2.4 - Une réglementation méconnue ou
ignorée
A l'analyse des entretiens, il nous semble que l'entrée
du téléphone portable dans l'hôpital n'a jamais
occasionné de réflexivité par rapport au cadre
réglementaire dans lequel cette pratique s'inscrit. Certains parlent de
la règle d'interdiction au passé, comme si l'usage réel
s'était imposé et l'avait finalement emporté sur la
règle, qui reste pourtant en vigueur par l'intermédiaire de la
circulaire de 1995.
Par exemple lorsque nous avons posé la question de
savoir s'il existe une réglementation sur l'usage du portable, Samia
répond : « non, il en existait une comme quoi c'est interdit
mais je ne sais pas. »
Ou encore cette réponse de Flore : « Ben y'en
avait une, oui, mais est-ce qu'elle est toujours d'actualité ? Ça
? C'est une très bonne question. Ça m'interpelle parce que dans
les hôpitaux y'a euh, encore pas si longtemps que ça, enfin moi en
tout cas c'est
157 Op. Cit. Martin C. , 2007, p.115.
158 Op. Cit. Martin C. , 2007, pp.117-121.
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comme ça qu'on m'a appris "ouais, les portables
c'est hyper dangereux, les machines, les trucs euh... interdit de
téléphoner euh"... Aujourd'hui, c'est infernal hein... (L'air
désabusé). »
Laurent sait qu'une règle existe encore mais il semble
légitimer son usage par un discours technique disqualifiant la
circulaire, celle-ci n'ayant plus pour seul objectif que de maintenir un usage
modéré du téléphone dans les hôpitaux :
« Alors officiellement par rapport à des
risques euh, par rapport à des risques de déréglage du
matériel hospitalier, mais bon c'est pas vrai ça apparemment
parce que j'en avais "causé" avec un technicien biomédical qui
disait qu'avec les anciennes générations de GSM qui
émettaient énormément y'avait vraiment des ondes
importantes, par exemple, quand on approchait à côté
d'enceintes, on entendait euh, enfin y'avait le bruit du signal, alors que
maintenant, on entend plus du tout, il disait que maintenant c'est plus
vraiment vrai, mais par contre je pense que officieusement c'est pour essayer
de maintenir un espèce de truc dans l'hôpital pour pas qu'il y ait
des gens qui téléphonent dans tous les sens quoi. »
Cette circulaire de 1995, antérieure à la
diffusion généralisée du téléphone mobile
dans la population française ne parait plus intégrée par
les personnels et les cadres du système hospitalier. Les panneaux
rappelant la consigne de maintenir les téléphones mobiles en
position "arrêt" subsistent, mais personne ne semble s'attacher à
la faire respecter. Il en résulte un usage du téléphone
mobile basé sur le libre arbitre de chaque utilisateur.
Il est étonnant de s'apercevoir que malgré la
connaissance des risques scientifiques qui ont justifié cette
interdiction, les professionnels qui en ont conscience continuent malgré
tout à l'utiliser. Chloé qui exerce dans un bloc
opératoire avec un environnement électronique sensible reconnait
ainsi :
« Je pense que c'est euh... Enfin, moi on m'a
toujours dit que c'était par rapport aux "scopes" et compagnie, que les
ondes pouvaient interférer avec le matériel utilisé avec
le matériel au bloc, mais bon je n'en sais rien du tout en fait.
»
Elle fait le lien entre l'interdiction et le risque qui l'a
motivée, mais finalement dit ne pas avoir de certitude sur le sujet.
Est-ce sincère ou une stratégie de défense afin de ne pas
se priver de la présence du téléphone pendant le travail ?
Une manière de nier
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une réalité qui risque de la priver de son
« objet transitionnel » tel qu''il est identifié par Francis
Jauréguiberry159, si la règle est strictement
appliquée.
Par ailleurs il est également surprenant de constater
que les cadres de santé, censés faire respecter les règles
institutionnelles, ne semblent pas avoir recherché l'existence d'une
législation qui leur permette d'avoir un positionnement basé sur
un cadre légal pour faire cesser les usages dont ils se plaignent et
qu'ils jugent abusifs. Pour illustrer notre réflexion, nous relevons cet
étonnement de Marie :
« Ben moi déjà, j'ai été
étonnée qu'on puisse avoir aujourd'hui son portable dans sa
poche, parce que au début, c'était bien marqué partout
qu'on ne devait pas avoir son portable dans l'hôpital... Puis tout d'un
coup, on a le droit... Mais heu j'avoue que je ne suis pas allée plus
loin pour savoir pourquoi on avait le droit maintenant (rires.) »
Concernant le règlement intérieur de
l'établissement, les cadres, comme le personnel soignant ignorent s'il
existe un article relatif à l'usage du téléphone
portable.
En pratique il en résulte une
hétérogénéité des usages en fonction de la
relation que chaque utilisateur entretient habituellement avec l'objet mais qui
ne semble pas sans conséquences pour l'organisation du travail, la
qualité, la sécurité des soins et le management de
l'équipe par les cadres de santé.
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