Les soignants et leur téléphone portable à l'hôpital( Télécharger le fichier original )par Frédéric GRIPON Université de Caen Basse- Normandie - Master 1 des sciences de l'éducation option éducation, mutations, formation 2012 |
3 - LE PORTABLE ET LES SITUATIONS DE SOINS3.1 - Nouveau vecteur de germesDans les hôpitaux, la lutte contre les infections nosocomiales est une priorité de santé publique. « Une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cours ou à la suite d'une hospitalisation et si elle était absente à l'admission à l'hôpital. Ce critère est applicable à toute infection. Lorsque la situation précise à l'admission n'est pas connue, un délai d'au moins 48 heures après l'admission (ou un délai supérieur à la période d'incubation lorsque celle-ci est connue) est communément accepté pour distinguer une infection d'acquisition nosocomiale d'une infection communautaire. Toutefois, il est recommandé d'apprécier, dans chaque cas douteux, la plausibilité du lien causal entre hospitalisation et infection105. » On distingue plusieurs types d'infections nosocomiales qui relèvent de modes de transmission différents : y' les infections d'origine "endogène" : le malade s'infecte avec ses propres germes, à la faveur d'un acte invasif et/ou en raison d'une fragilité particulière ; y' les infections d'origine "exogène" : il peut s'agir soit d'infections croisées, transmises d'un malade à l'autre par les mains ou les instruments de travail du personnel médical ou paramédical, soit d'infections provoquées par les germes du personnel porteur, soit d'infections liées à la contamination de l'environnement hospitalier (eau, air, matériel, alimentation...). Afin de prévenir ces infections "exogènes", outre une procédure de lavage des mains parfaitement formatée, régulièrement évaluée et l'utilisation généralisée des solutions hydro-alcooliques (SHA), il est recommandé aux soignants de ne porter aucun effet personnel durant leur travail. Les bijoux sont par exemple proscrits, y compris les colliers et boucles d'oreilles qui pourtant ne risquent pas, à priori, d'entrer en contact avec la personne soignée. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur les risques de 105 Guide « 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des Infections Nosocomiales », Comité Technique National des Infections Nosocomiales (CTIN), 1999. 49 contamination que constitue le téléphone mobile porté par le soignant durant son activité de soin. Risque de contamination tant pour la personne soignée, que pour le soignant qui peut ensuite disséminer des germes hospitaliers dans son environnement personnel. Dans un sondage réalisé sur le site internet ActuSoin106 et diffusé dans le numéro 2 de la revue éponyme, 64 % des lecteurs interrogés "possèdent un téléphone de dernière génération" (de type Smartphone). Et 51 % d'entre eux déclarent qu'il "reste toujours dans la poche". Or, des chercheurs du département de microbiologie de l'université de Manchester ont mis en évidence que les portables sont un véritable nid à microbe, affirmant que « le mobile, manipulé par des mains pas toujours propres, comporte davantage de bactéries de peau que n'importe quel objet, à cause de la chaleur générée par le téléphone, parfaite pour leur développement. Ces bactéries sont gardées bien au chaud dans nos sacs et nos poches107. » Leurs observations sont corroborées par une étude alarmante révélée au cours de la dernière journée mondiale du lavage des mains à l'Ecole de Médecine Tropicale et d'Hygiène de Londres. Elle révèle qu'en Grande Bretagne, 92 % des téléphones portables sont couverts de bactéries et dans 16 % des cas de germes fécaux type E.Coli (Escherichia coli). L'étude a également montré qu'il existe un lien entre le niveau de contamination des mains et celui des téléphones. Elle a été réalisée dans 12 villes anglaises où ont été effectués au total 390 prélèvements108. Pour prendre la mesure du risque sanitaire induit par ce type de contamination, nous pouvons nous référer à un entretien avec le Pr Erick Denamur, professeur de biochimie à la Faculté Paris Diderot et directeur de l'Unité Inserm 722 (Ecologie et évolution des microorganismes) : « Les E. coli (ou colibacilles) sont normalement des bactéries intestinales dites commensales, c'est-à-dire inoffensives pour l'homme lorsqu'elles restent cantonnées au tube digestif. On les trouve en grande quantité, de l'ordre de 100 millions à un milliard par gramme, dans les selles des hommes et des vertébrés. [...] Les bactéries, et notamment les colibacilles, restent globalement une menace pour l'homme, 106 Site internet et Revue professionnelle d'actualité infirmière. 107 Le Parisien, Société, Santé, « Votre portable est un vrai nid à microbes », 16/07/2010 108 Nicolas Revoy, « En Angleterre, un téléphone sur six est contaminé par de la matière fécale », Le journal de la science, 14/10/2011. 50 notamment grâce à des adaptations permanentes de leur génome et une résistance accrue aux antibiotiques. E. coli est responsable de 2 millions de morts dans le monde chaque année, sous forme de diarrhées ou de pathologies extra-intestinales telles que les septicémies. En France, la septicémie à colibacille induit toujours un taux de mortalité de 15% mais on en parle peu109. » Si cette étude a été réalisée dans une population générale et non pas spécifiquement auprès du personnel soignant, elle nous permet de supposer que le téléphone portable constitue bien un vecteur de contamination manu portée de germes qui peuvent être à l'origine d'intoxications graves. D'autres études directement orientées vers le personnel hospitalier viennent étayer ce constat. Ainsi des chercheurs Turcs de l'université d'Ondokuz Mayis ont ainsi montré que 50 % des téléphones des médecins et infirmiers étaient porteurs du staphylocoque doré, notamment de souches résistantes aux antibiotiques. Ou encore cette étude d'un scientifique israélien, spécialisé dans les maladies infectieuses et l'épidémiologie