SECTION II : LES FONDEMENTS JURIDIQUES INTERNES
Plus encore que dans le cadre juridique externe, le processus
de déréglementation en général et celui des prix en
particulier tire ses sources de fondements juridiques, c'est-à-dire des
fondements tirés des actes des autorités étatiques
elles-mêmes, et non seulement réceptionnés à partir
du Droit international. Il faudrait cependant souligner que dans le cadre
interne, cette déréglementation est la résultante de
sources juridiques de natures diverses. En effet, elle est le fait de la
pratique, moins directement de la jurisprudence, mais sûrement de la
coutume. Pratique générale et pérenne, voire naturelle, la
discutabilité des prix se présente sous cet angle comme une base
incontestable, bien que sûrement lointaine à l'idée de
limitation de l'encadrement étatique des prix. Plus concrètement,
la déréglementation apparaît
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comme la résultante de l'affirmation en droit interne
de deux principes de valeur constitutionnelle et législative à
savoir : le principe de la liberté de commerce et de l'industrie et le
principe de la liberté des prix. Ces principes qui entretiennent une
corrélation directe fondent en effet la déréglementation
en général de l'économie camerounaise et partant, celle
d'un de ses objets : le prix. Cette déréglementation, expression
même de la libéralisation, n'a donc pas connu qu'une onction
juridique internationale et communautaire, mais aussi interne à tous les
niveaux de la hiérarchie kelsenienne des normes juridiques83,
c'est-à-dire aussi bien constitutionnelle (Paragraphe I) qu'infra
constitutionnelle (Paragraphe II).
PARAGRAPHE I : LES BASES CONSTITUTIONNELLES
La libéralisation des prix au Cameroun est le
corollaire d'un principe dont la valeur constitutionnelle semble aller de soi,
tant il est devenu traditionnel de la classer dans cette
catégorie84 : le principe de la liberté du commerce et
d'industrie. Ce principe constitue la base fondamentale de la
libéralisation (A) et il se décline en sous principes qui en
constituent les bases dérivées (B)
A. LA BASE PRINCIPALE : LE PRINCIPE DE LA LIBERTE DU
COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE
La constitutionalité de ce principe reste à
démontrer dans le contexte camerounais, même si sa portée
elle, reste constante à tous égards.
1. La constitutionalité du principe
Si la valeur constitutionnelle de ce principe est une
constante en droit comparé, ceci ne semble pas être le cas en
droit camerounais. La doctrine lui colle pourtant une valeur constitutionnelle
qu'elle n'a jamais démontrée, mais qu'elle a pris la
fâcheuse habitude d'affirmer en se fondant sur des textes et des
jurisprudences étrangères à notre ordre juridique
83 Lire KELSEN (H), Théorie pure du droit,
Dalloz, 2nd ed., traduction Charles EISENMANN, Paris 1962,496p.
84 Pour la totalité des auteurs, notamment de droit
comparé, la constitutionnalité de ce principe ne souffre d'aucune
contestation, en plus d'être un principe général de droit,
consacré tant par la jurisprudence que par la doctrine. CHENOT (B),
Organisation économique de l'Etat, Librairie Dalloz,, Coll.
Etude politique, économique et sociale, 2nd ed., Paris 1965,
p.479. ; DELAUBADERE (A) et DELVOLVE (P), Droit public
économique... Op. cit., p.59.
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et ne pouvant, sauf à titre de droit comparé,
nullement être utilisées dans notre cadre ; encore séduite
est-elle aujourd'hui du monde occidental85. Des travaux importants
ont pourtant été effectués sur le sujet86. Le
plus surprenant reste de constater avec quelle aisance les origines de ce
principe ont été rattachées à l'histoire coloniale
de notre pays et à la loi du 27nov 1980
fixant l'orientation de l'activité
commerciale87 qui n'est pourtant pas de valeur constitutionnelle.
Cette dernière observation serait de nature à fonder la non
constitutionalité de ce principe dans le contexte camerounais. En effet,
nombre de considérations sont de nature à susciter de
réelles interrogations quant à la valeur constitutionnelle de ce
principe dans le contexte camerounais. En effet, sur le plan formel, aucun
texte constitutionnel ne le consacre expressément, ni directement ; et
quand bien même cela aurait été le cas, encore aurait-il
fallu s'accorder sur laquelle Constitution.
