PARAGRAPHE II : LES FONDEMENTS REGIONAUX ET SOUS-
REGIONAUX
Davantage, choix d'une époque, marqué par un
monde en redéfinition, que choix d'un système, la solution
régionale, certes loin d'être parfaite, constitue le mode par
excellence de regroupement des Etats contemporains68. Aussi, la
déréglementation des prix se nourrit-elle des textes y relatifs.
Elle tire ainsi ses fondements non seulement des objectifs d'harmonisation du
droit des affaires en Afrique (A), mais également plus restrictivement
de délimitation de l'intégration sous-régionale de la
Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale (B).
A. LA DEREGLEMENTATION DES PRIX DANS L'HARMONISATION DU
DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE
66 ONDOA (M) « Ajustement structurel... » Op. cit.,
p.84.
67 Cf. Cameroun, Droits et libertés, Op. cit.,
68 SCHULDER (G), S' unir... »Op. cit. p.27.
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La déréglementation des prix est
incontestablement fondée par l'esprit général et la lettre
de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires69. Elle traduit la volonté d'éliminer toutes
dispositions normatives entre Etats membres en matière de prix. Cela
semble être le sens dégagé autant du traité de
l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires que de
l'Acte Uniforme relatif aux matières commerciales
générales.
1. Le traité OHADA
L'OHADA est un traité conclu entre les pays, une
organisation internationale dotée de la personnalité
juridique70 instituée par un traité de 1993 à
Port Louis (Ile Maurice), traité ayant pris effet en 1995, après
les 7 ratifications nécessaires à cet effet71.
Ainsi, le traité a le souci de favoriser la
concurrence, d'assurer la sécurité juridique et judiciaire, de
stimuler l'investissement, de dynamiser l'intégration régionale
par une matérialisation de la libre circulation des personnes, de biens,
des services et des capitaux et partant, d'élargir au maximum l'espace
économique du marché commun72. Toutes choses qui
postulent l'ouverture dudit marché et le démantèlement de
la présence étatique.
Dans ce contexte, la recherche de la simplicité
implique l'élimination de toute réglementation superflue ou
contraire aux objectifs des organisations. La compatibilité entre le
traité et ce processus est donc vérifiable. L'originalité
du droit OHADA ne peut d'ailleurs militer qu'en faveur de cette
assertion73. Le traité OHADA à travers les articles 1
et 2 énumère le commerce parmi ses matières. Ceci se
traduit d'ailleurs dans le cadre de l'activation du pouvoir normateur de
l'organisation, à côté de son activité consultative
en matière d'affaire74. Ce pouvoir législatif semble
constituer l'objet même de tout processus de
69 L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique
du Droit des Affaires regroupe principalement 16 pays d'Afrique francophone :
le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo (Brazzaville), la
Côte-d'Ivoire, le Gabon, la Guinée Conakry, la
Guinée-Bissau, la Guinée-équatoriale, le Mali, le Niger,
la République Centrafricaine, le Sénégal, le Tchad, le
Togo et l'Union des Comores, la République Démocratique du Congo,
demeure en étude des conditions d'adhésion.
70 POUGOUE (P-G), Présentation générale
et procédure en OHADA, PUA, Coll. Droit uniforme, Yaoundé
1998, p.6.
71 PAILUSSEAU (J), « Le droit de l'OHADA, un droit
très important et original » in L'OHADA, dix années
d'uniformisation du droit des affaires en Afrique, La semaine juridique,
Entreprise et affaires n°5, supplément à La semaine
juridique n°44 du 28oct 2004, 78e année, JCP, p.1 ;
POUGOUE (P-G), Présentation générale et
procédure en OHADA, Op. cit., p.97.
72 NYAMA (J-M), Eléments du droit des affaires
Cameroun OHADA, Presses de l'UCAC, Yaoundé 2002, p.11 ; FORNERIS
(F.X), « Harmonising commercial law in Africa : the OHADA, Juridis
périodique, n°47, juillet 2001, p.80.
73 « Le droit de l'OHADA est donc très
important, il aussi original à de multiples égards, c'est le
droit d'un espace juridique, et non celui d'une union économique et
monétaire ; ce n'est non plus le droit d'un Etat fédéral ;
c'est un droit unifié et non harmonisé ; c'est un droit
essentiellement conçu par la pratique ; ce n'est pas réellement
un droit des affaires, mais c'est un droit des activités
économiques », PAILUSEAU (J), « Le droit de l'OHADA, un
droit très important et original » Op. cit., p.1.
