PARAGRAPHE II : LES IMPLICATIONS DU DESENGAGEMENT
Parmi les manifestations de la présence étatique
dans le secteur productif, la réglementation et le contrôle des
prix occupent une place de choix. Le désengagement de l'Etat a
entraîné une réduction substantielle du champ de la
réglementation (A) des prix dont le corollaire principal a
été une restriction de pouvoir de contrôle des prix (B).
A- LA REDUCTION DU CHAMP DE LA REGLEMENTATION DES
PRIX
Le régime général des prix jadis en
vigueur consacrait la réglementation comme étant la règle
en matière de prix, elle est, du fait de la
déréglementation devenue aujourd'hui l'exception.
1- Le régime originel des prix ou la
réglementation comme règle
Bien avant l'indépendance, existait déjà
au Cameroun un régime des prix découlant d'un décret
français de 1937 ayant pour objet la prévention et la
répression de toutes augmentations illicites des prix dans les colonies,
pays de protectorat ou sous mandat128. Un
128 LEUNYOU (M), « Le problèmes des prix sur les
marchés et la responsabilité du commerçant »,
CCIMA réunion de la section commerce Yaoundé Juin 2006
P. 5.
60
décret du 14 Mars 1944 portant réglementation
des prix en Afrique équatoriale et au Cameroun français renforce
la répression de la réglementation des prix129 . Au
lendemain des indépendances, la loi N° 61/07 du 18 Avril 1961 et
plus tard le décret N° 68-DF-486 du 18 Décembre 1968 portant
régime général des prix au Cameroun ainsi que les autres
textes modificatifs réceptionnent dans le cadre interne l'esprit mais
non intégralement la lettre des textes de la période
post-indépendance. Mais, le véritable socle normatif en
matière de prix au Cameroun ne sera pris qu'à l'occasion de
l'avènement de l'Etat unitaire en1972.
L'ordonnance N°72/18 du 17 Octobre 1972, portant
régime général des prix et ses textes
modificatifs130 constituent la véritable bible de la
législation sur les prix au Cameroun bien qu'ayant partiellement
été abrogée par la loi N°90/031 du 10 Août 1990
régissant l'activité commerciale au Cameroun. L'analyse de ce
texte de base permet de constater qu'avant les textes libéraux
« la totalité des prix des biens et services
était réglementé » au
Cameroun131 . La réglementation se traduit
concrètement à cette époque par une fixation
administrative de tous les prix des produits et services ainsi que celle des
marges bénéficiaires. Elle se justifie alors par de nombreuses
raisons essentielles132 , mais emporte de nombreuses
conséquences133. Sa mise en oeuvre entraîne des
lourdeurs administratives et trop souvent des conflits avec l'Etat. Elle a
rigidifié le système rendant les entreprises incapables de
s'adapter aux besoins d'ajustement des marchés et inaptes au
développement de la compétitivité134.
Force est cependant de reconnaître que la
réglementation des prix n'était ni absolue, ni inviolable bien
que générale et intégrale. Il s'est en effet
développé un marché informel qui lui échappait. Le
désengagement de l'Etat du secteur productif a ainsi
entraîné une mutation substantielle de la réglementation
des prix en la faisant passer du général au particulier mais
surtout de la règle à l'exception.
129 Idem.
130 Loi N°79/11 du 30 Juin 1979 modifiant certaines
dispositions de l'ordonnance N°72/18 et loi N° 89/011 du 28 Juillet
1989 modifiant e complétant certaines dispositions de la loi sus
citée
131 ESTEGUET (P.E), « élaboration et mise en
application d'une législation de la concurrence adaptée aux
conditions des pays en voie de développement : expérience de la
République du Cameroun », CNUCED Cession du groupe
d'experts intergouvernementaux sur le droit de la concurrence, Genève
Octobre-Novembre 2006.
132 Maîtrise de l'inflation, stabilisation des prix,
organisation des marchés agricoles tels que le Cacao et le Café,
amorce des chocs de la dévaluation monétaire, amorce des
problèmes liés à l'instabilité des prix des
matières premières sur le marché mondial tel que le
pétrole, surveillance promotion et protection de la concurrence,
contrôle des multinationales, répartition objective des marges
bénéficiaires entre opérateurs économiques
promotion de l'investissement et protection du pouvoir d'achat des
consommateurs...
133 Elle crée en effet une mentalité d'assister
qui s'avère décourageante de l'effort et de l'imagination des
opérateurs économiques elle est coûteuse et
budgétivore. En bref, la réglementation des prix freine l'essor
industriel par le recule des investissements et même sur le plan
économique, l'affaiblissement de la monnaie sans oublier son effet
retardataire.
