La distinction pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun( Télécharger le fichier original )par NENEO KALDAYA Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies option droit public interne 2008 |
PARAGRAPHE II L'INSTITUTION D'UNE GARANTIE CONSTITUTIONNELLENOUVELLE AU CAMEROUNLe constituant camerounais de 1996 a prévu des garde-fous contre la violation, mieux la protection de la constitution. La garantie de la constitution, norme fondatrice de l'Etat, est un gage pour la sauvegarde de la stabilité constitutionnelle (A) dont la réalité en acte est la création du conseil constitutionnel par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 (B). A- Le penchant pour la sauvegarde de la stabilité constitutionnelle au Cameroun E. ZOLLER, dans son analyse sur la constitution des Etats-Unis d'Amérique a fait constater que « les premiers constituants américains déployèrent une grande imagination pour mettre leurs dispositions constitutionnelles à l'abri des révisions législatives intempestives »244(*). Le souci de la stabilité est déjà présent en doctrine camerounaise. Le professeur JOSEPH OWONA en a ainsi fait allusion en précisant : « ...la reconnaissance de droit de révision à tout prix de la constitution peut donner lieu à une instabilité préjudiciable à la bonne marche de l'Etat »245(*).Cette stabilité est préservée par la réglementation de la procédure de révision ou amendement constitutionnel. Il consiste ici en un encadrement juridique par le constituant afin d'éviter des manipulations capricieuses des pouvoirs constitués. Les constitutions camerounaises sont claires en ce domaine lorsqu'elles précisent dans leur ensemble que l'initiative de la révision incombe au président de la République ou au parlement (1) et ceci sous la vigilance du titulaire de la souveraineté (2). 1- L'exigence d'effectivité des textes constitutionnels par le constituant camerounais Les aménagements apportés à la constitution doivent se faire dans le strict respect des dispositions constitutionnelles. Le travail du pouvoir constituant doit être animé donc d'une certaine imagination, synonyme de perspective avenir à donner et de la sauvegarde des acquis institutionnels. Ce souci de continuité est palpable dans l'analyse de LUC SINDJOUN sur la procédure constituante du 18 janvier 1996 en ces termes : « Conformément à la constitution du 2 juin 1972, on peut utiliser la procédure de révision pour revoir du fond en comble la constitution à condition de ne pas remettre en cause la forme républicaine de l'Etat et l'intégrité territoriale »246(*). Ceci témoigne de la porosité de la frontière entre l'élaboration et la révision d'une constitution. Cependant, cela n'empêche que la révision porte la marque du projet car pour le même auteur, « La dynamique du jeu politique a fait de la modification de la constitution un élément de légitimation »247(*) . Les dérapages sont souvent mis en branle par l'autorité du contrôle. 2- Le titulaire de l'autorité du contrôle dans l'Etat L'autorité de contrôle se trouve être en principe le constituant lui-même qui peut le faire par l'intermédiation d'un constitué. Il s'agit d'un contrôle préétabli dont la mise en exécution se fait par le pouvoir constituant dérivé. Nous pouvons noter ici l'interdiction de modification portant atteinte à la forme républicaine et l'intégrité territoriale de l'Etat. En ce sens, le professeur JOSEPH OWONA constate que la limitation de droit de révision a pour objet de préserver l'Etat ou la forme du régime choisi.248(*) La constitution de 1996 est formelle sur la nécessité à faire observer ces dispositions lorsqu'elle martèle à son article 64 que : « Aucune procédure de révision ne peut être retenue si elle porte atteinte à la forme républicaine, à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'Etat et aux principes démocratiques qui régissent la République ». Il reste donc au conseil constitutionnel d'exercer le rôle qui est le sien. B- La création du conseil constitutionnel : originalité du constituant de 1996 Le professeur LEOPOLD DONFACK SOKENG souligne que le renforcement de la suprématie constitutionnelle ira en droite ligne avec l'érection du juge constitutionnel au rang d'arbitre suprême de l'activité politique au Cameroun.249(*) Le titre III de la constitution de 1996 est consacré au conseil constitutionnel. Il s'agit d'une institution juridictionnelle spéciale, chargée de préserver la primauté de la constitution grâce à la technique du contrôle de constitutionnalité des lois (1), mais une lecture juridique laisse planer un paradoxe sur sa nature juridique (2). 