Il faudrait en effet se rappeler que la doctrine camerounaise
est divisée au sujet de la Constitution réellement en vigueur au
Cameroun. Les points focaux de cette controverse doctrinale tournent d'une part
autour du point de savoir si le texte constitutionnel du 18 janvier 1996
était une révision de la Constitution originelle de 1972, ou
l'écriture d'une nouvelle Constitution88. Et d'autre part, si
une ou deux Constitutions sont en vigueur au Cameroun89. Les
réponses à ces deux questions sont corrélatives, de sorte
que, de la première dépend la seconde. En effet, s'il est vrai
qu'au-delà des innovations assez importantes de la dernière
modification apportée à la Constitution en 1996, le texte
officiel parle lui-même de révision constitutionnelle, toute
interprétation de quelconque nature que ce soit peut paraître
abusive, surtout que, lesdites innovations ne semblent en réalité
qu'avoir renforcées sur le plan normatif et institutionnel, les bases de
la République et de l'Etat de droit alors jetées par le texte
originel. Sur cette base, la Constitution formellement en vigueur reste celle
de 1972, simplement révisée, mais dont la matière s'est
plus qu'enrichie. Or, le degré d'innovation apporté par le
nouveau texte ne peut que laisser perplexe, quant à une telle vision
puisque alors, sur le plan matériel, la Constitution de 1972 ne serait
plus tout à fait
85 MEBENGA (M), « Le droit et ses pratiques ... »Op.
cit., p.74.
86 OLANGUENA AWONO (U), La liberté du commerce et
de l'industrie au Cameroun, Th. Droit 3e Cycle, Orléans,
1982, 321p. Plus récemment encore, NYAMA (J-M) « La liberté
du commerce et de la concurrence... »Op. cit., pp.51-74.
87 OLANGUENA AWONO (U), La liberté du commerce et de
l'industrie au Cameroun...Op. cit., p.2.
88 KAMTO (M) « Révision constitutionnelle ou
écriture d'une nouvelle Constitution ? » Lex. lata,
n°23-24, 1996, p.19. ; MBOME (F.X) « Constitution du 2 juin
révisée, ou nouvelle Constitution ? », in La
réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, aspects juridiques et
politiques, Friedrich Ebert, Yaoundé, 1996, pp.16-33.
89 ONDOA (M), « La Constitution duale : recherche sur les
dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun », RASJ,
Vol. 12, Yaoundé, 2000, pp. 20-56. OLINGA (A.D), La Constitution de
la République du Cameroun, Presses de l'UCAC, ed. Terre africaine,
Yaoundé 2006, p.23.
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logique avec elle-même, ne fut-ce que sur le plan de son
autorité. Au final, il s'est donc agi formellement d'une révision
constitutionnelle, mais matériellement de l'écriture d'une
nouvelle Constitution. C'est cela qui justifie que puisse être
soulevé le second problème ; à savoir celui du nombre de
Constitution actuellement en vigueur au Cameroun.
La question en elle même peut paraître absurde,
voire incongrue, tant il semble juridiquement établi qu'au sein d'un
seul et même Etat, ne peut être en vigueur qu'une seule
Constitution fondant l'ordre juridique dudit Etat90. L'idée
de plusieurs Constitutions cohabitant simultanément dans un même
ordre juridique ne laisse pas de surprendre. Cette curiosité
scientifique fort séduisante a été théorisée
par la Professeur Magloire ONDOA avec une rigueur scientifique, une
cohérence et une logique qui n'aura pu que convertir. Ceci d'autant plus
que l'idée d'une « Constitution duale
»91 ne reflète fort cruellement que la
réalité juridique et intelligiblement scientifique de notre
environnement constitutionnel. En réalité, la suspension de
l'application de certaines dispositions de la loi constitutionnelle du 18
janvier 199692, complétée à la non abrogation
formelle, ou mieux à la prolongation formelle de l'applicabilité
de nombre de dispositions de 1972, en vertu des articles 67 et 68 de la loi
constitutionnelle du 18janv 1996 n'aura pu que consacrer au sein d'un
même ordre juridique, deux instruments fondamentaux dont l'un
formellement en vigueur, mais non encore matériellement mis en
application dans son entièreté ; et l'autre, n'étant plus
formellement en vigueur en intégralité, mais demeurant
matériellement mis en application. Ceci apparaît comme une
conséquence logique du principe de progressivité auquel
n'échappe pas l'ordre constitutionnel lui-même en termes
d'entrée en vigueur des normes dans le temps. Il serait en
réalité absurde, voire intellectuellement inexact, d'affirmer que
la Constitution de 1972 n'est pas en vigueur, il le serait davantage s'il
fallait infirmer que le texte de 1996 n'est point en vigueur au Cameroun : il
cohabite donc inexorablement deux textes constitutionnels
s'interpénétrant, ne formant au final qu'un bloc de
constitutionalité comme norme fondamentale au sommet de l'ordonnancement
juridique interne.
