PARAGRAPHE I : LES MODALITES DU DESENGAGEMENT
Le désengagement de l'Etat du secteur productif s'est
traduit par une vaste restructuration de secteurs entiers de l'économie
(A) au nombre desquels la, une progressive réforme du secteur public et
parapublic (B).
A- LA LIBERALISATION DE SECTEURS DE L'ECONOMIE
La libéralisation a concerné les secteurs de
l'agriculture, du commerce et de l'industrie ainsi que des monopoles
publics.
1- La libéralisation du secteur de
l'agriculture113
Ayant opté pour une politique
développementaliste, fondée sur l'idéologie de la
construction nationale au lendemain des indépendances, et conscient de
ses atouts naturels et environnementaux, le Cameroun se lancera dans un vaste
mouvement de promotion de l'agriculture sous la houlette de l'Etat. La forte
présence de l'Etat dans ce domaine sera manifeste à travers
l'encadrement de ladite agriculture par des structures publiques, centrales, ou
décentralisées, déconcentrées et même
techniques parmi lesquelles des coopératives créées par
l'Etat. Les subventions à la production à l'exploitation et
l'octroi de crédits le financement de la recherche, l'entretien des
points de collecte, la production par des sociétés d'Etat, la
réglementation de la commercialisation, la création gestion des
marchés et espaces de commercialisation, le contrôle de la
qualité du transport ; la fixation, la stabilisation, et le
contrôle des prix des produits agricoles d'exploitation par décret
ministériel sur proposition de l'Office National de Commercialisation
des Produits de Base (O.N.C.P.B), expriment à souhait la présence
multi formelle et multifonctionnelle de l'Etat.
Cette présence va cependant s'accompagner de nombreux
dysfonctionnements notamment aux conflits de compétence entre
différentes institutions publiques. L'échec de
l'interventionnisme étatique dans le domaine qui justifiera l'adoption
des politiques de déréglementation, synonyme de
« modification des termes de l'intervention de l'Etat
»114.
113 Pour d'amples développements, lire KAMGNIA DIA (B)
« Crise économique et déréglementation dans le
secteur de l'agriculture » in TOUNA MAMA (Ss. Dir) Op. Cit PP. 23-89.
114 Idem.
54
Cette politique de déréglementation passe par
une réactivation de l'entreprenariat privé, la rénovation
des mécanismes de stabilisation ainsi que le rétablissement de
l'équilibre financier et institutionnel que commanderont la liquidation
et même la transformation de plusieurs structures étatiques
d'encadrement de l'agriculture115. A cet effet, la rénovation
du mécanisme de stabilisation se fera par la mise en place d'un
mécanisme plus dynamique, flexible et adaptatif de l'évolution
mondiale des prix et sous tendu par des fonds de stabilisation dans les
filières porteuses et stratégiques.
2- La libéralisation du secteur de l'industrie et
du commerce
Conséquence pratique de l'affirmation du principe de la
liberté de commerce et d'industrie, la libéralisation dans ce
secteur poursuit également l'objectif d'ouverture aux lois du
marché. Avant cette libéralisation, l'environnement
institutionnel de l'Etat en la matière était constitué du
FOGAPE, du CAPME, et de la SNI.
Cette dernière est créée dans le but de
promouvoir l'investissement et l'entreprenariat public ; du fait de
l'inexistence du secteur privé. Elle doit donc financer le
développement industriel. Le portefeuille de l'Etat s'en trouvera
lourdement enrichi (cent quatre-vingts entreprises publiques à la fin
des années 1990). L'aide à la création était quant
à elle l'oeuvre du FOGAPE et du
CAPME.
L'environnement normatif était fondé des codes
des investissements de 1960, de 1984 et marqué par la reconnaissance de
la place centrale de l'Etat dans l'économie. Celui de 1990 apportera un
souffle nouveau qui sera entériné par la charte des
investissements de 2002, elle-même, conforme à la charte des
investissements de la CEMAC116. La politique
économique, ayant désormais comme cheval de bataille la relance
de la croissance, passe forcément par la promotion de l'industrie
locale. C'est ce qui explique la création d'un département
ministériel spécialement chargé des petites et moyennes
entreprises l'édiction des mesures d'assainissement de l'environnement
des affaires en vue de l'attraction des Investissements Directs Etrangers
(IDE). L'adhésion à l'OHADA s'inscrit dans cet
ordre
115 Liquidation de l'O.N.C.P.B, avènement de L'Office
National du Cacao et du Café, (l'O.N.C.C) ; du Comité
Interprofessionnel du Cacao et du Café (C.I.C.C) etc...
116 Règlement N° 17/99/CEMAC-020-CM-03 relatif
à la charte des investissements. CEMAC, recueil de textes de droit
communautaire de la CEMAC, 2nde éd. GIRAF, AIF 2002
P.106.
55
d'idées ainsi que l'édiction des lois de la
libéralisation sus évoquées dont l'objectif ultime est le
démantèlement des secteurs monopolistiques.
