Paragraphe 2 : Les effets du contrat forcé
Nous les apprécierons tant sur le plan du droit de la
concurrence (A) que sur le plan du droit de la consommation (B).
165 Cour d'appel de Paris, arrêt du 9 septembre 1997.
166 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit. p.442.
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A. Les effets sur le plan du droit de la concurrence
La théorie des facilités essentielles pourrait
être employée par les autorités de la concurrence comme un
outil visant à réduire le pouvoir de marché des
entreprises dominantes afin de favoriser les nouveaux entrants ou du moins , de
maintenir une frange concurrentielle sur le marché. A ce titre, elle
constitue l'un des outils permettant au juge de la concurrence de peser sur la
« libéralisation » d'un secteur faisant l'objet d'une
régulation sectorielle spécifique ou sur la «
préservation d'une structure de marché de concurrence effective
», notamment dans les secteurs de haute technologie
(télécommunications, information, transports) pour lesquels les
effets de réseaux jouent pleinement. Ce qui revient très
rapidement à marginaliser les firmes qui n'ont pas
développé le standard de marché167.
Ainsi, la théorie peut être
appréhendée comme un instrument de « régulation
asymétrique » s'inscrivant dans la logique d'obligations
spécifiques pesant sur l'entreprise monopolistique ou l' «
opérateur crucial » d'un marché donné, quant au fait
de ne pas remettre en cause par sa stratégie mitigée, la
structure concurrentielle du marché. La politique présente
à court terme un avantage considérable se fondant en grande
partie sur la volonté de protéger les compétiteurs du
monopoleur.
Sur le long terme, toujours en faveur de la concurrence, on
pourrait voir l'avantage de réserver l'usage à une entreprise en
position dominante de ses propres installations, développées pour
les besoins de son activité car cela inciterait ses potentiels
concurrents à investir dans les infrastructures aussi
efficaces168. Mais, il ne faut pas aller loin dans cette
réflexion, au motif que les conditions de reproduction pratiquement
impossible et d'utilisation non difficultueuse referont surface et justifieront
l'usage partagé de la ressource pour l'intensification de la
compétition marchande, et pourquoi pas le bonheur des consommateurs.
167 MARTY (F.) et PILLOT (J.), Le recours à la
théorie des facilités essentielles dans la pratique
décisionnelle des juridictions concurrentielles : Ambigüité
du droit et régulation de la concurrence, Séminaire SPOC-IAE
de Paris, 27 mars 2009, pp. 9-10. (Version électronique).
168 Ne perdons toutefois pas de vue qu'un recours excessif
à la théorie des infrastructures essentielles serait très
probablement de nature à décourager les entreprises dominantes
à investir dans des installations efficaces, sachant que, sur demande,
leurs concurrents pourraient en partager les bénéfices. V. les
conclusions de l'avocat général JACOBS précédent
l'arrêt Bronner, point 57.
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B. Les effets sur le plan du droit de la
consommation
Dans sa stratégie d' «assèchement » du
marché, le bénéficiaire du monopole légal,
exploitant exclusivement une facilité et par ricochet le marché
considéré, peut priver les consommateurs ou utilisateurs finals
d'une offre nouvelle, souvent techniquement plus avancée. Cette pratique
de confiscation et de stérilisation du progrès technique va
évidemment à l'encontre des intérêts des
consommateurs et du marché en général.
En effet, parmi les critères dégagés par
la jurisprudence pour caractériser l'abus de position monopolistique,
figure en bonne place la mise en oeuvre d'obstacle à l'apparition, d'un
nouveau produit pour lequel existe une demande actuelle ou potentielle des
consommateurs. En réalité, selon le cas, deux raisons solides
soutiennent le recours à la théorie étudiée : le
titulaire de la facilité ne peut plus satisfaire à la demande des
consommateurs ou bien le concurrent voudrait introduire sur le marché un
produit nouveau. C'est pourquoi la Cour européenne dans ses arrêts
Magill et IMS Health, reconnut que l'entreprise qui a
demandé la licence a l'intention d'offrir des produits ou des services
nouveaux que le titulaire du monopole légal n'offre pas et pour lesquels
il existe une demande potentielle de la part des
consommateurs169.
Pour sa part, la législation antitrust
américaine, à travers notamment l'article 2 du Sherman Act, dans
la lignée des arrêts Standard Oil, considère que tout
monopole est intrinsèquement néfaste pour le consommateur car il
ne laisse pas de place pour une offre alternative170.
169 Dans l'affaire Magill en particulier, il
s'agissait d'un guide reprenant les programmes télévisés
diffusée en Irlande.
170 HUGUENIN-VUILLEMIN (L-X), Le contrôle des
pratiques anticoncurrentielles au sein des marchés de l'Union
Européenne, des Etats Unis et du Canada : Perspectives d'un droit
antitrust international, op. cit., p.53.
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*
* *
Si l'atteinte portée au droit de
propriété et à la liberté contractuelle par la
théorie des facilités essentielles fait indéniablement
l'objet d'un encadrement au travers des conditions limitatives fixées
par la jurisprudence, il n'empêche que cette possibilité existe
bel et bien, et qu'on ne se priva pas d'en faire usage. Faut-il s'en
réjouir ? Est-il vraiment bénéfique pour la concurrence de
contraindre ainsi une entreprise dominante à partager son bien au motif
que celui-ci revêt un caractère essentiel pour entrer sur un
marché déterminé ? La réalité
économique de l'Afrique centrale amène à penser que la
mise en oeuvre de cette théorie pourrait apporter un plus à son
économie quand bien même on est sans ignorer que bien des
entreprises monopolistiques disposent des équipements
stratégiques dont l'exploitation par d'autres opérateurs serait
bénéfique.
Tout étant question de fait, il s'agira, pour chaque
cas d'espèces, de mettre en balance les bienfaits d'une amplification de
la concurrence à court terme avec le risque d'une diminution de celle-ci
à long terme.
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