La distinction pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun( Télécharger le fichier original )par NENEO KALDAYA Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies option droit public interne 2008 |
SECTION II : LES CRITERES MATERIELS DE LA DISTINCTION ENTRE POUVOIRCONSTITUANT ET POUVOIRS CONSTITUES AU CAMEROUNLa suprématie de la constitution tient à ce que l'ordre juridique tout entier repose sur la constitution abonde BERNARD MOMO.85(*)Autrement dit, la constitution tire son autorité dans ses propres dispositions. En tant que norme fondamentale, la constitution tient sa démarcation de la délimitation des différents champs de compétence du pouvoir constituant (PARAGRAPHE I), pendant que les autres matières relèvent de la loi ordinaire, champs par excellence du pouvoir constitué (PARAGRAPHE II). PARAGRAPHE I : LA DELIMITATION DES DIFFERENTS CHAMPS DECOMPETENCE DU POUVOIR CONSTITUANTLa place particulière réservée à la constitution en tant que norme fondant et organisant l'Etat tout entier s'explique par l'importance de son domaine de compétence. En effet, les matières fondamentales sont du domaine de la loi constitutionnelle (A) dont le contenu est clairement défini dans la constitution (B). A- Les matières fondamentales sont du domaine de la constitution L'édification de l'Etat se fonde sur la définition des normes jugées fondamentales pour la bonne marche des institutions républicaines. Il s'agit par ailleurs des institutions politiques jugées intangibles par endroits, et dont la modification des textes les organisant obéit à une exigence de la rigidité constitutionnelle. Les constitutions camerounaises obéissent à cette logique du cadrage constitutionnel empêchant ainsi toute ingérence législative (1) et ceci en considération de la suprématie des dispositions constitutionnelles (2). 1-Les limites constitutionnelles du pouvoir constituant Certaines matières sont purement et simplement interdites d'ingérence notamment par le législateur ordinaire, car décidé comme tel par le pouvoir constituant originaire. Il s'agit ici de relever l'importance d'une telle interdiction qui est pour la plupart liée à des dispositions fondant et organisant l'Etat. Allant dans le même sens, JACQUES CHEVALIER souligne que « la constitution se présente donc comme le texte juridique suprême, sur lequel s'appuie l'ordre juridique tout entier et qui constitue le fondement de la validité de l'ensemble des autres normes ; la constitution fixe tout à la fois l'organisation des pouvoirs publics (règles organiques) et les normes fondamentales auxquelles ils sont tenus de se conformer (règles matérielles) »86(*). Le pouvoir constituant a donc une mission spécifique consistant à orienter les actes des pouvoirs constitués. Ainsi, interdiction est faite à ces derniers de modifier certains aspects de la constitution en vertu de son caractère intangible. D'importantes dispositions des constitutions camerounaises87(*)sont plus explicites sur la forme républicaine et aux principes démocratiques. Il s'agit ici des principes jugés comme acquis et qui ne doivent en principe être l'objet d'aucune modification autre que par la main du pouvoir constituant qui n'est rien d'autre que le peuple. Néanmoins, la constitution de 1961 constitue au sens des observateurs avertis un cas particulier, car, partant sur la base de la révision, l'on en est arrivé à une nouvelle. C'est ce qui explique l'affirmation du Professeur MAURICE KAMTO lorsqu'il pense que ce qu'on appelle couramment «La constitution de la République Fédérale du Cameroun se désigne techniquement la loi de la révision constitutionnelle, qui cependant, d'un point de vue matériel, établit une constitution totalement nouvelle »88(*). Le même exploit s'est reproduit dans la procédure constitutionnelle de 1996. La sauvegarde de la ligne de démarcation entre le législateur et le constituant est considérée comme la garantie de la suprématie des dispositions constitutionnelles. 2-La sacralisation des dispositions constitutionnelles La suprématie au sens du terme est selon GERARD CORNU « la prescription énoncée dans un texte, règles résultant expressément soit de la loi (dispositions légales), soit d'un règlement (dispositions réglementaires) »89(*). La disposition constitutionnelle constitue donc l'ensemble des normes fondant la société politique. C'est dans ce sens que le professeur JOSEPH OWONA soutenait que « la suprématie des constitutions africaines ne peut avoir de sens que si elle est garantie par des mécanismes efficaces »90(*). Nous pensons ici aux différents textes constitutionnels camerounais depuis son accession à la souveraineté internationale. Selon la théorie de HANSKELSEN, les dispositions constitutionnelles constituent un ensemble d'éléments coordonnés et hiérarchisés qui sont un système de droit ou « ordonnancement juridique » dans lequel les normes supérieures engendrent directement celles inférieures. La hiérarchie des normes juridiques repose sur une notion formelle de la norme. C'est ainsi que la constitution est une norme qui est établie par l'autorité compétente à cette fin, c'est-à-dire par le souverain (peuple, nation ou sa représentation, etc.)91(*). Les dispositions constitutionnelles les plus importantes se trouvent ainsi protégées par un dispositif juridique défini par le constituant. B- Le contenu des matières fondamentales relevant de la compétence du pouvoir constituant Le droit positif camerounais a consacré un certain nombre de matières qui révèlent de caractères spécifiques. Elles puisent leurs sources dans des normes universellement reconnues en vue de la consolidation et de la préservation de certaines valeurs devenues traditionnelles. Elles ont trait à la définition de la forme républicaine de l'Etat (1) et aux droits humains (2). 