3- La libéralisation des secteurs
monopolistiques
Plusieurs monopoles d'Etat ont été
libéralisés à la faveur de certaines lois.
Le secteur de l'eau traditionnellement géré
à titre exclusif par une société d'Etat : la
Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC) a fait l'objet
d'une ouverture significative, à la faveur de la loi N°98/005 du 14
Juillet 1998 régissant le secteur de l'eau au Cameroun, la privatisation
de cette structure qui en a découlé, faisant suite à la
libéralisation du secteur de l'énergie électrique. En
effet, conformément à la lettre de la loi N° 98/022
régissant le secteur de l'électricité au Cameroun, la
Société Nationale de l'Electricité (SONEL) a
été transformée en AES SONEL, une société
privée qui cogère ce secteur avec la société
chargée de l'électrification rurale. C'est donc cette loi qui
ouvre ce secteur à la concurrence. Elle est censée
prévenir et juguler les risques de concurrence déloyale à
travers la création d'une agence de régulation du secteur de
l'électricité (ARSEL)117. Une agence similaire a
été créée dans le cas des
télécommunications.
Le secteur des télécommunications a fait lui
aussi l'objet d'une réforme118 allant dans le sens de la
libéralisation119. Cette activité s'est ainsi ouverte
à la participation du secteur privé. Elle apparaît
aujourd'hui comme celle dans laquelle la libéralisation est le plus
visible. En effet, une forte disparité des tarifs
téléphoniques pratiqués par les différents
opérateurs est notable.120La concurrence dans ce secteur est
garantie par l'agence de régulation des télécommunications
(ART).
Le transport n'a pas échappé au vent de la
libéralisation. Le transport maritime a été ouvert
à la concurrence par décret, tandis que le transport
aérien l'a été par la loi. Le transport
117 Article 22 de la loi régissant le secteur de
l'électricité
118 PEKASSA NDAM (G), « La réforme du secteur des
postes et télécommunications au Cameroun », RASJ.
Vol 1, 2000, UY, PP. 97-104.
119 MVOGO BELIBI (M.V), la libéralisation du secteur des
télécommunications au Cameroun Op. Cit. P.101.
120 Sur le terrain en effet, les tarifs
téléphoniques de la Cameroun Télécommunications
(CAMTEL) de MTN et Orange Cameroun sont différents en termes de
coûts téléphoniques. La communication informelle
découlant de la pratique des « Call box » permet d'observer
à côté d'un opérateur dudit secteur affichant «
100F /Mn», un autre affichant « 75F/Mn » et même un
troisième affichant « 125F/Mn »
56
terrestre, certes libéralisé, fonctionne en
corporation alors que le transport ferroviaire a fait l'objet d'une
privatisation de la REGIFERCAM (Régie des chemins de Fer du Cameroun)
devenue CAMRAIL. Dans cet esprit, les aéroports du Cameroun (ADC) sont
aujourd'hui parapublics ; les ports autonomes libéralisés, et le
transport urbain libre. Il en est de même du commerce des produits
pétroliers121 .
Cet ensemble de mesures de libéralisation de secteur de
l'économie générale poursuit l'objectif de
désétatisation du cadre économique, et de la
restructuration des entreprises du secteur public et parapublic.
B- LA RESTRUCTURATION DES ENTREPRISES DU SECTEUR PUBLIC
ET PARAPUBLIC
La restructuration des entreprises du secteur public et
parapublic en 1999122 était un prélude au souci de
soumettre la boulimie institutionnelle étatique à un
régime sans précédent. A cet effet, plusieurs
modalités ont été engagées sur la base d'un cadre
juridique approprié. Le résultat est nuancé.
1- Le cadre juridique de la restructuration
La restructuration du secteur public repose sur un certain
nombre d'instruments juridiques tant normatifs qu'institutionnels.
Sur le plan institutionnel, cette réforme est
principalement confiée à un organe, à savoir la mission de
réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic
instituée par décret N°86/656 du 30 Juin 1986. Son but est
d'analyser les motivations ou les raisons du désengagement de l'Etat des
secteurs productifs en vue d'accroître la participation du secteur
privé123. Elle est composée d'un organe de
décision et d'un organe technique. Le Comité
interministériel, organe de décision, et composé d'une
dizaine de membres. Il est appuyé par une sous Commission chargée
de la privatisation créée par décret N°90/428 du 27
Février 1990 composée d'experts, et parfois, de consultants
nationaux et internationaux. La
121
122 Ordonnance N°99/016 du 22 décembre 1999
portant régime général des établissements du
secteur public et parapublic au Cameroun.
123 TAMBA (I), et TOUNA MAMA « Crise
économique et déréglementation dans le secteur des
entreprises publiques et parapubliques » In TOUNA MAMA (Ss. Dir.) Op.
Cit. p.147.