Lequel bloc de constitutionalité intègre en son
sein - à travers la constitutionalité consacrée du
préambule de la loi constitutionnelle du 18 janvier 199693-
les normes internationales consacrant plus ou moins directement le principe de
la liberté de commerce et
90 OLINGA (A.D), « La Constitution ... », Op.
cit., p.24.
91 ONDOA (M), « La Constitution duale... » Op. cit.,
p.20-56
92 OLINGA (A.D) « L'article 67 de la Constitution lex
lata,n°3, mars 1997,pp.3-9
93 Article 55 de la Constitution.
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d'industrie94. Encore que ce principe sur le plan
de l'histoire constitutionnelle de notre pays avait déjà
été consacré par un texte à valeur
constitutionnelle, notamment le préambule de la Constitution du 4 mars
196095, même si sa valeur juridique n'était pas encore
établie. Ce qu'il importe ici de constater est que le législateur
constitutionnel camerounais a octroyé dès l'aune de l'Etat
camerounais, une valeur constitutionnelle à ce principe.
La constitutionalité du principe de commerce et
d'industrie au Cameroun relève donc d'un bloc fluctuant et mouvant de
constitutionalité qu'on ne saurait nier, malgré la portée
limitée dudit principe.
2. La portée du principe
Si important que soit le principe de la liberté de
commerce et d'industrie ; en tant que garantie de l'existence d'une
liberté reconnue aux personnes morales et physiques, tant de Droit
public que de Droit privé national et étrangères d'exercer
une activité économique ou industrielle, il n'en demeure pas
moins un principe limité. Ainsi Monsieur OLANGUENA AWONO estime t-il
qu'en réalité, ce principe n'aurait pu être
appréhendé que par l'analyse de sa multitude de
limites96. En fait le principe de la liberté de commerce et
d'industrie au Cameroun évolue dans un océan de
dérogations et d'exceptions, à telle enseigne que la règle
s'est inversée en exception. Les dérogations sont
conventionnelles .Il en est ainsi des nombreuses clauses susceptibles de la
limiter telles que les clauses de non installation, de non
rétablissement, de non concurrence visant à interdire aux anciens
partenaires ou aux intervenants potentiels de développer une
activité commerciale ; ou des clauses d'exclusivité d'achat, de
fourniture ou d'établissement, visant à placer certains
débiteurs sous la dépendance du cocontractant afin de
l'empêcher de gérer à sa guise son activité. Le
principe admet également des exceptions légales telles que
certaines prescriptions réglementaires liées au respect de
l'ordre public, aux incompatibilités, aux exigences de
déclaration et autres incapacités, empêchant à
certaines catégories de personnes d'exercer l'activité
commerciale ou industrielle à leur guise, ou encore ne le permettant que
sous certaines conditions.
94 Les accords de l'Organisation Mondiale du Commerce,
la législation CEMAC, la Charte de La Havane.
95 Paragraphe 15 du préambule de la Constitution du 04
mars 1960, disposant clairement « la liberté de
constitution, de gestion et d'exploitation des exploitations syndicales et
sociétés, la liberté de circulation des personnes et des
biens, la liberté d'établissement et d'investissement, ainsi que
la non discrimination en matière juridique, financière, fiscale
et commerciale, sont reconnues à tous dans les conditions fixées
par la loi. »
96 OLANGUENA AWONO (U), La liberté du commerce
... Op. cit., p.6.
