SECTION 2 : L'EFFICACITÉ DE L'APPLICATION DE LA
THÉORIE
DES FACILITÉS ESSENTIELLES
Le refus illégitime d'une entreprise en situation de
monopole peut avoir pour conséquence de l'obliger à contracter
et, particulièrement, de consentir des licences relatives à son
droit. C'est donc une entorse considérable aux principes du droit des
contrats, et l'on comprend pourquoi le droit communautaire s'attache à
limiter cette obligation au cas d'abus injustifié empêchant
l'apparition d'un produit nouveau sur le marché162. Il
convient donc d'apporter des précisions et les contours du contrat
forcé (paragraphe 1). Cette atteinte systématique à la
liberté commerciale et au droit de propriété de
l'entreprise reste tout de même réhabilitée par les
intérêts du marché qui entre en droite ligne avec les
effets du contrat forcé (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La notion de contrat forcé
Encore appelé licence obligatoire163, le
contrat forcé n'est accordé par les autorités
communautaires que dans des cas exceptionnels. Les modalités de cession
méritent d'être explicitées à partir des exigences
de proportionnalité (A) et de rémunération (B).
A. Les exigences de proportionnalité
Il peut donc arriver que, dans des circonstances
exceptionnelles, le titulaire de l'équipement se doit de consentir des
licences à des tiers. Les conditions de ce contrat
162 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., n° 664.
163 Critère appliqué aux droits de
propriété intellectuelle.
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devraient impérativement traduire le principe de
proportionnalité. La licence ne doit porter que sur ce qui est
nécessaire pour mettre un terme à l'abus c'est-à-dire
viser le marché dérivé et le produit nouveau en question.
Aussi, la durée de la licence doit permettre un accès efficace et
non temporaire sur le dit marché.
Le contrat forcé doit également revêtir un
minimum de respect de l'éthique commerciale : on ne saurait autoriser un
compétiteur qui viendrait exploiter ou occuper considérablement
la ressource au point de vouloir soustraire le titulaire de l'usage de
l'infrastructure visée. Cet accaparement doit normalement être
évité et un contrôle rigoureux s'impose. Il serait donc
intéressant de consolider les droits désormais acquis du monopole
légal en fixant un seuil d'utilisation opposable au concurrent. Loin de
constituer un refus, ce sera une manière de permettre l'accès au
marché de l'entreprise postulante en lui accordant une part et une marge
de manoeuvre raisonnables.
Dans tous les cas, les conditions du contrat obligatoire
doivent être proportionnelles à l'objectif concurrentiel. Il ne
faut pas que l'accès se traduise par des désincitations à
l'investissement plus élevées pour l'entreprise monopolistique
que les nouvelles incitations à investir dans de nouveaux
développements et fonctionnalités créés pour
l'entreprise bénéficiant de l'accès. La balance des
incitations, déterminante pour préserver les
intérêts de long terme du consommateur, va poser l'épineux
problème de la redevance.
B. La rémunération de la
licence
Le prix doit être équitable et raisonnable car il
n'a jamais été question d'accorder aux concurrents l'accès
gratuit à une facilité essentielle. Il doit être
établi sur une base commerciale normale, en tenant compte, le cas
échéant, des efforts des licenciés pour le maintien ou
pour le développement de la technologie en cause164. En
principe, toutes les parties devraient tirer profit de la licence ; on peut
toujours cependant craindre que le monopoleur, obligé de consentir une
licence, exige des redevances si élevées que les licenciés
ne puissent être de réels concurrents, et qu'ils
164 CJCE, 29 avril 2004, IMS Health préc.
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soient en fin de compte contraints de vendre leurs produits ou
services plus chers. Il y aura un effet de « ciseau » ou «
squeeze », constitutive d'abus.
»165.
Relativement à ce sujet, la jurisprudence a quand
même eu à confirmer le principe selon lequel « lorsque
l'exploitant monopolistique d'une infrastructure essentielle est en même
temps le concurrent potentiel d'une entreprise offrant un service exigeant le
recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou
fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en
abusant de sa position dominante ou de la situation de dépendance
économique dans laquelle se trouve son concurrent à son
égard, en établissant un prix d'accès à cette
facilité injustifié, non proportionné à la nature
et à l'importance des services demandés, non transparent et
orienté vers les coûts encourus relevant des critères
objectifs
La licence obligée demeure une licence qui doit
être accordée aux conditions de marché. Son prix doit
être orienté vers les coûts du titulaire de l'installation
essentielle. L' « orientation vers les coûts » prive ce
titulaire de la marge commerciale potentielle et ne peut être retenue que
sur les marchés récemment ouverts à la concurrence, sur
lesquels les opérateurs historiques sont encore dominants et
détiennent les infrastructures essentielles et lorsque la concurrence
peine encore à s'affirmer166.
Le contrat forcé ainsi analysé démontre
de l'efficacité de l'application de la théorie. Les effets nous
en diront plus.
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