134 ESTEGUET (P.E) « Elaboration et mise en application...
Op. Cit. P. 3.
61
2- Le régime actuel des prix ou la
réglementation devenue exception
Avec la promulgation du principe de la liberté des prix
comme règle régissant l'activité commerciale au Cameroun,
leur réglementation devient ipso facto une exception.
Considérablement réduite, elle ne concerne plus que les produits
soumis à la procédure d'homologation préalable et à
la fixation temporaire des marges bénéficiaires. Seulement,
à bien y regarder, l'Etat n'a rien perdu comme pouvoir
réglementaire en matière des prix. Son pouvoir a tout au plus
été conditionné. L'article 2 de l'ordonnance N° 72,
conforté par l'article 32 du décret d'application de la loi
régissant l'activité commerciale au Cameroun, confirme le pouvoir
du Ministre chargé des prix à réglementer la
détermination et la fixation des prix au différents stades de la
commercialisation, de la vente et de la circulation des marchandises et des
services ainsi que des pratiques qui peuvent avoir pour effet de provoquer une
hausse spéculative des prix à la consommation ou d'empêcher
leurs hausses justifiées et les pratiques portant sur les autres
catégories de vente. L'article 62 alinéas 1 du même
décret d'application va dans le même sens ainsi que les
réserves émises par l'alinéa 2 de l'article 12 de la loi
N° 90/031 consacrant les principes de la liberté de concurrence et
des prix. Cet article précise que l'Etat détient ce pouvoir
«en tant que de besoin» l'exercice du
pouvoir est donc désormais conditionné par la survenue de facteur
conjoncturel et circonstanciel dont l'Etat reste seul juge.
La limitation d'un tel pouvoir découle toutefois de
l'alinéa 2 dudit article qui précise que de telles mesures
doivent être justifiées, limitées dans le temps et donner
lieu à une large publicité ainsi qu'à une large
information des opérateurs économiques et du public. Sous cet
angle, la réglementation apparaît comme une menace permanente, un
moyen de pression et même d'oppression contre les opérateurs
économiques entre les mains du Ministre en charge des prix, une
véritable épée de Damoclès sur la liberté
ainsi fragilisée des prix. A tout moment, et sur n'importe quel
prétexte discrétionnaire, l'Etat peut procéder à la
fixation des prix limites, à la production de même qu'à
tout stade du circuit économique par voie réglementaire.
La réglementation des prix semble donc formellement
réduite alors qu'elle reste matériellement illimitée. Ceci
d'autant plus qu'au-delà de cet aspect et en ne s'en tenant
qu'à
62
la seule analyse des prix des produits, biens et services
limitativement énumérés comme échappant à
l'emprise de la liberté des prix parce que soumis à la
procédure d'homologation préalable, il est loisible d'affirmer
que la variété desdits produits, mais surtout leur
variabilité, limite considérablement l'esprit de la
déréglementation. En effet, les différents textes fixant
ou actualisant la liste des prix des produits soumis à la
procédure d'homologation des prix entretiennent l'arbitraire du pouvoir
discrétionnaire de l'Etat dans la fixation desdites listes135
en lui laissant la latitude d'y inclure tout service ou produit. Quelques
précisions sur la nature des produits et biens concernés ont
cependant été apportés par l'arrêté
N°0035. D'après l'article 1er dudit arrêté,
il s'agit des biens et services offerts par les monopoles publics ou
privés réels de fait136. La seconde catégorie
est constituée des biens et services subventionnés par
l'Etat137 et enfin des biens et services, sujets à des
tensions inflationnistes persistantes ; services et biens dits
« de grande consommation » « ou de consommation de
masse »138. Il convient en su de noter que cette
énumération n'est ni exhaustive ni définitive puisqu'en
réalité, il existe des régimes particuliers non
prévus dans les listes à l'instar du régime
spécifique des prix agricoles comme le Cacao et le Café il s'agit
donc de listes flottantes donc variables d'une année à une
autre139. Aussi, est-il observable une augmentation constante des
prix des produits concernés
Contrairement à l'esprit de la loi140, la
réglementation des prix n'a donc pas disparue. Seules les nouvelles
frontières de l'Etat ont été tracées,
réduisant la réglementation à quelques produits et
services limitativement énumérés. Jadis la règle,
elle est devenue l'exception. Toutefois, une analyse profonde des textes de
même que l'observation de la pratique laisse bien voir que sur le plan
matériel la réglementation non seulement demeure, mais elle est
susceptible d'agrandir son champ par une permanente possibilité de
suspendre l'exercice de la liberté des prix. Aussi, le non respect de
l'ordre public ainsi que toute
135 Arrêté N° 7 /MINDIC/DPPM/SPD du 12
Janvier 1991, arrêté N° 007 /MINDIC/DPPM du 29 Juin 1990
arrêté
N°0402/MINEFI/CAD du 21 Août
2001,Arrêté N°002/A/MINEDIC/DPPM du 23 Janvier 2003,
Arrêté N°036/A/MINDIC/DPMPC/SDEL/SCR du24 Juin 2004 et
actuellement arrêté N°0035/MINCOMMERCE/CAB du 08 Novembre
2005, portant tous fixation de la liste des produits et services donc les prix
et tarifs sont soumis à la procédure d'homologation
préalable
136 L'eau, l'électricité et les services y
afférents, le ciment portland, les services d'auxiliaire des transports
maritimes les services des ports autonomes du Cameroun.