74 POUGOUE (G), Présentation générale et
procédure en OHADA, Op. cit., p .11 et suivantes
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libéralisation à l'échelle
régionale qui puise ses racines dans l'Acte Uniforme relatif au commerce
général.
2. L'Acte Uniforme relatif au Droit commercial
général
La présence d'Actes Uniformes semble d'emblée
confirmer qu'il convient en réalité de parler plus
d'uniformisation, que d'harmonisation du droit des affaires75. Ce
sont des actes supranationaux directement applicables et obligatoires dans le
droit interne des Etats parties. L'Acte Uniforme relatif au Droit commercial
général répond au souci de libéraliser les
échanges et les investissements. Cela est perceptible à l'analyse
de certaines dispositions dudit acte. Par exemple, l'article 206 du Livre V,
relatif à la vente commerciale consacre prioritairement la
volonté des parties comme condition de formation du contrat de vente.
Ceci apparaît comme une véritable invite au «laisser
aller», «laisser faire» des acteurs du
marché en matière de prix, préconisant toute
possibilité d'ouverture du marché, aussi bien à
l'échelle internationale, continentale que sous-régionale.
B. L'ENCADREMENT COMMUNAUTAIRE DE LA
DEREGLEMENTATION DES PRIX
Corollaire d'un processus de crise, suite à
l'échec de l'UDEAC76, impératif de la mondialisation,
orientation incontournable, l'intégration est un véritable
défi dont le Cameroun est conscient77. La Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale est la forme la plus
expressive et la plus dynamique d'intégration à laquelle le
Cameroun adhère78. La Communauté Economique et
Monétaire d'Afrique Centrale adhère au système
75 En réalité, malgré
l'intitulé, il s'agit plus d'uniformisation que d'harmonisation.
L'harmonisation cherche à coordonner des systèmes juridiques
différents ou à respecter la sensibilité essentielle d'une
législation donnée en vue de réduire les
différences pour atteindre les objectifs communautaires. Alors que
l'uniformisation, encore appelée unification est plus radicale et
aboutit dans une matière juridique donnée à une
réglementation unique, identique à tout point pour les Etats
concernés. Aucune place n'étant en principe possible pour les
différences. Ceci est bien le cas du Droit OHADA. Lire POUGOUE (G),
Présentation... Op. cit., p.11 ; PAILUSSEAU (J), « Le
droit de l'OHADA... » Op. cit., p.2.
76 L'Union Douanière des Etats d'Afrique
Centrale, l'UDEAC est l'organisation prédécesseur de la
Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale.
77 SCHOULDER (G), S'unir, Op. cit, p.27.
78 La CEMAC est la Communauté Economique et
Monétaire d'Afrique Centrale créée le 16 mars 1996, lors
du sommet de NDJAMENA (Tchad), suite à l'échec de l'UDEAC, elle
regroupe en permanence 6 pays : le Cameroun, le Gabon, la
Guinée-équatoriale, le Congo (Brazzaville), le Tchad et la
République Centrafricaine. Le traité instituant la CEMAC
signé le 16mars 1996 a été ratifié au Cameroun par
décret n° 98/274 du 23 octobre 1998 portant ratification des actes
constitutifs du traité instituant la CEMAC. Le Cameroun, en l'article 16
de sa charte des investissements réaffirme son adhésion audit
traité.
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de l'Organisation Mondiale du Commerce et intègre
également la législation de l'Organisation pour l'Harmonisation
en Afrique du Droit des Affaires. Ses règles bénéficient
du principe de l'immédiateté normative79.
Elle poursuit fondamentalement l'objectif de construction d'un marché
commun et contribue à l'ouverture totale de l'espace économique
communautaire aux Etats ressortissants de la communauté80.
Non expressément consacrée cependant, la libéralisation
des prix dans le cadre de la communauté découle tant des textes
généraux de la Communauté Economique et Monétaire
d'Afrique Centrale que d'instruments spécifiquement
édictés en matière économique et de commerce.
1. Les textes généraux de la CEMAC en
matière économique et commerciale
Il s'agit du traité instituant la Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale et des conventions instituant
ses institutions spécialisées en matière
économique.