hospitalière qui a rendue publique une étude surprenante relatée dans la presse populaire : « Constatant d'importantes contaminations des appareils médicaux au sein de son service, il a émis l'hypothèse qu'elles pourraient tout simplement provenir des téléphones cellulaires du personnel. Il a alors procédé au dépistage d'une des bactéries les plus présentes dans les hôpitaux de son pays, l'Acinobacter baumanii. Des prélèvements ont été effectués sur les mains et les combinés de 70 médecins et 53 infirmières. Résultat : 12% des téléphones étaient porteurs de cette bactérie dangereuse, le taux passant à 24% pour les mains du personnel. Certains chercheurs soupçonnent donc le portable d'être un vecteur potentiel d'infections nosocomiales110. » Si dans la plupart des cas l'utilisation d'une solution hydro alcoolique avant et après la manipulation du téléphone portable doit permettre de prévenir toute contamination, cela nécessite tout de même une prise de conscience et une vigilance de la part des soignants pour que ce geste devienne automatique. D'autant que les impératifs d'efficacité de la friction des mains avec une SHA s'accordent mal avec « l'urgence » immédiate de répondre à un appel téléphonique. En effet, cette friction doit selon les 109 http://www.inserm.fr, 2012. 110 « Votre portable est un vrai nid à microbes », Le Parisien, 17/07/2010. 51 recommandations de bonnes pratiques s'effectuer selon 7 étapes de zones de frictions et jusqu'à l'évaporation complète de la solution. En d'autres termes, le téléphone aura cessé de sonner bien avant que la friction ne soit terminée. En France, lors des Journées nationales d'études sur la stérilisation dans les établissements de santé qui se sont tenues à Lille les 28 et 29 avril 2010, une étude réalisée par une équipe marseillaise a montré que les téléphones portables en stérilisation représentent un risque de contamination111. L'équipe du service de stérilisation de l'hôpital La Timone à Marseille (AP-HM) a regardé des supports non contrôlés habituellement comme le téléphone portable ou sans fil. Ils ont mesuré leur impact sur l'hygiène des mains du personnel dans la zone de conditionnement. Les prélèvements ont été réalisés en une semaine sur vingt agents utilisant un téléphone portable ou sans fil au cours de leur activité, de manière inattendue. Les analyses faites par le laboratoire de microbiologie de l'hôpital ont montré une cohérence entre les quantités bactériennes recueillies sur les téléphones portables et celles des mains du personnel qui met en évidence une contamination systématique des mains du personnel par l'utilisation du téléphone portable ou sans fil. Nous voyons ainsi qu'en dehors même de la présence physique du patient, le téléphone constitue un réservoir de contamination jusque dans des zones protégées telles que la stérilisation centrale. Cette étude a conduit l'équipe de Marseille à prendre des mesures prophylactiques : « Ainsi pour le téléphone sans fil, un planning de désinfection journalier a été rajouté dans la traçabilité du bio nettoyage et il est envisagé d'acquérir des housses à usage unique ou de réaliser une protection à l'aide de film plastique de type alimentaire. Des réunions d'information ont été programmées avec des bio-hygiénistes du comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) afin d'informer les autres services de l'hôpital et ainsi créer une prise de conscience générale de l'impact des téléphones sur l'hygiène hospitalière112. » Cette prise de conscience et la mise en place de mesures concrète est récente. L'enquête exploratoire a montré une sensibilité des professionnels au risque hygiénique que constitue le téléphone portable dans la blouse des soignants. La poursuite de nos 111 « Le téléphone portable source potentielle de contamination en stérilisation centrale », Techniques hospitalières, mai 2010. 112 Ibid. 52 lectures nous amène finalement à constater que c'est l'introduction dans l'environnement des soignants et du patient de nouveaux matériels inertes sans procédure de nettoyage spécifique qui constitue une source de contamination. Ainsi, en 2005 le problème était déjà évoqué par le Dr. Gary Noskin, directeur médical en épidémiologie au Northwestern Memorial Hospital de Chicago113. Il faisait remarquer que les claviers d'ordinateurs, eux aussi réservoirs de germes dû à leur multiples manipulations, devaient être désinfectés de manière régulière pour lutter contre ce risque. Par ailleurs, selon lui, les utilisateurs des claviers d'ordinateurs dans les hôpitaux devraient se laver les mains après chaque utilisation. Aujourd'hui, le téléphone portable fait l'objet des mêmes préconisations par Michel Drancourt, Professeur de microbiologie à l'université de Marseille, qui souligne la nécessité de réaliser une friction des mains aux SHA après toute manipulation du téléphone portable114. Ainsi, c'est avant tout l'hygiène des mains qui est en question et renforce la nécessité pour le cadre de proximité de travailler avec les équipes autour des procédures d'utilisation des solutions hydro-alcooliques. Nous constatons que la présence des téléphones de type DECT, d'un point de vue de l'hygiène, présentent les mêmes risques de contamination et que pour autant, malgré leur diffusion massive dans les hôpitaux ils n'avaient jusque-là pas fait l'objet d'inquiétude particulière. C'est finalement l'arrivée du téléphone mobile personnel des soignants dans les services qui semble avoir cristallisé ce risque et c'est sur lui que toutes les inquiétudes semblent se focaliser. Bien que nous n'ayons pas retrouvé de publications évoquant le risque pour le soignant d'importer à son domicile des germes hospitaliers par le truchement de son portable, il nous semble que cet argument peut constituer un levier de sensibilisation des équipes de soins au phénomène du portable dans la poche de l'uniforme de travail, au même titre que les bijoux. |
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