137 Les médicaments et consommables hospitaliers, le Gaz
domestique, les logements sociaux
138 Fer à béton, sucre, logements scolaires et
Universitaires, livres et manuels scolaires, huile de palme brute, poisson
congelé importé, farine de froment importée, service
offert par les hôtels et établissements touristiques.
139 Cette variabilité découle du
caractère révisable des listes en vue de les adapter au contexte
socio-économique prévalant. Il trahi la précarité
de toute limitation des prix puisqu'il existera toujours les produits et
services offerts par des monopoles, ou soumis à des tentions
inflationnistes.
140 De 19 produits en 1990, La liste est passée
à 16 en 1991 puis à 8 en 1994 et même à 5 en 1998
remontée à 11 en 2001, elle se situe actuellement à 18
produits de service.
63
violation de la réglementation ou de la police des prix
justifie l'application encore aujourd'hui des sanctions découlant d'un
contrôle des prix tout aussi formellement réduit.
B- LA RATIONALISATION DU POUVOIR DE CONTROLE DES PRIX
Marque caractéristique d'un régime
général répressif, le contrôle des prix n'a pas
disparu sous la déréglementation, mais il a été
substantiellement et formellement transformé et surtout restreint. Deux
actions s'en sont suivies, à savoir le rétrécissement de
l'objet ou de la matière du contrôle des prix, et la
rationalisation de l'étendue du pouvoir des organes de contrôle
des prix141.
141 Cette rationalisation découle
particulièrement de la circulaire N°003/MINCOMMERCE/DPC du 13 Juin
2007, portant rationalisation des contrôles effectués par les
structures chargées de la protection du consommateur.
1- 64
Le rétrécissement de la matière du
contrôle
La conséquence directe et logique de la
réduction du champ de réglementation est la réduction du
champ de contrôle. Le contrôle est essentiellement une
modalité de vérification de la mise en oeuvre normale et
régulière de la réglementation en vigueur. Couvrant jadis
tous les biens et services, le contrôle des prix dont la pertinence
demeure et se traduit par le souci de faire respecter la réglementation
afin de protéger le consommateur et de laisser s'installer et nourrir
une « véritable culture de la concurrence142
», ne concerne désormais plus que les prix
pratiqués sur les produits et prestations de service encore soumis
à la procédure d'homologation préalable ou faisant encore
temporairement l'objet d'une fixation administrative des marges
bénéficiaires. Toute violation de ces dernières
réglementations exceptionnelles sont constitutives tantôt de
majoration illicite des prix et réprimée par les articles 6 et 8
de l'ordonnance N°72/016 portant régime général des
prix ; tantôt de pratique de prix illicite telle que prévu par
l'article 7 de ladite ordonnance.
En dehors des cas sus évoqués, le
contrôle s'exerce sur les prix certes fixés par les lois du
marché mais faisant l'objet de pratiques anticoncurrentielles de nature
à altérer la capacité d'appréciation ou de choix du
consommateur143. Il s'agit ici de toute infraction à la
réglementation sur la publicité des prix et les conditions de
vente, des pratiques discriminatoires des prix des ventes à perte, du
refus de vente, des ventes conditionnées avec primes liées, des
actions concertées, des ententes et conventions non autorisées
ainsi que les abus de positions dominantes et autres concertations manifestes
sur la politique des prix. A l'analyse de cette énumération non
exhaustive, force est de constater que matériellement le contrôle
des prix semble s'être également étendu. Seul son exercice
et ses pouvoirs ont été rationalisés.
2- La délimitation des pouvoirs de
contrôle
Il s'agit des pouvoirs des organes chargés du
contrôle et des prérogatives légales.
142 ESTEGUET (P.E), «Elaboration et mise en application
d'une législation de la concurrence adaptée aux conditions des
pays envoie de développement : expérience de la République
du Cameroun » CENUCED Genève Juillet 2003 P. 7.