1-La définition de la forme républicaine de l'Etat porte la marque du constituant L'article 1er de la constitution de 1960 dispose que « Le Cameroun est une république unie et indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cette disposition est vraiment le ciment fondateur de l'Etat du Cameroun. Elle trouve sa protection à l'article 50 du même texte, l'entourant de tous les interdits, lesquels sont le signe de l'importance particulière à accorder à la norme constitutionnelle. Le texte de 1961 est moins explicite à cet effet à cause du contexte du moment.92(*)La constitution de 1972 quant à elle réitère le sacro-saint principe d'indivisibilité et d'unité de la République à son article 1er alinéa 3. Cependant, cela fut perçu comme une sorte de supercherie présidentielle dans la direction de cette révolution dite pacifique du 20 mai 1972. La constitution révisée du 18 janvier 1996 se veut plus explicite à son article 1er alinéa 2 lorsqu'elle dispose que « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé : elle est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le pouvoir constituant camerounais a eu le mérite de préserver cette disposition qui définit la nature juridique de l'Etat camerounais. Une autre particularité du pouvoir constituant camerounais demeure réelle, c'est la préoccupation pour les droits humains. 2-La consécration des normes relatives aux droits de l'homme L'universalisation de certaines valeurs communes a permis de sceller l'indissociable rapport qui existe entre le pouvoir constituant et l'ordre public international.93(*) Pour NARCISSE MOUELLE KOMBI, « L'ordre juridique interne est le support de l'ordre juridique international [...] garant de l'efficacité [...] et de l'effectivité »94(*). Les normes dites de « jus cogens » sont d'office intégrées dans l'ordre juridique interne des Etats à cause de son caractère impératif. C'est ce qui explique la préoccupation du Professeur G. CONAC selon laquelle « Les constitutions ne sont pas seulement des techniques de l'autorité, elles sont aussi des techniques de liberté »95(*). Ceci participe de la nature civilisée des sociétés politiques96(*) qui ont jugé de consacrer certaines normes comme indispensables à la vie humaine, car l'Etat n'étant plus politique exclusivement mais social en considération de la position du pouvoir constituant. Pour le professeur JOSEPH OWONA, « La plupart des constitutions africaines proclament un attachement aux droits et libertés fondamentales universellement reconnues dans des Etats de droit »97(*). Les préambules des constitutions camerounaises rappellent ce caractère particulier. C'est surtout la constitution du 18 janvier 1996 qui apporte une touche particulière en faisant du préambule « une partie intégrante de la constitution »98(*). Le préambule fait ainsi partie du bloc de constitutionnalité, autrement dit, il rend la protection des droits énoncée plus viable que par le passé. En somme, il convient de conclure que tout ce qui est fondamental relève de la compétence du pouvoir constituant en vertu de sa position primordiale dans l'ordre institutionnel dans l'Etat. Cependant, les autres détails reviennent à la loi, et donc au législateur, car impose la saisine du juge constitutionnel pour inconstitutionnalité le cas échéant. * 85 Bernard Momo, Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, cours polycopié, opcit, page 45. * 86 Jacques Chevalier, L'Etat, opcit, page 41. * 87 Ces dispositions sont présentes dans l'histoire constitutionnelle camerounaise : -article 50 de la constitution de 1960 ; -article 47 de la constitution de 1961 ; -article 37 de la constitution de 1972 ; -article 61 de la constitution de 1996. * 88 Maurice Kamto, Dynamique Constitutionnelle du Cameroun Indépendant, REVUE JURIDIQUE AFRICAIN, 1995, page 11. * 89 Gérard Cornu, Vocabulaire Juridique, précité, page305. * 90 J. Owona, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, ouvrage précité, page 231. * 91 Charles Debbasch, Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, 4è édition, ECONOMICA, 2001, page 92. * 92 Le contexte de 1961 est quelque peu ambigu à cause du tripatouillage des institutions du à la toute puissance du président de la République. * 93 N. M. Kombi, « La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996et le droit international », in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, FFE, 1996, page 126. * 94 Idem. * 95 Gérard Conac, « Les constitutions des Etats d'Afrique et leur effectivité », in Dynamique et finalités des droits africains, Paris, ECONOMICA, 1980, page 391 ; cité par ALAIN DIDIER OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédibles des droits fondamentaux », in La réforme constitutionnelle 1996 : aspects juridiques et politiques, FFE, 1996, page 320. * 96 Jérémy Sarkin, « L'écriture de la constitution sud-africaine de 1996 : approche formelle et matérielle », RFDC, PUF, n°44, 2000, page 766. Cette approche consacre les droits fondamentaux comme la pierre angulaire de la démocratie, ceci en réponse à l'horrible pratique de l'Apartheid ayant marqué le pays. * 97 J. Owona, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, ouvrage précité, page 225. * 98 Voir article 65 de la constitution du 18 janvier 1996. |
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