57
Commission technique de privatisation et de liquidation
(C.T.P.L) est l'organe technique. Il est placé sous l'autorité du
Ministre de l'Economie de la Planification et de l'Aménagement du
Territoire, il est composé d'experts nommés en raison de leurs
compétences et de leurs expériences pratiques. Cette Commission
bénéficie de l'assistance technique de la Banque mondiale et peut
faire appel à tout autre consultant. Il est à noter que ce cadre
institutionnel administratif et public ne favorise pas une participation du
secteur privé au processus de privatisation.
Sur le plan normatif, la réforme des entreprises
publiques repose sur un nombre impressionnant des textes
juridiques124 chaque jour enrichis, notamment pour ce qui concerne
la privatisation. En effet, la liquidation/ dissolution autant que la
réhabilitation n'ont pas connu la même production normative
à l'instar de la privatisation.
2- Le processus de la restructuration
La restructuration du secteur public et parapublic a
épousé essentiellement trois modalités : la
réhabilitation, la liquidation et la privatisation.
La réhabilitation contient des mesures de nature
à accroître le rôle du marché dans le processus
d'allocation des ressources et à clarifier le rapport entre l'Etat et
les entrepreneurs125. La liquidation quant à elle aboutit
à une ouverture aux lois du marché par l'action des acteurs
privés qui vont s'accaparer du secteur concerné. Elle est
différente de la privatisation en ceci que cette dernière offre
la possibilité à l'Etat de rester présent sans plus
être exclusif. Les prix ou les tarifs dans les secteurs concernés
ne sont forcément plus administrés.
La privatisation constitue au Cameroun la modalité par
excellence de réduction de l'omniprésence étatique du
secteur productif. Elle a épousé au Cameroun nombre de
procédés. Elle est précédée d'une phase de
préparation et d'évaluation objective et complète des
entreprises concernées. En fait de technique, il s'agit des cessions
totales ou partielles d'actions ou d'actifs au secteur privé ; d'une
location-gérance des actifs ou du fonds de commerce des entreprises
publiques par des personnes physiques ou morales de droit privé ou
124 Idem.
125 Ibid. P 160.
58
alors de la signature de contrats de gestion des entreprises
à participation publique par des personnes de droit privé. Bref,
l'Etat a procédé à la vente des entreprises non
stratégiques mais à la cession des entreprises dites
stratégiques.
Le processus ainsi enclenché et réalisé
ne va pas sans difficultés. Il se heurte à de nombreuses
contraintes techniques, institutionnelles, financières, sociales et
même idéologiques126. Elle s'est avérée
particulièrement coûteuse et conflictuelle127, allant
jusqu'à mettre en évidence un flou caractéristique du
législateur camerounais qui aurait tant à gagner s'il avait
entretenu la clarté et surtout la flexibilité pour ce qui
concerne des opérations d'une telle nature. Malgré quelques
points positifs, le bilan reste nuancé.
3- Le bilan nuancé de la
restructuration
Quatre buts essentiels étaient visés, à
savoir améliorer les finances publiques, promouvoir l'entreprenariat
privé par l'ouverture de la gestion des entreprises publiques ou secteur
privé et à l'application des techniques des droits des affaires.
L'accroissement du rôle du marché par une restauration de la
concurrence entre acteurs du secteur privé et entre ces derniers et le
secteur public constituait le troisième objectif. Le dernier, connexe
à tous les autres, était la stimulation et la relance de la
croissance. Un regard rétrospectif du processus amène à
constater que ces objectifs n'ont que relativement été atteints.
La liquidation, la privatisation et même la réhabilitation, non
encore achevée, n'ont que relativement ouvert la concurrence dans les
secteurs jadis publics aujourd'hui libéralisés. En effet, le
passage a le plus souvent été d'un monopole, de droit public
à un monopole sinon à un oligopole de droit privé. L'Etat
n'a pas perdu la maîtrise des reines de l'économie et demeure
inexorablement la locomotive du développement au détriment d'un
secteur privé encore fragile. Le partenariat secteur public/secteur
privé demeure par ailleurs embryonnaire. En outre, la pauvreté,
la corruption et toutes autres formes de vicissitudes sociales y ont fait leur
nid. Ce qui dénote de l'échec même de ladite
restructuration dont l'objectif social était l'amélioration de la
quantité et de la qualité de service.
126 NGUIHE KANTE (P), « Les contraintes de la
privatisation des entreprises publiques et parapubliques au Cameroun),
Juridis périodique N° 48 Octobre 2001 PP. 79-90.
127 MANGA ZAMBO (E), Op.Cit. p.155.
59
Les mesures engagées en vue de décongestionner
les circuits tant de production que de commercialisation des biens et services,
matérialisent le désengagement de l'Etat des secteurs
économiques. Ce désengagement permet la recherche et la
réalisation du juste prix dans les opérations et les transactions
commerciales. Ce qui emporte sur le plan de la réglementation des prix
de nombreuses implications.
|