Le traité instituant la Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale est en
réalité peu disert en matière de
déréglementation. Ce souci se dégage pourtant de l'analyse
de ses objectifs et missions. La mission de la communauté est celle de
l'intégration en général des économies des Etats
membres81. C'est d'ailleurs l'objectif essentiel
dégagé de la Convention de l'Union Economique de l'Afrique
Centrale qui affirme la nécessité d'uniformisation des
marchés des Etats membres et la condamnation de politiques sectorielles
de concurrence dans le but de se conformer au principe d'une économie de
marché ouverte et concurrentielle. C'est ce que traduit l'article 2 de
ladite convention qui prévoit la création d'un marché
commun, fondé sur la libre circulation des biens, des services, des
capitaux et
79 Elles sont immédiatement applicables et
directement invocables devant le juge interne, en vertu de l'article 21 de
l'additif au traité de la Communauté Economique et
Monétaire d'Afrique Centrale, relatif au système institutionnel
et juridique de la Communauté Economique et Monétaire d'Afrique
Centrale. Pour plus d'amples informations, lire Deny Simon, Le
système juridique communautaire, PUF, Paris, 1997, 536 p. et ONDOA
(M) « L'ajustement structurel ... », Op. cit., p.113. Même s'il
faut relever avec le Professeur Alain Didier OLINGA que « la
Constitution camerounaise n'offre aucune base juridique pour une telle
applicabilité directe ». OLINGA (A.D), «
Réflexion sur le Droit international, la hiérarchie des normes et
l'office du juge au Cameroun » in « Acte de la journée
d'étude du 18 juin 2004 à l'ENAM », Juridis
Périodique, n° 63, 16e année, ed.
spéciale, juin 2005, pp.10 et suivantes
80 DJEUKOU (J), « La CEMAC, rétrospective et
perspective : réflexion sur l'étude récente du Droit
communautaire de l'Afrique centrale », Juridis Périodique,
n° 47, juillet 2001, pp.106-116 ; AVOM (D), « Le traité CEMAC
: nouveau départ pour le processus d'intégration
économique en Afrique centrale ? », RJPIC, n°...,
mai-août 1999, p.58 ; ATEMENGUE (J.N), « Le droit matériel
d'intégration dans la Communauté économique et
monétaire de l'Afrique centrale. Une lecture des textes fondamentaux
», Juridis Périodique, n°46, Avril, 2001, pp
106-113.
81 L'article 28, alinéa 5 de l'UDEAC, renforcé
dans le cadre de la Communauté Economique et Monétaire d'Afrique
Centrale préconisait déjà d'ailleurs « la
recherche des moyens susceptibles d'aboutir à l'abandon progressive
entre les Etats membres des pratiques commerciales restrictives
».
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des personnes. L'article 13, quant à lui, commande
l'élimination entre autres « de toute autre mesure
d'effets équivalents susceptible d'affecter les transactions entre les
Etats membres », y compris donc les mesures nationales
d'encadrement des prix. Dans la même logique, l'alinéa 2 de
l'article 16 instituant des restrictions au mouvement d'investissement et des
capitaux précise que « lesdites restrictions ne doivent
constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction
déguisée au commerce des Etats membres ».
En somme et, bien que n'ayant directement pas un lien avec les
prix, la Convention de l'Union Monétaire d'Afrique Centrale,
relative aux politiques monétaires de la sous région se fixe pour
objectif essentiel la stabilisation des prix à travers la maîtrise
des taux de change. En fait, l'existence des institutions
spécialisées de l'Union Monétaire d'Afrique Centrale
laisse entendre qu'elle préconise une liberté réelle des
prix sur le marché. Cet objectif est d'ailleurs l'objet
spécifique de textes de la Communauté Economique et
Monétaire d'Afrique Centrale, spécialement pris en matière
économique et commerciale.
2. Les textes spécifiques de la CEMAC en
matière économique et commerciale
La Communauté Economique et Monétaire d'Afrique
Centrale est une institution dotée d'une personnalité juridique
susceptible de générer du droit dérivé. Sur cette
base, des instruments juridiques ont été spécifiquement
édictés en matière économique et commerciale afin
de favoriser l'intégration communautaire à travers la
multiplication des échanges entre les Etats. Il s'agit de
règlements dont le premier régit le commerce entre les Etats ; le
deuxième, les pratiques déloyales entre les Etats ; et le
troisième porte charte des investissements de la Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale.