143 Article 43 de' l'ordonnance N°72 et article 31
(nouveau de la loi N°89/011 du 28 Juillet 1989 modifiant certaines
dispositions de la même ordonnance.
65
Sur le plan organique, la direction des prix et de la
métrologie a cédé la place à la direction de la
protection du consommateur. Cette direction est l'organe central chargé
du contrôle des prix. Elle est appuyée par des organes
déconcentrés que sont les brigades de contrôle et de
répression des fraudes commerciales à l'échelle
provinciale et départementale. Cette transmutation nomenclaturale
révèle que désormais l'ère n'est plus au primat de
la réglementation des prix mais plutôt de la saine et loyale
concurrence. La direction de la protection du consommateur est
compétente à l'échelle nationale et assure la surveillance
ainsi que la coordination des activités des services
déconcentrés. Les brigades provinciales de contrôle et de
la répression des fraudes sont chargées du contrôle des
prix, des pratiques anticoncurrentielles et de l'assainissement des
marchés au niveau des grossistes et des grandes surfaces de la province.
A titre exceptionnel, elles exercent un contrôle sur le détaillant
qui relève normalement de la compétence de la brigade
départementale. Chacune de ces structures est placée sous
l'autorité d'un Chef de brigade.
Le contexte de libéralisation et la recherche d'une
intervention efficace et efficiente des unités d'exécution des
contrôles ont justifié une forte rationalisation des pouvoirs,
cette fois-ci entendue comme prérogative reconnue aux organes
chargés du contrôle des prix. Ceci a été notamment
le cas pour ce qui est de l'initiative des contrôles, de leur
déroulement ainsi que de leur aboutissement.
L'initiative des contrôles appartient désormais
au seul directeur de la protection du consommateur pour ce qui est des services
centraux et exclusivement aux chefs des brigades provinciales et
départementales au niveau des services déconcentrés.
Lesquelles initiatives sont conformes à des programmes d'actions
périodiques portées à la connaissance du Directeur de la
protection du consommateur. Le respect du pouvoir hiérarchique commande
désormais une montée de la base au sommet des rapports et des
bilans. L `exécution des contrôles a été
également réglementée144 ainsi que la
distribution et la tenue des documents de travail. Les agents de contrôle
ont droit à la communication, et à l'accès à tout
local en
144 Les descentes sur le terrain se font à la suite
d'une note de service précisant l'objet du contrôle et indiquant
les noms, prénoms des personnes appelées à
l'exécuter ; les noms du ou des Chefs d'équipe ainsi que la
durée de celle-ci. Les agents retenus doivent avoir prêtés
serment conformément aux dispositions de l'article 14 de l'ordonnance
N°72/018 portant régime général des prix. Le Chef
d'équipe doit présenter une note de service précisant
l'objet de la mission aux représentants des lieux visités. La
carte professionnelle doit être présentée, la fiche de mise
en demeure aussi, le respect des heures légales observé de
même que la consignation sur procès verbal de toutes les
infractions constatées conformément aux articles 12 et
16del'ordonnance N° 72/018 suscité. Il doit en outre être
expliqué aux contrevenants les différentes infractions
constatées dans son établissement, le mode de calcul des amendes,
ainsi que les références législatives et
réglementaires qui soutendent cette démarche. Les fiches de mise
en demeure peuvent en cas de non contestation remplacé lesdits
procès verbaux sous condition de contenir les mêmes informations
et d'être signées par les contrevenants. Sous réserve que
de fortes présomptions de litiges n'existent point entre le contrevenant
et l'agent verbalisateur.
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fonction des besoins. La présence d'un responsable de
l'établissement est érigée en règle substantielle.
Les agents peuvent se faire assister par les autorités civiles et
militaires aux fins de constatation des infractions. Le contrôle ainsi
peut aboutir soit au prononcé d'amendes145, soit à la
prise des mesures conservatoires146. La fermeture
d'établissement et la saisie des marchandises ne peuvent être
valable que dans les cas de récidive, de refus de payement de la
pénalité ou exceptionnellement pour contraindre l'assujetti
à répondre à la convocation. Encore faudrait-il même
dans ces derniers cas, non seulement qu'elle soit préalablement
autorisée par le supérieur hiérarchique direct au niveau
de la province ou du département et par le Directeur de la protection du
consommateur en ce qui concerne les services centraux ; mais aussi et surtout
qu'elle le soit par écrit.
Le désengagement de l'Etat de secteurs entiers des
économies ne pouvait qu'être favorable à une ouverture
à l'influence des lois du marché dans la détermination des
prix.
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