1- La nature juridique du conseil constitutionnel camerounais L'article 46 de la constitution de 1996 définit le conseil constitutionnel comme l'instance compétente en matière constitutionnelle au Cameroun. Le conseil constitutionnel, à l'image des cours européennes de justice, est un organe de justice constitutionnelle avec une compétence spéciale. Il s'agit donc d'une juridiction spéciale qui a pour objet de connaître des litiges liés à la constitution. Il participe ainsi de la séparation des pouvoirs, corollairement à l'ordre juridictionnel. Le conseil constitutionnel devient ainsi le juge du législatif avec pour attribution principale de connaître de différends liés à la législation dans l'Etat, institué par le pouvoir constituant ; il s'agit d'un pouvoir constitué. Cependant, il convient de noter le peu d'intérêt à lui accorder pour cause d'un attachement excessif avec la politique.250(*) C'est d'ailleurs dans ce sens que MANDENG DIANE s'inquiète déjà en criant à «une dépolitisation du rôle du juge » au Cameroun.251(*) 2- Le paradoxe né de la nature même de l'institution E. ZOLLER a fait observer ce paradoxe qui semble plus convaincant au plan de droit. En effet affirme t-elle : « Dès lors qu'une révision est l'oeuvre du pouvoir constituant et dès lors que celui-ci est par hypothèse et par définition souverain, la possibilité qu'une telle révision puisse être contrôlée, soulève une contradiction »252(*).Comment se questionne t-elle qu'un souverain puisse être contrôlé ? A son sens, un pouvoir contrôlé ne peut être souverain. Il s'agit ici d'une absurdité juridique qu'elle fait constater en ce sens : « Il est juridiquement absurde qu'un pouvoir constitué puisse contrôler le pouvoir constituant »253(*). Le droit positif camerounais n'est pas à l'abri de ce paradoxe ou contradiction. Cela va nous pousser à poser le problème de l'efficacité d'un tel contrôle, voir de la viabilité de cette institution. CLAUDE MOMO s'inquiétait déjà de cette efficacité en soulignant qu' « au Cameroun, en l'absence d'une véritable juridiction constitutionnelle, la vitalité de la constitution demeure un mystère »254(*). Le professeur LEOPOLD DONFACK SOKENG se veut plus explicite lorsqu'il éponse sur les limites du système de contrôle de constitutionnalité institué par la loi de 1996 en rapport avec la distribution de droit de saisine de juridiction constitutionnelle, mais surtout l'émiettement et le risque corrélatif du pouvoir judiciaire.255(*) La lente mise en place des institutions prévues par la constitution de 1996 est disant, pour ce qui est de l'incertitude d'une telle aventure juridique. Institution à n'en point douter aux ordres du pouvoir, notamment présidentiel, le conseil constitutionnel poserait de problème d'ordre pratique. La dénomination du « conseil » laisse entendre qu'il sera un exécutif bis. En effet, il s'agit d'un juge qui ne bénéficie d'aucune légitimité populaire comme semble le souligner le professeur M. ONDOA.256(*) La distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun semble être un imbroglio qui ne laisse aucune transparence dans la régulation des institutions étatiques. La lecture transversale des constitutions qu'a connues la société politique camerounaise laisse présager de doute sur une éventuelle séparation stricte comme voulu par le constituant originaire. Au plan donc de la théorie de droit, une constitution qui souffre d'un déficit d'application n'est plus une constitution et par conséquent tombe dans la désuétude.257(*) La lente marche vers un Etat confirmé de droit et démocratique 258(*)donne à la constitution une nature formelle, c'est-à-dire une constitution de façade qui n'a aucune portée réelle. L'expression de la souveraineté est ainsi mise à mal à cause des multiples perversités des pouvoirs constitués qui s'arrogent de tous les attributs du pouvoir constituant pour les exercer à dessein.259(*) Par contre, l'expérience a montré que la pratique de la distinction entre les institutions étatiques et particulièrement , entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués a une portée certaine dans l'amorce d'une phase décisive de l'édification d'un Etat de droit , voire une société politique plus démocratique et moderne .260(*) * 244 E. Zoller, droit constitutionnel, précité, page 78. * 245 J. Owona, Droit constitutionnel et régime politiques africains, opcit, page 20. * 246 Luc Sindjoun, « L'imagination constitutionnelle de la nation », in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, FFE, 1996, page 81. * 247 Idem, page 82. * 248 J. Owona, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, ouvrage précité, page 21. * 249 L. D. Sokeng, « Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui », précité, page 403. * 250 Clade Momo, « Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun », op.cit., page 44, exprimant ainsi le triomphe de l'ordonnancement politique sur l'ordonnancement juridique. * 251 Mandeng Diane, « Le contrôle de régularité des élections législatives au Cameroun », Mémoire de DEA 2003-2004, FSJP -Université de Douala, page 69. * 252 E. Zoller, Droit constitutionnel, ouvrage précitée, page 88. * 253 Idem, pages 88-89. * 254 Claude Momo, « Quelques aspects constitutionnels du droit électoral issu de la constitution rénovée au Cameroun », article précité, page 144. * 255 L. D. Sokeng, « Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui », précité, page 399. * 256 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », opcit, page 33-34. * 257 Confer J. Owona, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, ouvrage précité, page 20. * 258 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation, du régime politique camerounais », opcit, page 39. * 259 L'on constate une certaine stratégie de survivance de la suprématie présidentielle malgré le changement politique amorcé. * 260 Vision prospective de la société politique camerounaise de droit et de démocratie. |
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