Le règlement n°1/99/UEAC-CM-639 du 25
juin 1999, portant adoption de la réglementation des pratiques
commerciales anticoncurrentielles ; et le règlement
n°4/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999, portant réglementation
des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres
sont consubstantiels quant au fond. Le premier cependant interdit toute
pratique de nature à faire obstacle au libre jeu de la concurrence
telles que les ententes illicites, les abus de position dominante, les
concentrations, qui réduisent
37
sensiblement le commerce sur le plan communautaire et qui sont
orchestrées par les entreprises. Toutes choses qui obstruent la
concurrence sur le marché commun, mais aussi particulièrement la
liberté des prix. Aussi a-t-il été institué des
organes ou autorités communautaires chargés de l'application du
Droit communautaire de la concurrence à titre exclusif. Il convient
toutefois de rappeler que ces organes ne peuvent être compétents
qu'à condition qu'il y ait eu entrave à la concurrence au niveau
communautaire affectant sensiblement le commerce entre les Etats. Encore
faudrait-il préciser à partir de quel critère une telle
affectation pourrait être considérée comme sensible. En
terme d'institutions, il s'agit de l'Organe de Surveillance de la Concurrence
(OSC), du Conseil Régional de la Concurrence (CRC), de la Cour arbitrale
et même sûrement de la Commission permanente en matière de
concurrence et de protection du consommateur bénéficiant tous,
bien que relativement, de pouvoir de sanction des pratiques
anticoncurrentielles tant des entreprises que des Etats membres.
Le règlement n°4, quant à lui, régit
justement les pratiques anticoncurrentielles, c'est-à-dire toute
pratique affectant la libre détermination des prix au sein de la
communauté, ou encore en constituant l'abus, il préconise
« l'abandon progressif entre les Etats membres des pratiques
commerciales restrictives »82. Ce
règlement distingue les aides compatibles et celles non compatibles avec
le marché commun et le préserve contre les effets de monopole
légaux afin de garantir la concurrence. L'aide ne pouvant être
sanctionnée qu'à condition d'affecter sensiblement la concurrence
entre Etats membres.
Heureusement, le règlement n°17/99/CEMAC-020-CM-03
relatif à la Charte des investissements de la Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale se révèle
être un véritable Droit commun des affaires destinées
à améliorer l'environnement institutionnel fiscal et financier
des entreprises, sans distinction, en vue de favoriser la croissance et la
diversification des économies des pays membres sur la base d'une
meilleure définition du rôle de l'Etat et du développement
harmonieux du secteur privé à travers les investissements. Elle
préconise la reconnaissance du rôle fondamental du secteur
privé dans le processus économique et préconise un
partenariat actif entre l'Etat, le secteur privé et la
société civile qu'elle ne définit cependant pas.
L'article 10 de la Charte des investissements dénonce
toute les « pratiques discriminatoires qui font obstacle au
libre jeu de la concurrence ». Cet article consacre en
82 KALIEU (Y)... p.84
38
filigrane la liberté du commerce et de l'industrie par
cette affirmation de la libre concurrence, et donc par ricochet, de la
liberté des prix.
La Charte des investissements de la Communauté
Economique et Monétaire d'Afrique Centrale apparaît donc comme le
texte le plus pertinent fondant la déréglementation, la
libéralisation des prix à l'échelle communautaire. Il
reste tout de même à déplorer l'absence d'une jurisprudence
communautaire consacrant cette liberté comme cela fut le cas en droit
comparé, dans l'affaire dite du «tabac, essence livre et du
cognac» où le juge européen rappelle que
« la fixation du prix d'un produit ou d'un service à un
niveau qui ferait obstacle aux importations ou aux exportations est interdite
en vertu du traité de Rome ».
En définitive, la libéralisation des prix - ou
du moins- l'un de ses aspects, c'est-à-dire leur
déréglementation, est fondée sur le plan externe par les
règles du libre échange qui se dégage du droit substantiel
de l'Organisation Mondiale du Commerce dans toutes ses composantes, mais aussi
sur l'ordre juridique communautaire visant à l'échelle
régionale, l'harmonisation, mieux, l'unification du droit des affaires.
A l'échelle sous-régionale, l'intégration au sein de la
Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale ne peut
qu'être compatible avec un tel processus. Cette
déréglementation, ainsi déductivement consacrée,
ressemblerait à une simple exhortation si elle ne se traduisait pas plus
concrètement dans le cadre de la législation nationale,
c'est-à-dire interne.
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