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Ainsi, le principe de la liberté de commerce et
d'industrie constitue le moule constitutionnel sans lequel tout processus de
libéralisation n'aurait pu prendre forme en droit camerounais. Ce
principe jette les bases d'une libéralisation, voire d'une
libération des prix. Il se décline en des sous principes qui en
constituent le contenu et en deviennent ainsi des bases constitutionnelles
dérivées.
B. LES BASES DERIVEES : LES PRINCIPES DE LA LIBERTE
D'ENTREPRENDRE, D'EXPLOITER ET DE CONCURRENCE
En effet, une fois consacré, à quoi renvoie ce
principe, et comment agit-il sur les prix ? Ce principe signifie liberté
d'entreprendre et d'exploiter, mais aussi liberté de concurrence.
1. La liberté d'entreprendre et
d'exploiter
Ce double principe est la composante en effet de deux
principes qui peuvent être appréhendés
séparément, bien qu'entretenant en pratique un lien si
étroit qu'il devient logique de les regrouper tout en gardant à
l'esprit le sens respectif de chacun.
La liberté d'entreprendre signifie la
possibilité légalement ouverte à toute personne morale
comme physique, camerounaise ou étrangère de s'installer en
créant ou en acquérant une entreprise, quelle qu'en soit la
forme, et d'y exercer l'activité économique de son choix dans le
respect de la loi. Elle se traduit par les libertés : d'accès, du
choix, du mode d'organisation, d'exercer, d'établissement, ainsi que de
contracter. C'est elle qui devient en Droit communautaire la liberté de
circulation des personnes, des biens, des capitaux de même que celle
d'installation et d'établissement. Toutes choses qui traduisent l'option
du moins d'Etat en matière d'initiative commerciale et industrielle.
Ceci va jusqu'à la liberté de choisir sa propre politique
d'exercice de l'activité commerciale.
Le principe de liberté d'exploitation
justement renvoie à la possibilité de déterminer sa
propre politique de production, de distribution et de commercialisation,
c'est-à-dire liberté de gérer à sa guise son
entreprise en choisissant la politique, voire la stratégie commerciale
qui semble le mieux servir ses intérêts économiques. Dans
cette optique, le commerçant doit jouir de la possibilité de
manipuler et d'ajuster les prix au gré de ses intérêts
commerciaux.
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Or, ceci n'est nécessaire, voire possible que si
l'activité commerciale se développe dans un cadre
concurrentiel.
1. Le principe de la liberté de
concurrence
Ce principe apparaît comme le corollaire principal,
l'application et même la condition du principe de la liberté de
commerce et d'industrie. Du fait de sa filiation avec ce dernier, il
bénéficie donc également de l'onction constitutionnelle.
Les rapports entre ces deux principes ne sont plus à
démontrer97 pour ce qui est du Cameroun. Ceci peut se
justifier par le fait que l'ancien code des investissements parle au même
titre que la loi régissant l'activité commerciale, exclusivement
de la liberté des activités économiques. Ce principe
signifie deux choses : en premier lieu, il signifie consécration de la
liberté des prix, c'est-à-dire liberté de fixer les prix
des biens et services uniquement par le libre jeu de l'offre et de la demande
sur le marché et donc en second lieu, interdiction, ou du moins exigence
de réduction de l'intervention de l'Etat dans la détermination
des prix. En clair, la liberté de concurrence renvoie à la
liberté de détermination de la politique commerciale en fonction
tant des intérêts de tout entrepreneur d'une part ; et d'autre
part, à l'observation du lien congénital qui existe entre la
concurrence et les prix98. Toute concurrence n'étant possible
que par les prix, libérer la concurrence signifie libérer les
prix. La consécration de ce principe pose donc avec onction
constitutionnelle les bases certes dérivées de la
déréglementation comme processus de libéralisation des
prix au Cameroun.
Au regard de ce qui précède, force est de
reconnaître que la déréglementation des prix est un
processus encadré au plus haut sommet de la hiérarchie des normes
juridiques. Cette consécration constitutionnelle quelque peu induite et
donc implicite se traduit plus concrètement dans les textes
législatifs et réglementaires, c'est-à-dire de valeur
infra constitutionnelle.
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