1.2- Délinéariser le récit ou la
volonté d'impacter le discours traditionnel du documentaire
historique
délinéariser le récit. Pour être
plus précis, il s'agit surtout de proposer des narrations innovantes.
Par conséquent les auteurs souhaitent s'affranchir des contraintes et
des codes de la narration documentaire classique.
1.2.1- Une volonté de rupture partagée par
tous les professionnels ?
Le temps est venu des « formes narratives simples y
compris sur Arte et France 5 ». Ces propos sont ceux de Xavier
Carniaux, producteur, dans une interview donné dans le numéro de
Télérama du 23 mars 2005. Il parle notamment des documentaires
historiques. De tels propos constituent un paradoxe au moment où
émergent les web-documentaires qui veulent bousculer et renouveler les
formes narratives.
Il s'agit d'une des promesses centrales du web-documentaire.
« Le webdoc en permettant de mettre en liaison les différentes
sources, démultiplie les manières de raconter l'histoire et de
comparer les différentes mémoires. »35 Le
journaliste Pierre-Olivier François est un exemple de professionnels qui
estiment que le web-documentaire est un moyen d'ouvrir de nouvelles
possibilités à la narration. Cette promesse est l'occasion de se
distinguer du documentaire télévisé et par la même
occasion de rompre avec l'idée répandue selon laquelle le
web-documentaire est un contenu télévisé diffusé
sur le média internet. La plupart des personnes interrogées lors
des entretiens individuels le pensent. Se démarquer du récit
documentaire traditionnel est ainsi un moyen de se légitimer. Ce
modèle linéaire de la narration est toutefois remis en question
depuis longtemps et surtout dans d'autres domaines, notamment le domaine
littéraire. Dans son ouvrage, Temps et Récit36, Paul
Ricoeur souhaite « élargir la notion de mise en intrigue ». Il
prône l'évolution des systèmes de narration dans la
littérature. P. Ricoeur estime que l'avènement du roman et la
« fin de l'art de raconter » ne signifient pas la fin de la mise en
intrigue. Au contraire, il ne faut pas réduire l'intrigue au simple fil
de l'histoire. Ricoeur affirme même que l'éclatement du
récit signifie de nouvelles formes de clôture des oeuvres.
L'auteur peut jouer avec le lecteur tout comme le web-documentaire compose avec
l'internaute. Paul Ricoeur nous invite ainsi à « croire que de
nouvelles formes narratives, que nous ne savons pas encore nommer, sont
déjà en train de naître, qui attesteront que la fonction
narrative peut se métamorphoser, mais non pas mourir. »
L'évolution des formes narratives n'est donc pas le
signe d'une décadence créative mais bien celui d'un
renouvellement. Néanmoins, ce qui nous semble intéressant, dans
le cas des webdocs, est le rôle joué par le média internet
dans cette évolution. Les différents genres de la
télévision (série, fiction, documentaire, reportage, etc)
sont venus à internet. Néanmoins les formes et les attentes
liées à ce média incitent à modifier certaines
logiques de la création dont celles de la narration
« La linéarité se dit d'une
série d'éléments qui se suivent dans un ordre tangible ou
préétabli. Ce concept s'oppose à celui de
tabularité, qui désigne la possibilité pour le
35 Annexe 13
36 RICOEUR, Paul, Temps et Récit, Paris, Seuil,
1983
lecteur d'accéder à des données
visuelles dans l'ordre qu'il choisit, [... J dans un ordre
décidé par le sujet. »37
Les propos de C. Vandendorpe nous éclairent quant
à la distinction entre linéarité et tabularité. Si
la promesse du webdoc est d'être en rupture avec le modèle
linéaire de la narration, que peut-il proposer ? Rompre avec le
modèle linéaire signifie également rompre avec les notions
d'autorité et de contrainte propres au documentaire
télévisée classique. Vandendorpe explique que
l'écrit nous a permis « d'échapper à la
linéarité, car l'oeil peut embrasser la page d'un seul regard,
tout comme il peut se poser successivement sur divers points, choisir chaque
fois en fonction de critères différents. »38
Il oppose l'écrit à la parole qui est l'incarnation même
des notions d'autorité et de linéarité. L'invention du
Codex - apparu au Ier siècle avant J-C à Rome - marque une
rupture profonde dans notre civilisation. L'introduction de la notion de page
« fait entrer le texte dans l'ordre de la tabularité ». Cette
évolution est à rapprocher de celle que connait actuellement le
documentaire avec l'émergence de nouvelles créations sur
internet. Vandendorpe estime qu'à partir de l'invention du Codex, une
logique spatiale succède à celle du discours. Le rapport au texte
se transforme tout comme celui au documentaire aujourd'hui. L'avènement
du Codex oblige aussi la mise en place, dans l'organisation du livre,
« de divers repères conçus pour aider le lecteur
à s'orienter plus facilement dans la masse textuelle, à en faire
une lecture plus commode et plus eficace, indexée sur l'ordre du visuel.
»39 Nous pouvons dresser le même constat avec le
web-documentaire. Une véritable mosaïque se construit permettant au
lecteur de naviguer à sa guise. La tabularité permet la
co-présence de divers éléments qui se déploient
dans un espace semblable. Cette co-présence est propre au média
internet et en particulier au web-documentaire dont une caractéristique
est de démultiplier les espaces à l'infini.
Cette volonté n'est pourtant pas partagée par
tous les professionnels du web-documentaire. Certains estiment qu'il y a
fourvoiement lorsque l'on cherche à trop complexifier le récit.
Il faut souligner ainsi l'importance de discours contraires qui avancent que la
simplicité et la linéarité sont pour le moment les
meilleurs gages de réussite du web-documentaire.
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