter que les mesures
d'intérêt général doivent respecter certaines
conditions.
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