2.2- La traçabilité de la lecture et de
l'écriture : comment le web documentaire se donne à voir au
lecteur dans l'optique de définir ce dernier
L'idée de cette sous-partie est de montrer en quoi le
web documentaire, de par son dispositif technique, implique une posture
particulière, qu'elle que soit la stratégie de l'internaute :
celle de l'historien. L'internaute fait l'expérience d'un parcours
d'enquête et est toujours amené à se poser des questions.
La fragmentation des contenus incite l'internaute à avancer pour
comprendre et tisser du lien entre les documents qu'il vient de visionner.
2.2.1- L'importance des balises et repères :
l'internaute est sur un sentier balisé plus ou moins directif.
Tel que nous l'avons constaté dans la première
partie, il existe, pour chaque webdoc historique, tout un système
sémiotique qui impacte le parcours de lecture dans un sens dicté
par les instances énonciatives. Le web-documentaire historique est en
quelque sorte construit sur les bases d'une « négociation entre
repères rassurants et éléments déstabilisants pour
l'usager »94 Il s'agit d'établir un
équilibre entre la volonté d'inciter l'internaute à
prendre des initiatives et celle de ne pas le perdre. Dans cette optique,
l'ergonomie et l'indépendance technique du site sont des conditions
cruciales. Il faut éviter tout échec de navigation tout en
favorisant les phénomènes de présomption d'utopie (ce sont
les phénomènes d'interprétation liés à
l'anticipation95). Parmi nos enquêtes d'observation, un cas
vient illustrer la dificulté de trouver cet
équilibre. En visionnant la première video du webdoc La nuit
oubliée, Anne Marie96 s'est retrouvée sur la
plateforme Dailymotion qui héberge les vidéos de cette
création. Elle est donc complètement sorti du web-documentaire.
En effet, elle aurait continué à visionner les différents
témoignages qui se succédaient par le biais d'un
procédé technique pour supposer d'autres vidéos sur le
même thème. Cette échec de navigation (puisqu'elle ne
naviguait plus sur le documentaire) est le résultat d'un repère
visuel qui est survenu
94 GANTIER, Samuel, BOLKA, Laura, L'expérience
immersive du webdocumentaire, op cit.
95 L'outre lecture, op cit.
96 Annexe 19
au terme de la première vidéo et qui permettait
de lancer un autre témoignage mais depuis une autre plateforme
vidéo, celle de Dailymotion.
Il s'agit en l'occurrence du témoignage de Catherine
Levy. La personne observée aurait donc consulté les vidéos
sur autre site du fait d'une dificulté technique. Les
repères peuvent donc représenter un danger pour le parcours de
lecture de l'internaute.
Malgré ce danger, les repères sont essentielles.
Ils constituent la matérialisation, l'indice de la liberté de
l'internaute. Le web-documentaire historique se donne à voir pour
contextualiser le parcours de l'internaute. Les outils graphiques
synthétiques tels que les cartes ou les frises sont essentiels dans
cette démarche de contextualisation.
« Par certains côtés, ces outils graphiques
synthétiques ne servent pas seulement le traitement logique de
l'information mais aussi, plus généralement, tout ce qui concerne
le repérage dans la géographie du document numérique et la
navigation de document à document. C'est notamment le cas lorsqu'ils
sont associés aux propriétés de l'interactivité car
ils peuvent servir alors de ce que l'on pourrait appeler des signes-pivot :
leur activation permet d'avoir accès à différents niveaux
de hiérarchie tout en conservant leurs propriétés
synthétiques. Ils permettent donc "d'explorer en profondeur" des
structures d'information mais fournissent en même temps de puissants
repères de navigation en contextualisant le parcours »97
Les repères assurent donc une double fonction qui
permet à l'internaute de prévoir en partie sa lecture. Nous
pourrions même ajouter une troisième fonction : celle de filtre.
Le webdoc historique revendique (ou du moins une majorité d'entre eux)
l'exhaustivité. Plongé dans une masse d'informations,
l'internaute doit pouvoir se repérer afin d'élaborer une
stratégie de lecture. Nous constatons une sorte de
réciprocité car plus le contenu va être structuré
plus l'impression d'exhaustivité va être grande. C'est le cas pour
les web-documentaires tels que Adieu Camarades ou Les combattants
de l'ombre. Sur-sémiotiser la structure et le quadrillage permet de
valoriser le contenu et rendre visible l'exhaustivité. La
poétique du caché qui consiste en un subtil jeu entre
dévoilement-caché participe de cette démarche. Plus le
dispositif cache (ou feint de cacher) du contenu à l'internaute,
davantage il prendre conscience des repères. On lui donne à
toucher du doigt ce qu'Emmanuel Souchier nomme «
l'infraordinaire98 » du webdoc historique. Les repères
ont donc également une fonction phatique puisqu'ils sont autant d'appels
à la manipulation.
97 L'outre lecture, op cit. p. 38
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